Au super ministre Déthié Fall, le spectacle ne doit pas durer

Le nouveau ministre des Infrastructures, le grand-duc Déthié du ciel, de la terre et des airs, s’est voulu cavalier avec une rigueur militaire pour débarquer en une réunion de coordination de l’Ageroute à 6h 30 du matin. Rigueur surjouée, opération de communication maladroite, démarrage avec fracas, populisme à outrance, les qualificatifs ne peuvent manquer pour un coup d’éclat qui tire plus dans l’anecdote qu’il ne sue d’un quelconque sérieux. Un tout-puissant Colbert veut crever l’œil d’un Roi Soleil, c’est aux aurores que la cour s’active !
Le nouveau ministre des Infrastructures aurait pu utiliser le temps de son opération de communication pour s’enquérir de tout ce qui est sous sa tutelle. Avec l’importance du secteur des infrastructures dans un pays qui pousse et au vu des difficultés auxquelles font face les industries du bâtiment et de la construction, un nouveau ministre qui vient de s’installer a de quoi se noyer entre notes, fiches et parapheurs à consulter, avant de penser convoquer une direction sous son giron en prenant le soin d’y convier la presse. Rien que l’immensité des tâches qui attend le ministre Fall lui coûtera plusieurs nuits blanches dans les semaines et mois à venir, à moins que le portefeuille ministériel ne soit pour lui qu’une plateforme pour être sous la lumière, occuper l’espace et taper à l’œil de ses patrons, ainsi que de l’opinion.
Pour le coup, cette opération aura été maladroite, entraînant un tollé de réactions sur la toile et surtout vidant une partie du travail de l’Ageroute de sa substance. C’est un bras technique de l’Etat sénégalais, rigoureux et méthodique, connu pour son action sans fard, qui aura été malheureusement chahuté dans un jeu populiste qui ne sert que quelques égos. Le monde des infrastructures au Sénégal est bien trop sérieux pour y jouer des partitions d’un populisme politique qui n’annonce rien dans l’efficacité des méthodes et l’atteinte des objectifs de tout un département.
Avec un ministère tentaculaire, voire obèse, comme celui des Infrastructures que tient Déthié Fall, il faut se dire que l’actuel gouvernement fait plus fort que le «ministère du ciel et des airs» que tenait Karim Wade lors du règne des Libéraux. On peut avoir une hantise de voir des opérations de communication comme celle de cette semaine à l’Ageroute, dans toutes les directions. Va-t-on avoir des meetings à 6h 30 au Programme d’urgence de développement communautaire (Pudc), au Programme de modernisation des villes du Sénégal (Promovilles) ou au Programme d’urgence de modernisation des axes et territoires frontaliers (Puma) ? Va-t-on organiser dans chaque direction, des all-staff lors desquels le ministre voudra passer au peigne fin tous les dossiers et échanger avec tous les agents devant des caméras ? Rien que le fait d’y penser fait froid dans le dos, avec une Administration misant plus sur l’apparat que le travail concret. Diriger un pays n’est guère un jeu ! Dans chaque ministère, il y a un mur d’images de fils et filles du Sénégal qui sont passés, auront fait leur part du travail et auront tenté tant bien que mal de servir ce pays. Il serait regrettable que par les excès, un passage d’un ministre soit au panthéon de la caricature, pour ne pas dire au boulevard du ridicule.
Lors de sa passation de services au ministère des Infrastructures, le nouveau maître des lieux aura cette déclaration : «Je voudrais dire à tous ceux avec qui on aura à travailler dans le cadre de ces ministères, qu’il est important qu’ils sachent tout de suite qu’il n’y a pas de temps à perdre. Nous allons, dans une rigueur militaire, faire en sorte que les instructions que nous avons reçues soient appliquées.» Le propos aurait été risible s’il n’émanait pas d’un responsable à une position aussi sérieuse, d’autant plus qu’il demande à ses «soldats» d’être prêts à travailler 24 heures sur 24 toute la semaine. Peut-être qu’il voudrait insuffler une rigueur d’industriel qu’il a été dans sa vie passée au sein de l’Administration ? Si tel était l’esprit de la réunion aux aurores, l’angle n’est pas bien choisi, en plus de traîner des clichés que le secteur privé a sur le secteur public. Quand presque trois départements ministériels trouvent leurs services sous le giron d’un tout puissant fourre-tout, avec leurs prérogatives et les risques de conflits de compétences, appeler les gens à fonctionner comme une armée, alors que les décrets de répartition des services n’ont pas été mis à jour, a de quoi donner une totalité chaotique. Le ministre Fall, ayant servi dans les rangs, sait que la première base d’une armée est l’ordre. Il n’est guère besoin de rappeler à des fonctionnaires qui auront vu tous types de chefs passer au commandement ministériel, qu’il faut rigueur, sérieux et détermination pour mener leurs missions à bien.
C’est peut-être le trop-plein de motivation, l’entrain débordant ou du zèle positif, mais il y a tellement de choses à faire dans le secteur des infrastructures qu’on ne peut comprendre qu’un haut cadre, de surcroît un ministre, se permette d’amuser la galerie. Par la force des réseaux sociaux en politique, tout est devenu spectacle sur la scène publique. Tout se fait pour booster des impressions virtuelles à coups de likes et commentaires. Le public peut être piégé dans une telle spirale, mais il est indigne que les autorités soient les animateurs d’un tel show.
A quelques jours de l’anniversaire de la disparition de Bruno Diatta, l’emblématique chef du protocole de la présidence de la République, dont la salle du Conseil des ministres porte le nom, on peut espérer que l’esprit de l’orthodoxie républicaine, de la rigueur sans fard et du service sincère gagnera certains baquets de la nouvelle équipe gouvernementale. Servir le Sénégal est une chose sérieuse, il faut en être à la hauteur.