Ces jours-ci, Washington bruisse des négociations entre les gouvernements des Etats-Unis et de la République démocratique du Congo (Rdc). Enjeu : paix et minerais stratégiques.

 

De Doha à Washington, des négociations intenses
Lorsqu’en février dernier, dans le New York Times, le Président congolais, Felix Tshisekedi, soumet cette offre à son homologue américain, le parallèle avec l’Ukraine saute aux yeux. Volodymyr Zelensky n’est-il pas en train de discuter d’un «deal», paix contre minerais, avec ce même Donald Trump ? Dans la foulée, le 2 avril, ce dernier envoie, à Kinshasa, Corina Sanders, Deputy Assistant Secretary en charge de l’Afrique au département d’Etat, et son Conseiller spécial, Massad Boulos, qui a la particularité d’être Libanais, Nigérian et Français, donc parfaitement francophone et connaisseur de l’Afrique, mais aussi d’être le beau-père de Tiffany Trump. L’architecture de ces échanges semble au demeurant intégrer le volet régional, avec des visites parallèles au Kenya, au Rwanda et en Ouganda, mais également les acteurs non étatiques. Le 18 mars au Qatar, les Présidents congolais et rwandais entament des discussions sur le volet sécuritaire, puis, le 18 avril, lors de négociations de cessez-le-feu, sont présents des représentants du M23, cette milice soutenue par le Rwanda et qui sème la terreur à l’Est de la Rdc où leurs exactions, lors de la prise de Goma et Bukavu en janvier, ont coûté la vie à 5000 Congolais.

Lire la chronique – L’art digital a-t-il un avenir en Afrique ?

Une lutte pour la survie

L’enjeu est de taille : la Rdc lutte pour sa survie depuis 3 décennies, faisant face à de persistantes déstabilisations internes et externes qui non seulement détruisent la vie de ses citoyens (on parle de 10 millions de morts depuis 1998), mais également menacent sa souveraineté et son intégrité territoriale. Impuissante, la Monusco, la plus grande et plus ancienne force de Casques Bleus de l’Onu, a fini par jeter l’éponge, à moins qu’à force d’inefficacité, elle ait fini par désespérer une population locale qui n’en attendait plus rien. Les richesses innombrables du Congo en font un objet constant de prédation. La Rdc est non seulement le plus grand producteur mondial de cobalt, mais elle détient également 60% des réserves mondiales de coltan. Un marché indispensable aux technologies vertes et aux industries de la défense, mais essentiellement contrôlé par la Chine.

Lire la chronique – Nouveaux droits de douane américains : Pour l’Afrique, compter sur soi-même

L’impasse de la guerre à l’Est a conduit le Président Tshisekedi à se tourner vers le Président américain dont la réputation de «dealmaker» a été vue comme une opportunité de pousser un agenda de sécurité et de paix en échange d’investissements américains dans le secteur minier du pays. Certains verront dans cette démarche une approche bien mercantile, voire tout aussi prédatrice que celle que tous dénoncent. Il n’en demeure pas moins qu’après trente ans de guerre, nulle autre solution n’était disponible aux dirigeants du Congo.

Les dessous du «deal» trumpiste

Nul n’est capable de dire la nature ou les détails du «deal». Cependant, Corina Sanders, de retour de Kinshasa, a levé un coin du voile lors d’un évènement à Atlantic Council concernant ces négociations. Soulignant que l’objectif des Etats-Unis est d’augmenter leurs investissements et leurs exportations -vers l’Afrique, d’éliminer le déficit commercial américain et de favoriser une prospérité mutuelle. Elle a précisé : «Nous considérons l4Afrique comme une grande opportunité de développer nos partenariats commerciaux. C’est la raison pour laquelle le commerce -et non l’aide- est notre priorité quand il s’agit du continent.» Elle a alors vanté l’utilité de la négociation en cours, citant l’engagement des Etats-Unis envers le Rwanda, la Rdc et d’autres pour empêcher la fermeture de la mine Alphamin, qui produit environ 6% de l’approvisionnement mondial en étain.

Tant que la Rdc n’ira pas bien, l’Afrique sera à la peine

Cela dit, et alors que les négociations sont en cours, il n’est pas inutile de rappeler que la Rdc est un bien commun africain. L’expérience congolaise déterminera l’avenir africain tant ce pays, par ses dimensions et ses ressources, peut affecter, positivement ou négativement, le reste du continent. Il y a une obligation de réussite qui dira beaucoup de la qualité de ces deals trumpistes (Kiev observe de près ce qui se passe du côté de Kinshasa) mais, plus fondamentalement, mettra fin à trois décennies de malheurs sur son flanc Est martyr.

Enfin, il ne saurait y avoir de succès sans prise en compte de l’intérêt des populations. C’est la raison pour laquelle, sous la direction de Aubrey Hruby, cheffe du pôle économique de son programme africain, Atlantic Council a publié, à l’intention des négociateurs, huit recommandations remises à Mme Sanders. Parmi elles, sans doute les plus fondamentales sont celles qui préservent la souveraineté africaine sur les ressources, comme celles qui agissent positivement sur le bien-être des populations.

Etre prêts en cas de défaillance américaine
Dans cette catégorie, en cas de défaillance américaine future, l’inclusion des entreprises américaines doit en parallèle s’accompagner de celle des acteurs financiers africains, qu’il s’agisse des banques, du secteur privé africain et des institutions financières de développement selon un dispositif similaire au projet de Lobito Corridor, où Africa Finance Corporation s’est associée à l’Américaine Development Finance Corporation.

Lire la chronique – Pour une agriculture «Made in Africa»

Travailler avec des partenaires ayant de l’expérience dans le développement minier et infrastructurel permettra une plus grande souplesse dans la gestion des produits financiers. Ces partenariats mutuellement bénéfiques peuvent réduire efficacement les risques liés aux projets de minéraux critiques et raccourcir la longue et coûteuse courbe d’apprentissage à laquelle les Etats-Unis sont confrontés pour investir dans un secteur que les Chinois, ultradominants, ont appris à connaître depuis deux décennies. Afin de capturer les capacités financières nouvelles observées en Afrique, il conviendrait également d’inclure dans ces dispositifs financiers, les ressources tirées des fonds de pension africains, des obligations d’Etat et des fonds de la diaspora.

Former une génération d’ingénieurs miniers africains
Enfin, il nous a semblé important de travailler plus sérieusement à l’émergence d’une génération de jeunes ingénieurs africains en exploitation minière. Si les Etats-Unis veulent faire la différence, notamment avec la Chine qui, en 2023, accueillait 82 000 étudiants africains, soit près de deux fois plus que le nombre d’étudiants africains ayant étudié aux Etats-Unis, l’Administration Trump devra sans doute adapter sa politique migratoire en amplifiant ses programmes tels que le programme de leadership des visiteurs internationaux du département d’Etat, le programme Fullbright, les programmes de l’Office de coopération scientifique et technologique, le programme Sabit de l’Administration du commerce international, en coopération avec les universités spécialisées telles que la Colorado School of Mines, l’Université de l’Alaska à Fairbanks et la South Dakota School of Mines and Technology.

Au moment où l’on prédit une finalisation de l’accord sur les minerais à la fin du mois de juin, il n’est pas trop tard pour intégrer ces dispositions capitales pour l’avenir du Congo et, partant de là, de l’Afrique.

Rama YADE
Directrice Afrique – Atlantic Council