Entretien avec… – Alioune Diouf, Trésorier général national du Cusems : «La parole, c’est pour l’opposition»

Le Cadre unitaire syndical des enseignants du moyen-secondaire (Cusems) demande à l’Etat d’organiser des négociations pour leur expliquer comment il compte matérialiser ses promesses de campagne. Alioune Diouf, le Trésorier général national du Cusems, estime que les enseignants ont fait preuve de «patriotisme», en laissant au nouveau régime un temps de grâce d’une année. Il en veut pour preuve la non-perturbation de l’année scolaire qui vient de s’écouler. Et les revendications sont là : Alioune Diouf cite la correction du système de rémunération si le gouvernement souhaite une année sans perturbation à la rentrée. «Les gens qui sont au pouvoir doivent poser des actes. S’ils refusent, nous allons les contraindre à le faire», a-t-il assuré. Pour lui, «il y a eu beaucoup de discours avant de prendre le pouvoir, des discours depuis la prise du pouvoir. Quand on est au pouvoir, les actes sont plus éloquents. La parole, c’est pour l’opposition».
Propos recueillis par Malick GAYE – Les résultats du premier tour au Bac sont sortis. L’année écoulée a-t-elle été suffisamment bien managée pour espérer de bons résultats ?
Vous avez constaté qu’il n’y a pas eu de perturbations. C’est dû au patriotisme des enseignants, car il y a beaucoup de questions qui sont encore latentes, qui ne sont pas vidées par le gouvernement. Malgré cela, les enseignants ont accepté de faire une année sans perturbations. Qu’on ne s’y trompe pas : ce n’est pas parce que les problèmes ont été réglés, c’est juste que les enseignants sont des patriotes. Il fallait laisser une période de grâce à ce gouvernement. Qu’il comprenne que cette grâce est terminée.
La période de grâce est terminée. A quoi doit-on s’attendre ?
Nous attendons du gouvernement qu’il mette à profit les vacances scolaires pour régler certaines questions. Ils avaient pris des engagements fermes sur certaines questions. C’est le statu quo et les gens ne cherchent pas à régler le problème. Il n’y a même pas d’ouverture de négociations sérieuses sur ces questions. Ça ne peut perdurer. Organiser des rencontres pour organiser des rencontres ne sert à rien. Il y a beaucoup de rencontres, c’est vrai. Mais on n’évolue pas. Depuis qu’ils sont au pouvoir, ils n’ont pas accepté de parler du système de rémunération, alors que c’est le point phare depuis plus de 20 ans. Il y a une injustice dans la Fonction publique. Des agents de la hiérarchie B qui perçoivent plus que les agents de la hiérarchie A qui sont dans l’éducation. C’est une question que l’actuel Premier ministre a portée comme revendication quand il était dans l’opposition. Et dans leur livre-programme, ils ont pris l’engagement de régler ce problème en corrigeant le système de rémunération. Récemment, ils ont parlé de rebasing salarial. Ça reste des slogans. Et jusqu’à présent, il n’y a pas de rencontre entre les syndicats et le gouvernement pour en discuter. C’est une attente forte des enseignants qui ne peut être occultée, sans quoi les syndicats seront obligés de partir en grève. Avant d’en arriver à ce stade, il faut mettre à profit les vacances. Il n’est pas possible de s’engager en étant opposant et une fois au pouvoir, vous faites un rétropédalage. Ce n’est pas possible.
Est-il responsable d’exiger la satisfaction de ce point au regard des finances publiques qui sont dans le rouge ?
On ne demande pas à l’Etat de nous donner l’argent tout de suite. Vous êtes élus sur la base d’engagements que vous avez pris, même si vous pensez qu’à l’instant vous n’êtes pas en mesure d’honorer vos engagements, il est plus courtois d’en parler avec les concernés et leur dire quand vous comptez les appliquer. Mais le problème, c’est que vous ne dites rien et vous ne voulez même plus parler du système de rémunération. On a l’impression que le gouvernement veut faire un rétropédalage. Ce qu’on ne va pas accepter. L’ancien régime avait commencé la correction. L’Etat, c’est la continuité, avec le nouveau régime, on attend qu’il nous dise ce qu’il va faire. Avec les accords de 2022, l’Etat a augmenté le salaire des autres corps de la Fonction publique, creusant davantage le gap. Nous voulons l’équité. Le Jub, Jubal, Jubanti ne doit pas être un simple slogan.
Avez-vous confiance au tandem de l’Exécutif ?
Il nous faut des actes concrets. Il y a eu beaucoup de discours avant de prendre le pouvoir, des discours depuis la prise du pouvoir. Quand on est au pouvoir, les actes sont plus éloquents. La parole, c’est pour l’opposition. Les gens qui sont au pouvoir doivent poser des actes. S’ils refusent, nous allons les contraindre à le faire.
3 ans après les accords de 2022, vous revenez à la charge, exigeant des négociations avec l’Etat. Qu’est-ce que vous voulez réellement ?
Ce qui nous lie avec les tenants du pouvoir, ce sont les engagements. Quand vous prenez des engagements, il faut les respecter !
Ce respect aura une incidence financière. Avec la morosité économique et la masse salariale de la Fonction publique qui ne cesse d’augmenter, pensez-vous que l’Etat a une marge de manœuvre ?
Nous ne sommes pas dans le domaine politique. Nous sommes des syndicats. A chaque alternance, on entend les nouvelles autorités accuser les sortants d’avoir tout volé. C’est la même chanson. Le régime dit qu’il n’y a pas d’argent. Mais seuls les engagements qu’ils avaient pris et notre situation nous intéressent. Le rôle de l’Etat, c’est de corriger les injustices. Les enseignants ont été pendant longtemps les parents pauvres de la Fonction publique. Quand vous êtes professeur de philosophie avec un Bac plus 6 classé dans la hiérarchie A1, vous pouvez être payé par un agent de la Justice de hiérarchie B deux ou trois fois votre salaire. C’est ça l’incohérence. Sonko avait lui-même animé une conférence du Cusems sur la question, il avait clairement dit que c’est inacceptable. Dans la Fonction publique, on paie sur la base de la hiérarchie. Nous voulons juste qu’ils nous disent s’ils sont dans les dispositions de corriger cet impair et comment ils comptent le faire.
Vous exigez un traitement salarial équitable, mais on reste dans l’exemple que vous avez donné : un agent de la Justice n’a pas le même niveau d’exposition qu’un enseignant dans l’exercice de ses fonctions, tout comme l’effectif de la Justice n’est pas comparable à celui de l’éducation.
C’est justement l’erreur qu’il ne faut pas commettre. L’Etat ne paie pas sur la base du nombre. Il paie sur la base du diplôme. C’est l’argument de l’Etat de parler de l’effectif. Si les enseignants sont nombreux, c’est parce que les Sénégalais sont devenus nombreux. On ne peut pas nous dire que les enseignants sont nombreux, on va leur donner un salaire de misère. Ce n’est pas responsable. Le salaire de base d’un enseignant est le même que celui d’un magistrat. C’est sur le régime indemnitaire qu’il y a une différence. L’indemnité de judicature du magistrat est deux fois le salaire intégral du professeur de philosophie, et pourtant ils sont de la même hiérarchie.
Des enseignants ont signalé une surimposition concernant le paiement de leurs arriérés résultant des accords de 2022. Avez-vous le sentiment d’être roulés dans la farine par l’Etat qui s’est engagé à vous augmenter tout en récupérant une bonne partie de cette somme via les impôts ?
Au départ, c’est ce que l’Etat avait tenté de faire. On avait signé les accords en mars et les applications devaient commencer en fin avril-début mai. Quand on avait reçu les salaires, il y avait une grosse déception, car l’Etat avait imposé les montants. On a entamé une deuxième série de négociations et l’Etat avait fini par respecter l’intégralité des montants signés.
Quel est l’état d’avancement des décisionnaires ? Vous avez fustigé les lenteurs administratives. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Je dois dire que l’enseignant décisionnaire en activité n’a rien à envier aux fonctionnaires. Il a peut-être un meilleur traitement que le fonctionnaire. Il peut percevoir jusqu’à un million de salaire quand il est chef d’établissement. Mais une fois à la retraite, ses revenus sont divisés par 10. Il a du mal à avoir une pension de retraite de 100 mille Cfa. L’Etat doit refuser qu’une personne ayant servi son pays pendant 25 ans se retrouve dans la misère à la retraite. C’est la situation des enseignants décisionnaires. Il y a deux projets de décrets à ce sujet qui datent de l’ancien régime. En janvier 2025, le nouveau régime a pris l’engagement de signer ces décrets. On ne va pas cracher là-dessus, mais ça ne règle pas le problème. Ces décrets ne concernent que les décisionnaires avant l’âge de 35 ans. La quasi-totalité des décisionnaires avaient plus de 35 ans avant d’entrer dans la Fonction publique. Le problème reste entier si on s’en arrête qu’aux gens de moins de 35 ans. L’Etat nous dit que c’est un problème de cotisation, car le décisionnaire cotise moins que le fonctionnaire. Nous proposons un fonds d’appui qui doit être reversé au Fonds national de retraite. S’il y a un gap de cotisation, que l’Etat prenne en charge une partie et le décisionnaire l’autre partie. On propose à l’Etat l’extinction des décisionnaires, quitte à recruter des enseignants de moins de 35 ans.
Vous avez dénoncé une «surimposition» sur les rappels d’intégration, entre autres. Qu’en est-il ?
L’Etat paie les rappels d’intégration, de validation et d’avancement. Les militants nous disent que les rappels sont surimposés. Pour un rappel de 4 millions, l’enseignant se retrouve avec 2, 5 millions. Le reste est considéré comme impôts. On estime que c’est exagéré et une surimposition. Nous demandons à l’Etat de faire en sorte qu’il n’y ait plus de rappels à payer. Il faut intégrer directement les sortants de la Fastef, comme c’était le cas avant. Il n’y aura plus de rappels, car ils perçoivent directement leur salaire. Le rappel est devenu une grosse dette intérieure pour l’Etat. Le montant augmente chaque année.
Avec une masse salariale de la Fonction publique que l’Etat peine à supporter, proposer une intégration directe des sortants est-il faisable ?
L’éducation est sacrée. Il ne peut y avoir de développement sans éducation. Il faut mettre les moyens qu’il faut pour avoir une éducation de qualité. Il faut qu’on soit transparent avec la masse salariale de la Fonction publique. Qu’on nous dise la part que les enseignants consomment dans cette masse salariale et qu’on dise nos effectifs. Nous sommes 70% de l’effectif de la Fonction publique. Si la masse salariale explose, ce n’est pas à cause des enseignants. C’est du fait de recrutements clientélistes et politiques. S’il y a des mesures à prendre, il faut aller là où il y a un surnombre. Tout le monde sait que le nombre d’enseignants est insuffisant. On doit recruter chaque année 5 à 6 mille enseignants. Si l’éducation coûte cher, essayez de savoir ce que coûte l’ignorance. C’est pour cela que nous sommes contre le recrutement des 2000 enseignants. Il faut recruter par voie de concours. L’enseigne-ment est assez sérieux. Il faut être un professionnel pour le faire. Il faut être formé.
On parle d’un déficit de formation et on parle de recrutement de 2000 enseignants. N’est-ce pas paradoxal ?
Le ministère nous avait demandé de s’inscrire sur la plateforme Mirador pour les besoins de formation. Ils avaient promis que le début de la formation est pour le mois d’octobre, mais jusqu’à présent, on attend. Il y a des enseignants qui démarrent avec le Bac tout en continuant leur formation dans d’autres domaines. C’est ce qu’on appelle les mises en position de stage. Il y a aussi les chargés de cours, qui doivent se former pour devenir professeur car ils ont un statut d’instituteur. Le besoin de formation est là. Le ministère avait dit au début qu’il allait organiser la formation en ligne pour enrôler tout le monde. Le ministère avait proposé de mettre l’Uvs à contribution. Je pense qu’il faut casser le monopole de la formation des enseignants. Il y a plusieurs universités. Il faut leur permettre de former des enseignants. Ce qui va beaucoup aider.
Vous en êtes où avec le prêt Dmc ?
Il y a un retard d’une dizaine d’années. On est en train de payer les demandes de 2015. En 2018, l’Etat a externalisé le prêt. Désormais, ce sont les banques qui le gèrent. Des enseignants nous disent qu’ils se font couper 60 mille par mois alors qu’ils n’ont pas encore reçu l’argent. On demande à l’Etat de revoir la convention avec certaines banques qui sont incapables de respecter les engagements. Si elles ne peuvent pas satisfaire la demande, qu’on casse le contrat au profit d’autres banques qui en ont la capacité.
Avec tout ce que vous venez de dire, on a l’impression que le Pacte de stabilité ne vous lie pas.
Le Pacte de stabilité a été signé avec des centrales syndicales. Nous étions certes à la rencontre, mais nous sommes un syndicat de secteur et pour garder notre autonomie, nous ne sommes pas affiliés à une centrale. Le Sytjust est en train de faire la grève car les centrales ne maîtrisent pas les travailleurs. Quand le travailleur a un souci, il pense à tout le monde sauf à la centrale, parce qu’à la tête de ces centrales, il y a des gens qui ne se battent plus pour le monde du travail.
Il y a un activiste très célèbre qui reçoit tous les travailleurs en difficulté, ça consacre la faillite des centrales. Lorsqu’il y a augmentation du coût de la vie, les centrales doivent être en première ligne pour défendre les travailleurs. C’est quand la dernière fois qu’une centrale s’est fait entendre sur la vie chère ? Les centrales, aujourd’hui, c’est plus le prolongement de l’Etat que la défense des travailleurs. C’est plus des bureaucrates qui sont du côté de l’Etat. C’est pourquoi quand elles signent des pactes de stabilité, ceux-ci installent l’instabilité dans le monde du travail. On n’écoute pas les centrales, sinon on n’ira jamais en grève.
Récemment, un programme de résorption des abris provisoires a été lancé. Pour vous, c’est un énième plan ou vous avez de bonnes raisons d’y croire ?
Les abris provisoires sont un cancer dans l’éducation. Il faut les éradiquer. On parlait de 6000 abris avec l’ancien régime. Aujourd’hui, on parle de 7000. Ils augmentent chaque année. C’est une honte de voir des Sénégalais étudier dans des abris provisoires en 2025. Je veux être optimiste et saluer cette ambition. Ils ont promis d’éradiquer les abris avant la fin du mandat. On va suivre. Essayons de leur donner une préemption de bonne foi. Espérons qu’il sera une réalité. On attend de voir pour croire, car tous les gouvernements avaient fait la même promesse.
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