C’est une somme de 720 pages avec une centaine d’entrées classées par dates, zones géographiques, objets, notions, que proposent Pierre Singara­vélou et Sylvain Venayre avec leur «Histoire du monde au XIXe siècle», parue en septembre chez Fayard. Comme «L’Histoire mondiale de la France», publiée quelques mois plus tôt, il s’agit d’un ouvrage collectif qui tient de l’encyclopédie et du cabinet de curiosités, mais qui a demandé pour sa part une longue maturation.

Pour se glisser dans l’esprit du livre, chaque auteur a reçu des deux directeurs un strict cahier des charges. Le livre s’enrichit ainsi de connaissances littéraires et anthropologiques, fait la part belle au récit et aux digressions riches de sens. Dans chaque entrée, il est souvent raconté un peu plus que ce qui est promis. Les approches les plus stimulantes de ces dernières décennies ne sont pas oubliées.
On y découvre, par exemple, que la Nouvelle-Zélande fut le premier pays à donner le droit de vote aux femmes en 1893, ou que la spectaculaire éruption du Krakatoa en 1883 provoqua le bruit le plus puissant jamais émis dans l’histoire de l’humanité. Ce n’est que tout récemment qu’on en fit la cause du mini-âge glaciaire qui affecta notre globe dans les mois qui suivirent.
Le projet remonte à 2010. Pierre Singaravélou et Sylvain Venayre sont alors maîtres de conférences à l’Université de Paris 1. Ils préparent les étudiants au concours de l’agrégation d’histoire et il leur manque un manuel pour aborder le 19e siècle en dehors des perspectives classiques, nationales ou continentales. L’année précédente est parue la très inspirante Histoire du monde au XVe siècle sous la direction de Patrick Boucheron.
L’année suivante verra la publication de L’histoire à parts égales de Romain Bertrand. On parle alors beaucoup d’«histoire-monde», d’«histoire globale» ou d’«histoire connectée». L’idée est non seulement de sortir d’une vision strictement européo-centrée, mais de savoir créer des liens entre ce qui se produit en même temps à divers endroits de la planète.

En finir avec l’idée de modernité
Le projet met sept ans à voir le jour. Les deux initiateurs vont rassembler autour d’eux quelques 90 auteurs, dont une dizaine de spécialistes traduits d’une autre langue. L’idée n’est pas d’écrire une «contre-histoire», précise Sylvain Venayre, mais de proposer une «histoire en pensant à l’échelle du monde». Cela suppose, poursuit-il, de «pousser les questions méthodologiques à leur paroxysme», et aussi «l’invention d’une poétique de l’écriture de l’Histoire».
Concernant le 19e siècle, il s’agit en premier lieu d’en finir avec l’idée de modernité, à laquelle on associe généralement l’époque de la révolution industrielle. Les auteurs écrivent en introduction : «Une Histoire du monde au 19e siècle ne saurait être une histoire de la modernité, pas plus qu’une Histoire du monde au 15e siècle ne pouvait être une histoire de la Renaissance».
On pourra prendre un exemple dans la troisième partie, intitulée «Le magasin du monde», une formule qui doit beaucoup au souvenir de l’Allemand Walter Benjamin (1892-1940). Dans ce magasin, on trouve l’entrée «fétiche», dont Bernard Müller nous explique qu’il «devient l’expression du stade premier de l’humanité». La théorie évolutionniste, alors très en vogue, s’en sert pour justifier la «mission civilisatrice» du colonialisme européen. Plus curieux sont cependant les usages qu’en font Karl Marx qui parle du «caractère fétiche de la marchandise» et Sigmund Freud qui l’utilise pour décrire une déviation sexuelle appelée fétichisme. Un même mot sert donc à décrire des sociétés traditionnelles déjà très menacées et la vie quotidienne ou intime du monde occidental.

«L’animal n’est pas un objet»
Si modernité il y a, c’est plus comme passé fondateur du monde contemporain. Les coordinateurs expliquent : «Le monde dont nous parlons aujourd’hui est à ce point le produit de cette histoire qu’il nous faut désormais faire un effort considérable pour se représenter celui qui l’a précédé». «Le magasin du monde» s’ouvre sur un article inattendu : «L’animal n’est pas un objet.»
On y apprend que la première loi à pénaliser les mauvais traitements sur des animaux domestiques est anglaise et date de 1822, mais les fondements de notre époque se retrouvent aussi dans la partie de l’ouvrage appelée Les temps du monde. Y sont évoqués la «création de la Croix-Rouge» en 1863, la «renaissance des Jeux olympiques» en 1896 ou le «premier congrès sioniste» en 1897.
Mais c’est dans la première partie dédiée à «l’expérience du monde» que le lien apparaît le plus évident : pour évoquer les canaux, les voies de chemin de fer et le télégraphe, Sylvain Venayre choisit un titre aux connotations volontairement anachroniques : «Transports et communications : les paradoxes du réseau».
Rfi