Quand arrive le Ramadan au Sénégal, les téléspectateurs pensent tout de suite aux multiples sketches qui vont inonder le petit écran. Parmi les plus attendus, ceux réalisés dans la ville de Thiès et qui, avec les séries, sont devenus le signe d’un milieu théâtral en plein boom. Au départ, la troupe Diamonoy Taay de Dakar a été le précurseur avant de céder la place à Daaray Kocc. Mais au fil des années, l’épicentre du théâtre populaire sénégalais s’est déplacé. Aujourd’hui, difficile de parler théâtre sans évoquer la ville de Thiès et ses multiples troupes théâtrales. Thiès, cité ouvrière pour certains, ville rebelle pour d’autres, autrefois appelée Janxeen, n’est pas seulement la Capitale du Rail. Elle est aussi une ville artistique par excellence. Retour sur un succès qui fait la fierté des Thiessois.

La ville de Thiès n’est pas seulement ce carrefour du Kajoor qui se distingue par sa voie ferrée. Ce creuset culturel situé à quelque soixante-dix kilomètres à vol d’oiseau de Dakar, la capitale, est également une cité artistique par excellence qui regorge d’illustres personnalités du monde du théâtre. Elles sont partout éparpillées à travers les paisibles quartiers de la cité, ces géants de l’art dramatique qui convergent toutes les heures vers le centre culturel régional. Un haut lieu de la civilisation dans ses aspects intellectuels ou idéologiques. Niché quelque part aux confins de la zone Thiès-Nord, sur les deux-voies du rond-point Nguinth, le palais culturel de Thiès se dévoile au visiteur tel un univers de sensation, de documentation, de révélation, d’information, d’initiation.
Un simple tableau indique au visiteur qu’il se trouve dans un espace culturel. Sur l’enseigne en jaune délabré, frappé de noir, on peut lire «Centre culturel régional de Thiès». Un lieu qui joue un rôle important dans la préparation des troupes sur la scène. Hormis ces détails, quelques graffitis décoratifs posés sur le mur indiquent à l’hôte qui est à son premier passage qu’il se dresse sous ses yeux un temple de la culture. A l’entrée, quelques bruits d’écoliers troublent le silence. Une quiétude de cathédrale enveloppant le bloc administratif. Au centre du dispositif, la salle de spectacles. Elle fait face au visiteur. La bibliothèque et l’espace américain donnent au lieu un semblant d’âme. Ce bref tour d’horizon est stoppé net par la salle d’exposition. Ici, on se trouve face à une trentaine d’artistes-comédiens en pleine répétition. De vaillants acteurs culturels en train de suivre depuis 5 semaines une formation dans le cadre d’un partenariat entre l’Association des artistes comédiens du théâtre sénégalais (Arcots) de Thiès et le théâtre Spiral de Genève, qui finance entièrement le projet dénommé «Le Pont» depuis 4 ans. Ils y croient.

Au début était Janxeen
16h 12mn, à peine. Et voilà que le M. théâtre, Jules Dramé, se pointe à notre rencontre. Vêtu d’un Lacoste gris, l’artiste-comédien, air patriarcal, semble depuis qu’il a été porté à la tête de l’Arcots de Thiès tout décidé à améliorer les conditions de travail de ses pairs. Indiquant le chemin, il marche tête baissée. «Le théâtre, en vérité, se porte-t-il bien à Thiès ?» Et la question de faire sortir Jules de sa torpeur. «Le théâtre à Thiès, comme dans toutes les autres régions du Sénégal, se porte bien si on fait référence bien sûr à l’audiovisuel», apporte-t-il comme réponse. A sa suite, il nous présente l’adjoint de la directrice du centre culturel régional de Thiès. Samba Kandé est à l’accueil à la bibliothèque. Confortablement assis sur sa chaise, l’homme de culture pense que «Thiès est un véritable creuset de troupes de théâtre. Pour la plupart des productions théâtrales au niveau national, ce sont des troupes thiessoises et des acteurs de la ville qui sont au-devant de la scène. Donc à ce niveau, on peut dire que le théâtre se porte très bien dans la Cité du Rail », se réjouit-il.
Les débuts d’un tel succès remonteraient aux années 80-90. A l’époque, une seule troupe, Janxeen Production, faisait la fierté des populations. «C’est la troupe pionnière à Thiès», explique le président M. Dramé. «Nous avons fait les beaux jours de la Rts. Tous les mardis, on était à la Rts avec les Serigne Ngagne, Cheikh Seck… Ensuite, nos jeunes frères du Soleil Levant sont arrivés. Nous avions surtout commencé à les absorber dans quelques-unes de nos productions au début parce que nous avions voulu faire de l’ouverture. Ensuite, ils sont venus, ils ont tenté leur chance et ils ont commencé à émerger. Après eux, il y a eu nos petits frères de la troupe Royukaay pour prendre la relève.» Selon le premier vice-président national de l’Arcots, «à côté de Janxeen et Soleil Levant, Royukaay, elle aussi, fait la fierté de tous les Thiessois dans les productions télévisuelles». Nostalgique, l’artiste dit toute sa fierté par rapport à la «révolution» que sa troupe, Janxeen, a apportée au théâtre sénégalais. «Dans le temps, le théâtre sur le plan de l’audiovisuel, c’était Daaray Kocc, Bara Yeggo de Saint-Louis, Diamonoy Taay qui occupaient l’espace médiatique. Mais Janxeen est venue bousculer tout cela, parce que nous sommes arrivés en faisant de la comédie, mais une comédie réfléchie, d’autant plus que notre devise, c’était ‘’Eduquer par le rire’’. Il ne fallait pas uniquement faire rire, mais éduquer les gens par le rire. Et ça, nous pensons l’avoir réussi et nous avons passé de bons moments et jusqu’à présent d’ailleurs.»

Un succès qui
ne profite pas à
tout le monde
Aujourd’hui, outre Dakar, Thiès reste la seule région qui présente le plus de productions au niveau national. «C’est le fruit d’un travail de longue haleine», estime le membre de la troupe Janxeen. «Nous pensons que dans l’avenir, on aura d’autres productions qui vont émerger sur le plan audiovisuel. Il y a des scénaristes thiessois, il y a aussi beaucoup d’idées originales, mais il y a également et surtout des comédiens. Machallah, ça se passe bien. Et nous espérons rester aussi longtemps au sommet», poursuit Jules Dramé. L’artiste-comédien regrette toutefois que ce succès ne «profite» qu’a des tierces personnes. «L’audio­visuel, le plus souvent, c’est seulement deux à trois personnes qui y trouvent leur compte. Tous les autres ne sont là que pour être vus et pour récolter quelques miettes. Cela aurait pu être mieux organisé. Les gens pouvaient avoir des contrats et des salaires. Il y en a qui l’ont, mais pas tous», s’offusque-t-il.
A sa suite, le comédien Adama Diop alias Manioukh Badiane, membre de la troupe Royukaay, qui allie son métier d’électricien et le théâtre, trouve que «l’art ne nourrit pas son homme comme on dit». Toutefois, il remercie le bon Dieu puisque, souligne-t-il, «même si on s’en sort difficilement, on parvient quand même, avec le peu que nous gagnons, à nous organiser parce qu’étant des jeunes qui adorent le théâtre. Nous avons tout laissé de côté pour nous consacrer au théâtre, donc nous ne devons pas badiner avec, mais plutôt nous y prendre avec sérieux et abnégation pour réussir». D’ailleurs, signale l’acteur principal de la série Méless, «c’est sur la base de cette philosophie que nous parvenons à amasser un minimum avec le théâtre, nous permettant de faire face à certains besoins familiaux. C’était plus difficile tout au début, mais nous y croyons. C’est pourquoi nous en sommes arrivés là aujourd’hui pour être en mesure de réaliser ces quelques acquis qui nous valent aujourd’hui ce brin de bonheur à travers Méless et Keur gui ak koor gui». Il lance un appel aux autorités pour «davantage de soutiens à notre art». Il soutient qu’«à l’heure actuelle, on aurait dû dépasser le stade où nous nous trouvons».