Bredouille, le cinéma africain à Cannes en 2025 ? Pas tout à fait, pan sur le bec, comme on dit au Canard Enchaîné, puisque le premier film nigérian jamais projeté sur la Croisette a reçu un accessit mérité. Cela, lors d’une cérémonie de clôture qui a bien failli ne pas avoir lieu, pour cause d’un sabotage du réseau électrique cannois. Ainsi s’est conclu le 78e Festival international du film de Cannes, sous forme d’un thriller dont le suspense méritait en soi de concourir pour la Palme d’or.

Samedi 23 mai, vers 19h, plus ou moins, Palais des festivals de Cannes. Une lueur s’invite sur la scène de la cérémonie de clôture du 78e Festival de Cannes menacée d’un black-out total depuis le milieu de la matinée, précisément 10h 02. Durant cinq heures, une panne résultant d’un authentique sabotage, privant par ailleurs 160 000 foyers d’électricité, a manqué de compromettre l’événement. La lueur en question a les traits de Akinola Davies Jr (My Father’s Shadow), mention spéciale du jury de la Caméra d’Or présidé par la cinéaste italienne Alice Rohrwacher. Le prix récompense le meilleur premier film. Akinola l’aurait mérité s’il n’était attribué à l’Irakien Hassan Hadi. Une double première donc. Ni le Nigeria, ni l’Irak n’ont été auparavant sélectionnés, et encore moins récompensés. Les deux, c’est l’essentiel, mettent en scène le regard d’enfants sur l’absurdité et la violence du monde figurées par un coup d’Etat d’une junte militaire nigériane et autre coup d’Etat d’une autre junte, irakienne cette fois.
Palais des festivals de Cannes, une heure plus tard. La Palme d’or est attribuée au film Un simple accident du dissident iranien Jafar Panahi, incarcéré puis privé de passeport durant 14 ans. Téhéran ne manquera pas de dénoncer quelques heures après, des propos «insultants» du ministre des Affaires étrangères français, critiquant à l’occasion «l’oppression du régime iranien». Culture et géopolitique (ou realpolitik) se chevauchent, c’est le concept même de soft power. Or le Festival de Cannes est financé à hauteur de 10 millions d’euros par l’Etat français, soit la moitié de son budget, moins les paillettes. La 78e édition d’une manifestation née en 1946 n’y échappe pas. Celle-ci a vu la présidente du jury, l’actrice Juliette Binoche, adjoindre sa signature à la pétition pour Gaza dénonçant l’atroce génocide des Gazaouis par Israël. Des militaires ukrainiens en tenue de combat ont gravi les fameuses 24 marches du tapis rouge. Robert de Niro, honoré pour sa carrière, a dit publiquement tout le mal qu’il pensait de Donald Trump au nom de l’égalité, de la liberté et de la fraternité. Quel rapport avec le sabotage qui a manqué de nous priver de la grand-messe du cinéma cannois ? En apparence aucun. Faute d’une quelconque revendication, celui-ci relèverait officiellement d’un acte certes «attentatoire», mais finalement de l’ordre de la «malveillance». Un acte qui, à l’évidence, ne peut avoir été commis par des amateurs.

Le jour suivant, un sabotage de la même nature s’est produit à Nice. Cependant, dans la salle du Palais, tous ont pu lire sur le visage du Délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, le stress de l’épreuve subie par ses organisateurs durant cinq longues heures. Jamais, depuis la révolte de Mai 1968, incarnée par les Truffaut, Berri et Godard, le festival en question n’avait risqué d’être privé de cérémonie. Le «simple incident» de cette panne a ensuite été passé sous silence toute la soirée. Le rituel des conférences de presse a été accéléré de telle sorte que le correspondant du Quotidien n’a pas été autorisé à poser une seule question, ni au jury ni à Akinola Davies. Vous avez dit omerta ?

La disette continue pour l’Afrique
Pendant ce temps, l’Afrique attend depuis un demi-siècle une nouvelle Palme d’or. Parmi les coïncidences que seule décide la volonté divine, c’est lors de la projection de Chronique des années de braise, de Mohammed Lakhdar-Hamina (1975), dans la sélection Ciné Classics, que nous avons appris le décès du réalisateur. Il demeure le premier et dernier cinéaste africain à recevoir la fameuse Palme d’or. D’où la lueur d’aube nouvelle qu’apporte Akinola Davies Jr, ou encore l’Ethiopien Beza Hailu Lemma honoré par le prix Next Step lors de la Semaine de la critique pour son long métrage The Last Tears of the Deceased. Valeur : 2500 euros. Mieux que rien. Alors, ajoutons notre propre palme au principal protagoniste du film réalisé par le cinéaste espagnol Oliver Laxe auréolé d’un Prix du jury : les montagnes du Sud marocain. Titre de ce road-movie de toubabs déjantés : Sirât. Soit, dit le Coran, ce pont fin comme un cheveu, que nous aurons à traverser pour notre propre résurrection. Et celle du cinéma africain.