Une opposition si normale…

Donc, le Dialogue national prend fin. Il a le mérite de nous indiquer sur qui le régime Pastef pourrait compter en cas d’urgence. Les gens qui dialoguent ne refuseront pas vraiment une proposition indécente de gouverner ensemble. Y’a là à piocher sans réserve, dans du gratin de tous bords, tous âges pour toutes les fonctions.
Il suffit d’un claquement de doigts pour que ça rapplique ventre à terre.
En face, il y a le peuple des gens qui ne dialoguent pas. Dont les fidèles à Macky Sall qui avalent les couleuvres de leur leader avec une touchante dignité. Ça se dégarnit quand même dans leurs rangs, à la tête desquels se distingue de plus en plus un Pape Malick Ndour en verve : certaines de leurs identités remarquables, de l’envergure de Abdoulaye Daouda Diallo, bien que viré sans ménagement du Cese, ne refusent pas la main tendue par leurs bourreaux.
On ne se refait pas…
Et puis il y a aussi, dans le camp des radicaux, d’anciens alliés dont le «dôm’ou ndèye» de Ousmane Sonko, Barthélemy Dias, dépouillé de tous ses mandats par son ex-frère d’une autre mère, qui lance l’assaut en priant pour que le Ciel nous épargne d’élire des dirigeants, disons, peu recommandables. Il se donne des allures wadiennes, drapé dans un grand boubou éclatant et perché par-dessus sa décapotable tout-terrain pour s’offrir son bain de foule.
Il y a aussi Thierno Alassane Sall, qui s’inquiète du rythme d’endettement du nouveau régime et balance des chiffres astronomiques. La vraie question : à quoi tout cet argent peut-il bien servir ? Réponse en 2029…
Notre pays serait-il en train de redevenir normal ? Des opposants au vocabulaire châtié qui parlent gouvernance, ça fait pas mal de temps qu’on n’a pas vu ça sous nos cieux.
Jusque-là, notre cirque politique relève plutôt du fait divers, de surcroît bas de gamme. Seulement voilà : la différence saute aux yeux, entre un opposant qui n’a jamais dirigé une réunion de décideurs sérieux mais s’autorise à s’incruster dans le débat public, et d’anciens hommes d’Etat pour lesquels les affaires publiques n’ont pas de secret.
Le terrain d’affrontement qu’ils choisissent est bien plus civilisé, à n’en pas douter.
Raison pour laquelle le président de la République a le loisir d’aller choisir ses moutons sans stresser, tandis que le Premier ministre peut se payer le luxe de sillonner la sous-région pour, entre autres, papoter avec des putschistes, leur apporter la caution morale du Sénégal. Quant à son séjour ivoirien, il est parfait jusqu’à ce qu’il décide de rencontrer Laurent Gbagbo, l’ennemi juré du Président Ouattara…
On se vexerait pour moins que ça ?
C’est aussi la semaine où votre serviteur balance ses chroniques des ans foirés. Est-ce bien raisonnable, à une semaine de la Tabaski, de publier un ouvrage au ton impertinent et au prix scandaleux ? En tout cas, cette tentative suicidaire me fait rencontrer des gens normaux : ils achètent des livres, pour lire et même parfois pour en faire cadeau, s’intéressent à la culture, ne font pas de fixation sur une bête à cornes, s’offrent des loisirs, se nourrissent l’esprit et ne font pas pitié.
Ils sont cette majorité silencieuse qui gagne sa vie honnêtement, éduque ses enfants, prend soin de ses parents, s’offre des vacances pour découvrir le monde sans tapage et observe la scène publique sénégalaise avec comme de l’inquiétude.
Hauts les cœurs, voyons : ne jamais désespérer du genre humain…
Ceci dit, la Tabaski est dans quelques jours, alors autant éviter d’énerver votre voisin lequel, si ça se trouve, est un retraité polygame et fauché, avec une quinzaine de descendants au compteur dont deux nourrissons, une dizaine d’adolescents perturbés et de jeunes adultes dépressifs…
Répondez poliment à son hochement de tête qui tient lieu de salutation, et ne vous vexez pas s’il passe devant vous sans vous voir, il n’est plus très seul dans sa tête depuis qu’on est entré dans la dernière ligne droite.
Pour rester optimiste, ce Sénégalais très ordinaire commence par acheter dix mètres de bazin, une paire de marakiss assortie, une corde et un couteau, du charbon de bois, quelques kilos d’oignon et de pomme de terre, en attendant que l’Ipres daigne lui sauver la vie à la dernière minute. C’est vrai, la pension de retraite ne suffit pas, mais c’est déjà un pas en direction du foirail.
La suite se joue sur la qualité du carnet d’adresses : vous savez bien, l’économie de la pitié…
Donc vous, le citoyen équilibré, si vous pouvez ne pas attacher devant votre domicile votre toubab-bér blanc immaculé dont les cornes torsadent vers le ciel, ce serait un signe de bon voisinage supplémentaire.
Vous êtes un homme normal, donc, monogame convaincu. Soyez fou et faites la leçon à votre distinguée épouse : si elle peut cette semaine délicate ne pas exhiber ses parures étincelantes, garer son bolide et rentrer incognito de La Mecque, ça vous garantirait la reconnaissance éternelle du voisin qui n’en peut plus de passer pour un gagne-petit aux yeux de son harem.
Et si, par extraordinaire, vous tombez nez-à-nez avec lui quand il ramène nuitamment son peul-peul maigrelet, essayez de détourner le regard de l’autre côté : vous n’avez rien vu.
Bon, quittons nos moutons de Tabaski qui ne sont pas toujours ceux que l’on croit, et bonne fête.
Par Ibou FALL