Le film égyptien de la réalisatrice Kamla Abu Zekri a obtenu à la 20e édition du Festival du cinéma africain de Khouribga le Grand prix Sembène Ousmane. Ce film qui n’était pas le premier choix de nombreux cinéphiles, réalisateurs et critiques de cinéma a pourtant damé le pion aux 13 autres œuvres en compétition. Le jury présidé par le Marocain Abdellatif Laâbi s’est finalement laissé séduire par un hymne à l’émancipation de la femme.
Quelques heures avant la clôture de la 20e édition du Festival du cinéma africain de Khouribga, aucun cinéphile, à part les membres du jury, ne pouvait prédire que l’œuvre la réalisatrice égyptienne Kamla Abu Zekri allait remporter le Grand prix Sembène Ousmane. Au final, la surprise tombe et les nombreux pronostics, notamment sur le film mozambicain Le train de sucre et de sel, échouent. «Le jury est souverain, mais je misais sur le film Le train de sucre et de sel qui a quand même obtenu le prix de la Meilleure réalisation et le prix du Meilleur scénario. Souvent dans un festival, quand un film reçoit ces deux distinctions, il est plébiscité par le jury pour obtenir le Grand prix, mais ce n’est pas le cas ici. Le film de Mme Kamla Abu Zekri, Un jour pour les femmes, est aussi un bon film et n’a pas démérité… Mais je ne m’attendais pas à ce que ce film obtienne le Grand prix», a confessé en coulisse le critique tunisien et réalisateur de renom, Férid Boughédir. «Habituellement, je ne commente jamais un palmarès. Vous êtes parvenu à me déroger à ce principe», ajoute-t-il d’un air taquin.
Férid Boughédir n’est pourtant pas le seul à ne pas miser sur l’œuvre finaliste. Le cinéaste sénégalais et doyen d’âge Ben Diogoye Bèye avait, lui aussi, fait son pari. Lui qui a vu presque toutes les projections en compétition officielle confie que s’il était membre du jury, il n’hésiterait pas une seconde à voter pour l’œuvre de Licinio Azevedo, Le train de sucre et de sel. C’est le même regard qu’a son compatriote, le journaliste et critique de film Baba Diop. «C’est vrai que je ne m’attendais pas à ce que le film Un jour pour les femmes reçoive le Grand prix, parce que c’est un classique égyptien qu’on a vu plusieurs fois, même si pour moi ce film offre à voir le royaume des femmes, même si la mise en scène, cette piscine, est devenue le lieu où se regroupent ces femmes. Mais le film Le train de sucre et de sel mérite sa place parce que c’est un long voyage dans ce train qui, en arrière-fond, nous rappelle et nous ramène aussi à toutes ces guerres fratricides de l’Afrique, du Mozambique…», a-t-il commenté en substance. (Lire par ailleurs). Mais en réalité, que raconte l’œuvre primée et pourquoi a-t-elle pu surclasser tous les autres films en compétition ?
Le secret du film gagnant
Un jour pour les femmes de la réalisatrice égyptienne Kamla Abu Zekri est un focus sur la condition des femmes en Egypte qui subissent des violences de toutes sortes. Ce long métrage de 123 minutes raconte l’histoire de trois femmes, Laila la blessée, Chamiya l’amante et Azza la naïve. A chacune sa propre histoire qui représente une catégorie de la société égyptienne et décrit ses souffrances. L’élément central dans ce film, c’est l’ouverture d’une piscine près d’un quartier populaire qui va consacrer la journée de dimanche aux femmes ; d’où le titre du film Un jour pour les femmes. Cette piscine va devenir pour elles qui vivent cette expérience pour la première fois un espace d’extériorisation, de dévoilement et d’affirmation de soi. Et ainsi petit à petit au fil des minutes, l’histoire mise en scène par Kamla Abu Zekri va poser les vrais problèmes que rencontrent les femmes égyptiennes d’aujourd’hui.
C’est pour dire tout haut un film qui appelle à l’émancipation des femmes, met l’accent sur un problème qui nuit à l’image de l’Egypte, à savoir le harcèlement sexuel, en montrant la frustration sexuelle d’une jeunesse perdue. D’ailleurs, le risque pris par la réalisatrice en posant ce débat par l’image fait que durant tout le festival du cinéma africain de Khouribga, elle et l’une de ses actrices principales ont fait l’objet d’une protection rapprochée de gros bras et de la police locale.
Interpellée sur le message de son long métrage, Kamla Abu Zekri affirme : «Les libertés des femmes posent vraiment problème en Egypte.» Et pour elle, «le développement d’un pays tient au respect qu’on a pour les femmes». «Pour moi, l’habit – le port vestimentaire d’une femme – ne peut et ne sera jamais un élément pour la juger sur sa probité morale etc. Ce n’est pas un critère», a-t-elle dit.
L’heureuse réalisatrice Kamla Abou Zikri, informe-t-on, est née en 1974 au Caire. Elle obtient son diplôme de réalisation à l’Institut supérieur du cinéma au Caire en 1994 et a travaillé comme assistant réalisateur sur de nombreux longs métrages de fiction, avant de réaliser plusieurs films dont, Regard vers le ciel, Il est arrivé quelque chose et Le train de 6 heures.
Les œuvres en lice
La compétition officielle de cette 20e édition a connu la participation de 14 films.