Par Mohamed GUEYE – C’est une situation inédite dans un pays de grande démocratie. A moins de 5 mois du premier tour de la Présidentielle, nul ne peut dire au Sénégal qui sera effectivement candidat à la magistrature suprême. Il est vrai que le nombre de prétendants frôle la centaine. Mais tous les observateurs sérieux savent que la majorité des candidats autoproclamés ne franchiront pas la barre du parrainage. Malgré les assouplissements intervenus dernièrement dans le Code électoral, permettant de se faire parrainer par 0, 8% du corps électoral, soit par 13 députés, ou encore par 120 élus locaux. Un bon nombre de nos actuels aspirants-chefs de l’Etat ne semblent pas en mesure de remplir aucune de ces conditions. Et pour ceux à qui la publique renommée prête cette capacité, beaucoup ne peuvent pas se lancer dans la campagne de collecte. Et tout cela, du fait de la volonté d’une seule personne, à savoir le Président sortant, Macky Sall.
Ce dernier, après avoir lâché sa bombe à fragmentation, annonçant sa volonté de ne pas briguer un 3ème mandat à la tête du pays, a semé le désarroi chez bon nombre de ses partisans, tout en permettant à certains de laisser le champ libre à des ambitions longtemps refrénées. Si les dirigeants de la coalition au pouvoir, Benno bokk yaakaar (Bby), ont trouvé plus sage de lui laisser la possibilité de leur choisir le champion qui aura la lourde tâche de porter leurs couleurs au cours des prochaines joutes électorales, ils n’ont pas pu empêcher plusieurs d’entre eux d’exprimer au grand jour leur souhait de se faire désigner comme «candidat unique», au prétexte qu’ils seraient les mieux à même de faire gagner leur camp politique.
On voit ainsi, dans les médias, fleurir des articles ou émissions à la louange de candidats tels que Amadou Ba, le Premier ministre, Abdoulaye Daouda Diallo, le président du Conseil économique, social et environnemental (Cese), Amadou Mame Diop, le président de l’Assemblée nationale, Aly Ngouille Ndiaye, le Ministre de l’agriculture et de la sécurité alimentaire (Maersa), par ailleurs maire de Linguère, Mahammed Boun Abdallah Dionne, l’ancien Premier ministre… A côté de ces poids lourds présumés, on voit se dresser des prétendants comme Moustapha Diop, ministre et maire de Louga, El Hadj Mamadou Diao, maire de Kolda et Dg de la Cdc, Serigne Guèye Diop, maire de Sandiara et ministre-conseiller à la Présidence, Abdoulaye Diouf Sarr, ex-ministre et Dg du Fonsis. Sans compter un certain nombre de candidats en rupture de ban, comme le maire de Grand-Dakar, les anciens ministres Alioune Sarr, Aminata Assome Diatta, ou Coumba Ndoffène Diouf. Et il faut préciser que la liste n’est pas exhaustive. Il semble presque que chaque jour qui se lève, produit une nouvelle candidature.
Et nous ne parlons là que de la mouvance présidentielle. Comme Madiambal Diagne l’a relevé dans sa chronique du lundi dernier, la situation n’est pas différente dans l’opposition. La mise à l’écart de Ousmane Sonko a provoqué le même appel d’air que dans le camp d’en face, tous ses prétendus partisans semblant se tenir prêts à revendiquer la légitimité de continuer son combat, au moment où certains de ses militants veulent se convaincre qu’ils ont toujours une chance de le voir sortir de prison pour coiffer tout le monde au poteau…
Le risque de tout cela est que, si le Président Macky Sall ne délivre pas la Nation en déclarant rapidement son choix, il risque de pousser à une radicalisation de certains candidats, qui ne se retrouveraient pas dans le choix qu’il aura à faire, si celui-ci n’est pas en leur faveur. Des gens comme Aly Ngouille Ndiaye et Abdoulaye Diouf Sarr répètent à l’envi qu’il ne saurait y avoir d’autre choix en dehors du leur au sein de Benno. Abdoulaye Daouda Diallo pense pouvoir faire pencher la balance en sa faveur grâce à ses militants du Fouta. Que restera-t-il de Benno si ces gens en viennent à claquer la porte de frustration ?
Même en comptant sur un émiettement de l’opposition dont on sait qu’elle ne pourrait pas présenter un bloc uni, Yaw ayant fini de voler en éclats, le candidat de Macky, face à une importante fronde de certaines franges de la majorité, aurait du mal à passer le premier tour.
On pourrait invoquer la folie des grandeurs de certains qui se seraient vus trop grands. Mais en réalité, pourrait-il y avoir d’autre responsabilité que celle de Macky Sall, qui est jusqu’à preuve du contraire, le seul ciment qui permet de tenir en bride toutes ces ambitions contraires ? Quelle que puisse être la raison, la mascarade des consultations pour déterminer le meilleur candidat de Benno aurait pu ne pas prendre autant de temps. S’il savait qu’il allait lâcher les rênes du pouvoir à la fin du mois de mars prochain, le président de la Coalition Bby avait le temps de se préparer un dauphin, même s’il ne voulait pas l’exposer en l’annonçant trop tôt/ et il avait encore assez d’autorité pour l’imposer sans trop de casse à ses partisans. Or, plus le temps passe, moins il garde encore du pouvoir. Et en faisant traîner les choses, il donne à certains le sentiment d’avancer à contre cœur, ce qui permet à la rumeur de spéculer sur une éventuelle prolongation de l’actuel mandat présidentiel, pour défaut de pouvoir organiser la Présidentielle à temps. On sait bien sûr que cela n’est pas possible, mais laisser perdurer de telles élucubrations ne permet pas de garantir un climat apaisé dans le pays.
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