Comme l’Ivoirien Pierre Cossa, bon nombre de chanteurs africains ont fait leurs gammes au sein d’une église. Une longue tradition.

L’église évangélique étouffe, prise en étau entre le couvercle noir du ciel et la grisaille verticale des barres d’immeubles. Rien n’indique que le petit bâtiment austère situé à quelques minutes de marche de la gare de Sarcelles, dans la banlieue nord de Paris, est bien un lieu saint… même si quelques notes d’orgue filtrent sous la pluie lorsque l’on approche.
Ce dimanche 21 janvier, Pierre Cossa lance son album Toujours dans la joie, au milieu de ses «frères» et «sœurs» qui sont près de 300 à patienter, sapés comme jamais, agglutinés dans l’étroit lieu de culte. L’artiste de 33 ans, originaire de Man, grande ville de l’ouest de la Côte d’Ivoire, s’est changé en prophète de la scène gospel en mêlant aux louanges des rythmes et sonorités afropop, zouglou et funk. Son dernier single, Je marche, totalise plus de 130 mille «vu», deux mois seulement après sa mise en ligne. Un score fabuleux pour un artiste qui vient tout juste d’entamer sa carrière solo. Mais le crooner, fils d’imam passé par l’école coranique avant de basculer du côté de Jésus, rescapé d’un grave accident de bus à Abidjan, n’en est pas à son premier miracle.

Musique afro et prières
«Que celui qui a le don de la parole transmette la parole de Dieu ! Dieu a donné à Pierre Cossa le don de chanter… Maintenant, c’est à vous de l’encourager». «Amen». «Nous bénissons Pierre, nous bénissons sa voix. Tout ce qui s’opposait à lui, Dieu l’a terrassé. Pierre va ramener à la lumière les âmes perdues et fortifier celles qui sont déjà dans la joie.»
A l’appel du pasteur, le ténor monte sur scène en jean noir et blouson de cuir dans une ambiance survoltée. «Ce n’est pas juste un concert, c’est un moment pour adorer notre Dieu», précise-t-il d’une voix douce avant d’entamer un show de près de deux heures. Des spectateurs ferment les yeux, une main tendue vers le ciel, d’autres sont à genoux. Une femme psalmodie à voix basse : «Je m’abandonne à toi Seigneur, entre tes mains…»
Quand, à la moitié du récital, des sonorités afro s’invitent dans le show, toute la salle se met à onduler dans un moment de liesse empruntant plus à une boîte de «Babi» qu’à un concert d’église.

Inspiré par le coupé-décalé
De fait, aussi bizarre que cela puisse paraître, c’est dans les maquis de la rue Princesse, l’artère chaude de la capitale ivoirienne, que Pierre Cossa a commencé ses gammes comme Dj au début des années 2000. «C’était l’âge d’or du coupé-décalé, se souvient-il. Dj Arafat passait souvent dans notre quartier, mixant parfois. Il régnait une certaine dépravation, les gens buvaient, ça dansait de façon un peu “sexuelle”, mais c’est grâce à cette expérience que j’ai de telles compétences musicales aujourd’hui.»
Selon Pierre Cossa, l’Eglise c’est l’école du show et de la confiance en soi. S’il a appris à manier les platines dans des lieux interlopes, c’est à Yopougon, au sein de l’Eglise évangélique Assemblée de Dieu, qui rassemble des centaines de membres, qu’il a épuré son chant en rejoignant le groupe vocal des enfants.
Arrivé en France en 2010 pour parfaire ses études d’ingénieur, il poursuit sa formation musicale à l’Institut d’enseignement théologique et artistique du Val-d’Oise. «Mon talent a été repéré lorsque j’ai chanté pour mon mariage en 2012. On m’a demandé de devenir conducteur de louange et responsable du groupe musical, mais pour cela, j’ai dû me perfectionner.»

Orchestres chrétiens
Pierre Cossa n’est pas un cas particulier. La quasi-totalité des chanteurs de gospel du continent se sont formés à l’église protestante. Les premiers orchestres «chrétiens» apparaissent dans les années 1980 et deviennent extrêmement populaires. Il en existerait des milliers, selon Etienne Damome, auteur de Radios et religions en Afrique subsaharienne. Dynamisme, concurrence, action sociale (Presses universitaires de Bordeaux).
C’est souvent au sein de ces formations que les stars de la discipline ont éclos. Ainsi en est-il de O’nel Mala qui a fait ses premiers pas en suivant sa mère dans les lieux de culte de l’ouest de la Côte d’Ivoire. Ou des membres du groupe Makoma d’origine congolaise, de Dupe Olulana du Nigeria, de Queen Etémé du Cameroun…
Jeuneafrique