En 2012, il était le rookie de l’année. Par ce style posé de rap qui permet de saisir le sens d’un texte avec une musique plus qu’agréable, Fla The Ripper a su s’imposer avec son premier album «Renais­sance». Il revient avec «Kanka Musa» dont l’objectif est d’arrêter le procès de l’Occident pour se concentrer sur la nécessité de régler par nous-mêmes les problèmes du continent. Un retour aux sources qui prend ses racines sur l’importance de se connaître pour mieux appréhender le futur.

Est-ce que vous pouvez vous présenter à nos lecteurs ?
Je suis Amadou Ferguson Maroni, un nom qui ne sonne pas sénégalais du tout. Et pourtant, je suis né sénégalais et j’ai grandi ici. Mes ancêtres sont des esclaves qui ont eu leur liberté et décidé de revenir en Afrique. Cet amour du continent m’a poussé à prendre le nom de scène Fla (Forever love Africa). Il informe sur mon parcours. Je suis né ici et j’ai obtenu une maîtrise en Anglais à l’Ucad. Avec le temps, cette langue est devenue une stratégie de différenciation dans le mouvement hip-hop.
J’ai sorti mon premier album Renaissance en 2012 ou repartir sur une nouvelle base pour un avenir meilleur. Kanka Musa est une réflexion sur le leadership africain. Je suis toujours sur la même dynamique.
Avec Renaissance, votre premier album, on a découvert un style baptisé par le grand public «le classic». Est-ce que Kanka Musa est dans le même sillage ou c’est une nouvelle création ?
On ne peut rien créer de nouveau. Je me réclame artiste hip-hop, je ne fais pas du folklore. L’album est coloré musicalement avec des sonorités d’Afrique et la base reste hip-hop. Des Maliens ont participé sur le 1er titre Diéfari foli (hymne du guerrier) qui traite de la quête de liberté. C’est l’image d’un chef de troupe qui mène ses hommes à la liberté. C’est toute la logique de l’album qui se veut une réflexion sur le leadership africain. Si l’Afrique est là où elle est, c’est parce qu’on n’a pas un Mao Zé Dong ou un Gorges Washington. Qui ont su mettre une politique de développement pour leurs Peuples. Nos dirigeants n’ont pas le courage et les moyens de leurs ambitions. C’est ce qui fait qu’aujourd’hui on est sous développé parce qu’on essaye de calquer le modèle occidental qui ne colle pas avec nos réalités.
En résumé, cet album veut créer un cadre d’échanges et de réflexion pour remettre les questions graves de l’Afrique. Je veux qu’on trouve de solutions nous-mêmes sans passer par l’Occident. Le moment est venu de dépasser le procès de l’Occident et trouver les solutions à nos problèmes. L’Africain doit être plus responsable. On rejette toujours la faute, on n’assume pas. C’est toujours d’autres personnes qui décident à notre place. Avec Renaissance, on avait plus de 20 titres, ce n’est pas facile de le consommer, mais avec Kanka Musa, ce sont 13 titres plus un hommage à Cheikh Anta Diop.
Donc, on suppose qu’il y a du trap music, ce genre qui fait vendre…
Le single Ndam est fait sur du trap music, pareil pour le morceau Kanka Musa. La vidéo a fait qu’on ne se focalise pas sur la musique, mais quand on prend le temps de bien l’écouter, on s’aperçoit que c’est du trap. Dans ces titres, la technicité utilisée est différente de celle de la nouvelle génération. Vous savez, quand vous avez de l’expérience, vous pouvez aborder les choses de différentes manières. Dans ces titres, on a voulu parler à ce public jeune qui est à la quête du buzz. Si c’est juste pour être visible, le buzz n’est pas important. Dans Ndam, c’est cela que j’ai voulu faire ressortir. Il faut qu’on sache que si on ne se respecte pas, personne ne va nous respecter. Insulter ou laisser paraître ses émotions, juste pour le buzz, n’a pas de sens. En plus, ça ternit notre image. Ce n’est pas seulement l’auteur qui sera indexé, mais tout le monde. C’est pourquoi je leur demande de ne pas nous causer ce tort.
Pourquoi avez-vous choisi Kanka Musa comme titre ?
Kanka Musa est juste l’arbre qui cache la forêt, car dans cet album j’ai revisité la pensée de Cheikh Anta Diop, Sankara etc. Kanka Musa est une figure précoloniale qui est méconnue. Il est une réponse à ceux qui disent que l’Afrique n’a pas de civilisation. Je veux qu’on s’intéresse à ce monsieur. Son empire était bien organisé. Les gouvernements d’aujourd’hui se sont inspirés de son mode de gestion. Il a très tôt compris que c’est l’éducation qui peut développer un pays. Et il a construit un nombre incommensurable d’instituts supérieurs, d’universités et de madrasas. C’est la raison pour laquelle j’ai pris son nom pour l’album et, par la même occasion, rappeler qui était l’homme.
Entre le titre Renaissance et Yeene yi, c’est deux styles différents. Est-ce une façon de faire un clin d’œil au public qui vous a toujours catalogué rappeur américain ?
Le paradoxe de ce morceau est qu’il est produit par Hakim, un Américain qui a su incorporer le marimba et garder cette touche pop et hip-hop. Et Ombré Zion y a chanté comme le font les griots. Le contraste fait le charme du morceau. Le premier couplet est en anglais et Ombré Zion chante le refrain d’une façon à attirer les Sénégalais. C’est fait exprès, car l’artiste doit expérimenter des choses plutôt que de suivre les désirs du public. C’est l’expérience qui fait la différence. Ce morceau est une façon d’exposer ce qui se fait au Sénégal. Il peut être écouté autant par le passionné de mbalax autant par l’amateur de hip-hop.
Pouvez-vous revenir sur les collaborations dans cet album ? On a l’impression que vous n’avez travaillé qu’avec les gens de votre quartier. Pour vous, c’est «la» solution pour décrocher un disque de platine ou d’or ?
Mon objectif n’a jamais été disque d’or ou de platine. C’est juste des normes. Tu peux raconter du n’importe quoi et vendre un million d’albums. Je veux juger mon travail sur l’impact qu’il aura sur la vie des gens. C’est le plus important pour moi. Si j’ai inspiré deux personnes à rehausser leur vie, je suis satisfait. Je ne suis pas dans ce débat de chiffres.
Sur le choix des artistes avec qui j’ai travaillé, j’ai juste voulu présenter aux Sénégalais de jeunes talents comme Clair, Clamady. Rosso a posé aussi sa voix, Mo est aussi un jeune talent. L’objectif est de construire un pont entre les générations. C’est pourquoi on a invité Pape Niang, le saxophoniste Alain Oyono. Concernant Dip et Rosso, on entretient de très bons rapports. La création est plus facile quand vous êtes déjà amis sans la musique. Il y a aussi Lilian Iverson, une Norvégienne. C’est plutôt une question de sensation, mais rien de plus.
Vous utilisez l’anglais pour poser le débat sur l’identité africaine, les problèmes du continent et éventuellement des solutions qui vont nous faire sortir de cette situation. N’est-ce pas un peu contradictoire de s’adresser à un public qui, en plus d’être francophone, n’a pas un niveau fameux d’études ?
On a l’habitude de dire que j’ai été aux Usa, mais en réalité l’anglais est juste un instrument de communication qui me permet de toucher une autre cible (le reste du monde) qui a beaucoup à apprendre de nous. L’Afrique se laisse définir par d’autres qui nous méconnaissent. Nous sommes mieux placés pour parler de nous-mêmes.
L’anglais est un instrument pour moi de présenter l’Afrique dans son plus beau visage. Je m’adresse à l’humanité, pas seulement le Sénégal. Et il serait contradictoire de ne parler que wolof, car elle n’est pas universelle. On pense qu’il est paradoxal d’être dans un pays francophone et de ne rapper qu’en anglais, mais cela fait partie de moi. Mon père est anglophone (Ferguson Maroni). Descen­dants d’esclaves, mes ancêtres ont quitté la Sierra Leone pour gérer l’Adminis­tration gambienne. Mon père est né dans ce pays et ma mère est Sénégalaise. Je suis Sénégalais et citoyen africain.
A vos débuts, vous aviez identifié Jay-Z comme concurrent. Mais force est de constater qu’avec l’album Renaissance, vous n’avez pas fait le poids…
Avec l’album Renaissance, on est parti en guerre avec des flèches. Ce qui explique le fait de ne pas avoir les résultats escomptés. Sur le plan national, c’était mal perçu ou compris parce que le niveau d’études du public laisse à désirer. Fort de ce constat, on a tout repensé à la base pour trouver une stratégie plus efficace, parce que la diaspora était fière de voir un Sénégalais qui respecte les exigences des marchés internationaux. C’est ce qui explique le fait que je suis resté 4 ans sans sortir de produit.
Sur le plan national, c’était une première et tout début est difficile. J’ai pris le temps de mettre une nouvelle approche et me donner les moyens de mes ambitions. Cet album sort sur le plan international via un label basé en Espagne. Le Sénégal est un pays bizarre. Cela ne marche jamais comme on le prévoit. Avec Renaissance, on pensait qu’il fallait juste faire notre travail dans les règles de l’art pour s’imposer, mais il y a plusieurs paramètres qui entrent en jeu. Et ça, nous l’avons intégré dans Kanka Musa.