L’économie invisible de nos cousins peuls : une leçon de souveraineté silencieuse

Dans un pays où l’on parle souvent de plans d’émergence, de start-up nation et de financements publics pour booster l’entrepreneuriat, une communauté avance à contre-courant, avec méthode, patience et efficacité. Les Peuls. Oui, nos cousins peuls, souvent discrets dans l’espace médiatique, mais redoutablement présents sur le terrain économique.
Ils n’ont pas attendu les appels à projets de la Der, les financements de la Bnde ou les subventions étatiques pour agir. Eux ont construit, pierre après pierre, un modèle économique propre, circulaire, verrouillé et résilient. Un système hyper imperméable, dans lequel rien ne se fait sans parrainage, sans cooptation, sans légitimité reconnue par les siens.
Leur force ne réside pas seulement dans ce qu’ils vendent, mais dans la manière dont ils le vendent, à qui, et dans quelles conditions. Ils ont patiemment tissé un réseau tentaculaire mais parfaitement structuré, qui contrôle toute la chaîne de valeur, de la production jusqu’au consommateur final.
Prenez un marché populaire dans n’importe quelle ville du pays. Vous y verrez un jeune peul vendre du pain, un autre de l’eau en sachet, un autre encore des légumes. Mais regardez bien : derrière cette activité en apparence modeste, se cache un système d’une sophistication impressionnante. Une logistique intégrée, un circuit d’approvisionnement maîtrisé, une stratégie territoriale assumée.
Et ce n’est que le début. Car aujourd’hui, ils investissent dans la restauration rapide, le fast-food, l’immobilier. Toujours en gardant leur logique d’auto-renforcement, toujours avec cette fidélité au modèle communautaire.
Mais ce qui frappe le plus, c’est la mécanique d’insertion qu’ils ont mise en place.
Un modèle par paliers, où l’on ne devient pas entrepreneur du jour au lendemain :
D’abord, tu es vendeur ambulant, pour apprendre le terrain ;
Puis on te confie une table ;
Ensuite, tu entres dans la petite distribution ;
Et à terme, tu peux accéder à des unités fixes ou à des circuits élargis.
Chacun avance à son rythme, mais jamais seul. Il y a toujours un aîné, un cousin, un frère pour accompagner, surveiller, conseiller. Ce n’est pas juste une activité économique, c’est un système de vie. Une économie pensée non pour l’individu seul, mais pour le collectif.
Pendant que d’autres attendent des financements pour «lancer leur projet», eux lancent leurs jeunes dans la vie avec un sachet d’eau, une petite bassine de pain ou un panier de légumes. Mais derrière cette humilité apparente, il y a une école de discipline, une stratégie d’adaptation et surtout une souveraineté assumée.
Oui, c’est de cela qu’il s’agit : de souveraineté économique.
Une souveraineté fondée sur la transmission, sur la solidarité, sur la vision. Ils ne crient pas leur succès, mais ils sont là, partout, insérés, organisés, efficaces. Ils n’attendent pas qu’on les aide : ils s’aident eux-mêmes.
Et cela doit nous interpeller.
Dans un monde où tout semble dépendre de l’extérieur, de l’Etat, de l’aide, eux nous rappellent que l’économie peut aussi partir de la base, de la rue, du foyer, du groupe.
Ils ne demandent pas la lumière. Mais peut-être est-il temps de braquer le projecteur sur leur modèle. Non pour les déranger, mais pour apprendre d’eux.
Car au fond, ils ont déjà réussi là où tant d’autres tâtonnent encore.
Souleymane Jules SENE