Le «diaaro» est une pratique culturelle unique dont le secret est bien gardé par les bergers peuls. Certains l’expliquent par la familiarité du berger avec son troupeau à travers un entretien sans faille, mais d’autres y trouvent une connotation mystique. A l’occasion des séances de «diaaro», un berger peut passer son tour avec brio, mais certaines mésaventures peuvent aussi survenir du fait de pratiques mystiques hostiles.

Au gré de la générosité du ciel, les bergers peuls empruntent les chemins de la transhumance quand arrive la saison sèche. Des mois d’errance dont la durée dépend de la pluviométrie. Mais quand sonne l’heure du retour au bercail, les bergers et leurs troupeaux retrouvent leurs terres natales avec émotion. Autrefois, comme c’était un grand nombre de bergers qui faisaient chemin ensemble, ce sont les plus vieux ou les plus jeunes qui étaient envoyés en éclaireurs pour annoncer le retour imminent des troupeaux.
A l’annonce de cette nouvelle, les hameaux presque vidés de leur population retrouvaient l’effervescence et se préparaient à recevoir ceux qui étaient considérés comme des héros en mission. Aujourd’hui, si les informations passent par le téléphone, l’accueil des bergers restent toujours un moment important.
Le jour de l’arrivée des «bergers missionnaires», c’est un accueil chaleureux qui est réservé aux hommes et aux bêtes. Les femmes mettent de l’ambiance en battant des bols, en dansant et en chantant. Dans ce groupe, certaines manifestent leur joie de retrouver le mari ou l’enfant parti assurer la survie du troupeau familial. Les hommes, pour la plupart d’un âge avancé, se préoccupent du décompte des têtes pour faire le bilan des mois de transhumance.
Après ces semaines passées au loin en attendant que l’hivernage s’installe à nouveau, c’est le temps pour chaque hameau de faire la programmation des cérémonies de mariage de ces jeunes bergers, un geste de reconnaissance de leurs parents à leur égard. Et c’est durant cette période des mariages dans plusieurs localités que s’organisent les séances de «diaaro», au grand bonheur des spectateurs locaux et de ceux venus d’ail­leurs.
Le «diaaro» est une pratique annuelle très attendue. C’est ainsi que les localités qui l’exécutent informent les villages environnants. Les bergers qui doivent faire le spectacle, appartenant tous à un même groupe d’âge, sont connus et des jours durant, leurs groupes de supporters respectifs se défient. Le jour du spectacle, c’est toute la communauté bergère qui s’affaire à la préparation de la piste, son jalonnement, la pose des haies en la garnissant de drapelets multicolores. Une fois les unions scellées entre bergers revenus de la transhumance et prétendantes, l’après-midi est consacré aux réjouissances à quelques exceptions près. Et aux environs de 17 heures, les principaux concurrents peuvent entrer en jeu. L’ordre de passage est réglé d’avance et c’est un berger, sifflet à la bouche, qui s’élance à la tête de ses moutons qui, tout en courant derrière lui, reprennent tous ses gestes.
Si les bergers rivalisent de par leurs prestations, leurs supporters, en majorité des femmes, les accompagnent avec des cris d’encouragement, des applaudissements et un concert de bols. La pratique est commune à tous les bergers peuls. Au premier coup de sifflet, le berger s’élance devant son troupeau et ses bêtes le suivent. Comme lui, le troupeau respecte le trajet et saute les obstacles à sa suite dans un ballet parfaitement synchronisé sous les cris de spectateurs agglutinés le long de la piste aménagée pour la circonstance.
Bien que la pratique soit commune dans cette communauté, certains membres sortent du lot, car ils y mettent une touche personnelle. Et c’est ce génie qui fait aujourd’hui leur renommée et les a rendus célèbres.
A Diam Boury, un hameau situé à quelques kilomètres de Galoya, département de Podor, plus de cinq mariages de jeunes bergers connus par leur expertise pour le «diaaro» avaient lieu il y a quelques semaines. Pour faire honneur à ces véritables champions, les populations de ce patelin et des localités voisines ont eu droit à trois après-midis de «diaaro». Les spectateurs se sont régalés avec les différentes prestations et l’animation qui a accompagné ces spectacles. Les bergers avaient rehaussé les séances en invitant des instrumentistes comme Amadou Baguel avec son tam-tam et Silèye Hoguéré qui a pincé les cordes de son hoddu (instrument de musique traditionnelle) avec l’air du fantang, cet air musical spécialement dédié aux bergers peuls. C’est une grande ambiance qui règne dans les localités où se déroulent ces séances et on y fait la fête jusque tard dans la nuit. Si les bergers arrêtent leur spectacle à la tombée de la nuit, les commentaires des supporters et spectateurs venus d’ailleurs continuent.

Pratiques mystiques
Le berger qui conduit son troupeau au point de départ met fin à son «diaaro» en égorgeant un mouton pour le dédier aux spectateurs. Cette année encore, Oumarel et Aliou, les deux Aaga (un berger digne de ce nom), ont retenu l’attention et égayé plus d’un spectateur. A Lougué Peulh où il y a eu des séances de «diaaro» pour fêter l’abondance des pluies, un vieux berger Harouna, plus connu sous le nom de Diarga, interrogé sur les mystères de cette pratique, nous ap­prend que certains bergers doivent le succès de leur «diaaro» à leur familiarité avec leur troupeau. «Ils s’occupent bien de leurs moutons et les entretiennent».
Un autre plus jeune, Ibra, tout en souriant, révèle que son aîné ne nous a pas tout dit. «Il y a des bergers qui font boire une potion mystique à leurs agneaux. Ce qui fait que ceux-ci et leur ascendance seront dociles et aptes au ‘’diaaro’’», nous indique-t-il.
En pleine séance, un groupe de spectateurs discutait de Mama, un berger qui a eu beaucoup de succès dans le «diaaro» et qui venait juste de terminer sa prestation sous une pluie d’applaudissements. Dans ce groupe, certains bergers soutiennent que Mama doit son succès au pouvoir mystique hérité de son grand-père. Ce que les autres rejettent en expliquant que ce berger est juste un professionnel parmi ses pairs. «Mama ne cesse de nous faire plaisir chaque année avec sa technique. Et la majorité des gens sont venus seulement pour le regarder», insistent-ils pour convaincre leurs antagonistes qu’ils traitent de jaloux. Comme pour clore les débats, un de ses supporters inconditionnels, Ablaye, affirme en criant : «Mama a hérité ses talents de son père et de son grand-père.»
A l’occasion de la fête, il ne s’agit pas seulement de chanter et de danser. Les bergers rivalisent aussi par l’habillement. Et durant leur course, on aperçoit des amulettes enroulées sur leur dos et attachées à leurs biceps. «Ces gris- gris me servent de protection, car il arrive qu’on te jette un mauvais sort qui perturbe la séance de diaaro», explique Aliou, un des prestataires. Il poursuit : «Un jour, lors d’une séance dans un village dont je tairai le nom, mes moutons ont paniqué sans raison et je ne comprenais pas. Heureusement, mon oncle était là. Il a réclamé un van et il y a murmuré une prière avant de le lancer au milieu de mon troupeau. Tout est revenu à la normale et j’ai terminé ma séance avec succès.» A quelque chose malheur est bon. Et Aliou confie que depuis ce jour, il ne néglige plus l’aspect mystique.
Ces séances de «diaaro» sont des pratiques culturelles au Fouta dont les seuls dépositaires sont les bergers peuls, mais toutes les populations aiment les suivre. Elles sont organisées annuellement en période d’hivernage quand les bergers sont fiers de l’embonpoint de leurs troupeaux après de longs mois de transhumance. Ces séances contribuent aussi à rehausser les cérémonies de mariage des jeunes bergers et fêter la bonne pluviométrie.