Exposition – «Regards nouveaux, Yessal gis-gis» : Quand l’art place le pays devant ses responsabilités

L’art est avant-gardiste. Ce n’est pas une théorie académique inaccessible. Il faut visiter l’exposition «Regards nouveaux, Yessal gis-gis» pour s’en rendre compte. Les artistes mettent les Sénégalais devant leurs responsabilités. Ils exposent le pays dans toute sa splendeur, sans oublier de mettre l’accent sur ce qui pourrait le menacer. C’est une exposition à visiter et à revisiter.Par Malick GAYE –
Il est admis dans la mémoire collective que la solitude est la meilleure façon de se connaître. Selon qu’on se mente ou qu’on se dise la vérité, elle met l’homme devant ses responsa-bilités. C’est la même fonction que le visiteur est susceptible de rencontrer en empruntant les allées de l’espace d’exposition de la Galerie nationale d’art. Le Salon national des arts visuels y a posé ses baluchons jusqu’au 17 août prochain. Une trentaine d’artistes y exposent sur le thème : «Regards nouveaux, Yessal gis-gis». Avec des tableaux, des figures et sculptures, les exposants ont rivalisé d’ardeur pour vulgariser aussi bien les tares de la société que la beauté de celle-ci. Le visiteur qui suit de manière assidue l’actualité politique sénégalaise ne manquera pas de s’attarder sur l’œuvre de Ibrahima Niang Piniang. Ndoumbelane est une représen-tation de ce que tous les Sénégalais vivent à travers les médias, après un changement de régime politique. «Nous assistons à des vagues d’arrestations qui occupent l’espace médiatique tous les jours. Je mets des têtes en cage pour marquer les esprits», a prévenu l’artiste dans la note explicative. En réalité, ce sont 6 têtes sculptées de couleur noire, en cage, avec des espaces marqués par des taches noires. C’est un tribunal de l’esprit. Le Sénégal est-il sur le bon chemin en essayant de priver les voix dissidentes de tribune ? C’est la question qui va, sûrement, tarauder l’esprit du visiteur. Comme si les artistes se sont donné le mot, l’aspect avant-gardiste est poussé à ses derniers retranchements.
Abdoulaye Armin Kane, dans une logique de prolongement de l’œuvre de Ibrahima Niang Piniang, s’est interrogé sur l’Identité. Qui est un «appel à une nouvelle vision de la souveraineté et une indépen-dance que nous devrons puiser au plus profond de nous-mêmes, avec sérénité», a expliqué Abdoulaye Armin Kane. Qui a utilisé du tissu pour partager «la nouvelle identité sénégalaise». Loin de se faire passer pour un donneur de leçons, l’artiste invite à l’introspection. Pour lui, l’identité sénégalaise est la somme de ce que le Peuple acquiert au cours de son existence, d’où l’utilisation de plusieurs tissus pour symboliser cette union dans la différence. Et la somme est un merveilleux poster avec un visage juvénile bradé dans des locks insoucieux, qui charrie la culture rasta. Des œuvres à contempler, l’Identité de Abdoulaye Armin Kane y figure en bonne place, tout comme celle de Balla Ndao. Bët bu set si jant bu fenk est un vœux (pieux ? ) d’un monde digital plus humain. C’est un œil gigantesque composé de résine, d’inox, de verre, de plastique et d’autres matières mixtes. C’est une invitation à suspendre le temps, à capturer l’instant par le regard. Pour l’auteur, l’heure du digital est une opportunité pour abreuver cette jeunesse talen-tueuse avide de progrès techno-logique, en quête de reconnai-ssance de ses talents et de ses valeurs. Est-ce une façon de ne voir le verre qu’à moitié plein, pour occulter ce que tout le monde dénonce sur les réseaux ? C’est malheureusement une question que le visiteur devra puiser dans son for intérieur pour trouver un début de réponse, à défaut d’être satisfait.
En parcourant l’exposition organisée dans le cadre du Salon national des arts visuels, le Sénégal peut voir l’avenir en grand. Cette exposition vient confirmer le rôle avant-gardiste des artistes. Si certains ont préféré abandonner leurs missions d’intellectuels par peur de la clameur populaire pour parler poliment, les artistes, dans la grande majorité, restent fidèles à l’amour du Sénégal. Pour eux, le Sénégal, un et indivisible, n’est pas qu’une belle parole dans un alexandrin à chanter devant un parterre de personnes initiées, c’est aussi dire ce qui ne va pas quand il le faut ! Regards nouveaux, Yessal gis-gis est une exposition à visiter et à revisiter. C’est un geste patriotique pour la volonté de vie commune !
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