Taux d’intérêt de la Bceao : perseverare diabolicum

Au mois de septembre dernier, quand la Banque centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Bceao) avait relevé son taux directeur de 25 points de base, pour passer à 3,25%, la Banque centrale européenne (Bce) suivait quasi-simultanément le mouvement pour atteindre un niveau qualifié d’historique de plus de 4%. La chose la plus notable, lors de cette opération, est que c’était la plus forte hausse jamais opérée par l’institution dirigée par Christine Lagarde depuis 1999. Elle visait un taux d’inflation de 2%. Le Gouverneur Jean-Claude Kassy Brou et ses collaborateurs du Comité de politique monétaire (Cpm) de l’Uemoa ne veulent pas perdre autant de temps. Eux y vont à pas cadencé et «dose homéopathique», à raison de 25 points de base à chaque coût. Les parties prenantes n’ont pas le temps de comprendre ce qui leur arrive.
La dernière hausse du taux directeur de la Bceao en date, va intervenir le samedi prochain, 16 décembre.
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Il n’aura donc fallu que 3 mois pour que l’institution monétaire communautaire revoie encore à la hausse ses taux directeurs, durcissant encore plus les conditions d’accès à l’argent pour les entreprises et les ménages au sein de la communauté sous-régionale. S’est-il produit un bouleversement majeur dans l’intervalle, qui puisse justifier cela ?
Le Gouverneur de la Banque centrale, lors de la réunion du Cpm qui a adopté cette mesure, ne disait pas cela, se félicitant au contraire de ce que, «au sein de l’Uemoa, l’activité économique est demeurée vigoureuse au troisième trimestre 2023. La bonne tenue de l’activité dans l’ensemble des secteurs laisse augurer un taux de croissance moyen de 5,7% pour l’année 2023». Jean-Claude Kassy Brou se permettait même d’ajouter que les «tensions inflationnistes se sont également atténuées», et il les voyait à la baisse par rapport à l’année précédente. A savoir 3,7% contre 7,4% en 2022 pour l’ensemble de la sous-région.
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Mais en matière de politique ou d’économie, on peut compter sur la capacité d’oubli des Africains. Quasiment personne n’a relevé que ce sont les mêmes motifs qui avaient été invoqués il y a trois mois, qui nous ont été resservis pour justifier la nouvelle hausse des intérêts. A savoir, les risques générés par «la montée des incertitudes tant au niveau international que régional». Et donc, que «la hausse des taux directeurs vise… à anticiper et à contenir l’impact de ces facteurs de risque». La Banque centrale bégaie-t-elle ?
On peut toutefois noter que la Bceao n’a manifestement pas vocation à porter le développement économique de la sous-région. Il suffit de la moindre secousse pour qu’elle resserre les cordons de la bourse, privant les entreprises et ménages de moyens d’accéder aux financements dont ils ont besoin, à des taux non usuraires. On a l’impression qu’elle copie à l’aveuglette ce que fait son pendant européen qui, elle, évolue dans un contexte social et économique totalement différent.
Si les Européens se plaignent des hausses des prix des produits de consommation courante, leurs pays et leurs institutions ont des mécanismes sur lesquels jouer pour atténuer les effets sur les ménages. Ces pays souffrent parfois de surproduction et ont des difficultés à écouler leurs produits.
Mais quand les dirigeants africains veulent jouer sur le même tempo anti-inflationniste, alors que tous leurs pays sont importateurs de produits alimentaires et des hydrocarbures, il risque de ne leur arriver que des faillites d’entreprises et, à terme, des émeutes des populations. Les Européens peuvent souffrir provisoirement du fait d’une conjoncture défavorable, et voir leurs dirigeants rester inébranlables sur leurs politiques macroéconomiques, car ils ont des marges pour financer leurs outils de production et relancer leur machine économique.
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En Afrique de l’Ouest, on peut se poser la question si les fonctionnaires internationaux nichés dans l’Immeuble «Le Baobab», n’ont pas trop le regard tourné au-delà du Port de Dakar, ignorant dans leur dos les petits marchands ambulants qui occupent les trottoirs du Plateau, au bas de leurs beaux bureaux de l’avenue Fadiga. S’ils changeaient leur perspective, ils se rendraient peut-être compte qu’il y a quelque chose de pourri dans le royaume du Cfa.
Il est assez paradoxal que nous ayons la monnaie la plus forte de la sous-région, alors que les économies de tous les pays de la zone franc ne sont pas plus compétitives que les autres. Et encore.
S’il n’est pas du rôle de la Bceao de faire changer les orientations économiques des pays, elle a au moins la capacité d’aider les dirigeants à trouver les moyens de leurs politiques. Tant que nos pays ne seront pas encouragés à développer l’agriculture et à mettre en place un bon tissu agro-industriel, ils seront toujours exposés aux menaces externes et internationales. Et la pénurie des finances, provoquée par les politiques monétaires, sera toujours un frein au vrai décollage économique auquel nous aspirons tous. Mais nos fonctionnaires internationaux ne connaissent sans doute pas la maxime latine «Errare humanum est». Sinon ils sauraient ce qu’on y ajoute parfois.
Au fait, où en-est-on avec l’Eco lancé par les présidents Ouattara et Macron à Abidjan ?
Par Mohamed GUEYE – mgueye@lequotidien.sn