AGRICULTURE – Gestion de la filière arachide : Les acteurs ne mâchent pas leurs mots contre la tutelle

Les déclarations du ministre de l’Agriculture et du développement rural sur la campagne agricole et de commercialisation de l’arachide ont fortement déplu à la majorité des acteurs, producteurs comme industriels. Ces derniers n’ont pas hésité à s’en ouvrir au journal Le Quotidien pour fustiger la préférence accordée aux opérateurs chinois par le ministre Baldé.
On joue les prolongations de la dernière campagne de commercialisation de l’arachide, car pour les huiliers, le ministre de l’Agriculture et de l’équipement rural n’a pas encore l’intention de tirer les enseignements de ses échecs pour une meilleure organisation de la campagne agricole en cours.
Après le Syndicat des corps gras, les opérateurs et producteurs, les travailleurs des huileries sont à leur tour montés au créneau après la dernière sortie du ministre sur le plateau d’une télé locale. La préférence accordée aux opérateurs chinois au détriment des nationaux a encore accentué l’amertume des producteurs locaux.
Ainsi, Samba Wane, responsable du Syndicat national des corps gras et cadre dans une entreprise de transformation, déplore : «Le ministre nous dit que les huiliers ne faisaient que décortiquer et que ce n’est pas un problème si les emplois ont disparu. Ils ont été repris par les Chinois qui décortiquent leurs graines avant de les expédier. C’est inédit au Sénégal de voir un ministre afficher un tel mépris pour un secteur et des travailleurs dont il est censé avoir la tutelle.» Cela se comprend, pour lui, dans la mesure où «le ministre n’a jamais visité une usine fonctionnelle. Il ignore les investissements qui y sont réalisés, les laboratoires, les travailleurs qualifiés qui y opèrent. Il n’a même aucune idée de ce qu’est une chaîne de valeurs. Que la matière première est censée d’abord produire de l’arachide nettoyée, triée, calibrée, que les huiliers sont censés produire de l’huile ! Il dit que les Chinois emploient des travailleurs. Est-ce qu’il a vérifié s’ils cotisent à l’Ipres, s’ils respectent le droit du travail et les règlements, s’ils s’acquittent de leurs impôts comme le font les huiliers».
Ce à quoi, renchérit Joseph Ndong, ancien directeur des Achats à West african oil et qui est outré que le ministre doute de la compétitivité de l’industrie dont il a la charge : «C’est extraordinaire ! Le ministre signe un protocole avec les Chinois pour que toute la matière première parte en Chine et il dit qu’il encourage l’industrie qu’il a délibérément liquidée. Les Chinois ne payent aucune taxe sur l’arachide sénégalaise, alors que les huiliers nationaux sont taxés s’ils veulent exporter leur huile en Chine. Cela ne peut plus être rentable de produire de l’huile au Sénégal. Il parle de compétitivité, mais pour qu’il y ait une compétition, il faut que les mêmes règles s’appliquent à tous. Les Chinois achètent où et quand ils veulent, alors que les huiliers doivent respecter la règle du carreau-usine, ils ne payent aucune taxe ou cotisation, ils ne rapatrient pas les devises. Les douaniers n’arrêtent pas de nous dire qu’ils courent après eux, mais qu’ils se sont volatilisés quand ils font leur contrôle.»
Pour Aziz Lô, responsable d’une unité à Kaolack, les insinuations du ministre ne passent pas. «Le ministre laisse entendre que ce serait des huiliers qui auraient agressé des Chinois lors de la dernière campagne pour les empêcher d’acheter de l’arachide. Monsieur le ministre, nous sommes des travailleurs, pas des voyous. Quand vous laissez se promener dans des régions pauvres des étrangers avec autant de cash à blanchir, vous imaginez bien que cela suscite des convoitises.»
Nicolas Brugvin, directeur général de la Copeol, lui, ne supporte pas que le ministre puisse affirmer que l’Etat aurait acheté les graines d’arachide pour le compte des huiliers à hauteur de 33 milliards de francs Cfa : «Le ministre ferait mieux de s’informer sur les politiques menées par ses prédécesseurs avant de proférer une telle contre-vérité. Qui va croire que l’Etat du Sénégal va distribuer de telles sommes à une industrie en bonne partie privée. La réalité, c’est que ces montants étaient destinés aux producteurs, pas aux huiliers. Les cours de l’arachide étaient bas et l’Etat souhaitait maintenir un prix élevé au producteur. Il a demandé aux industriels d’avancer cette subvention au prix qu’il compenserait par la suite. Les huiliers étaient contraints d’accepter s’ils voulaient travailler. A cette époque, les Chinois et certains opérateurs achetaient en-dessous du prix garanti, mais cela était interdit aux huiliers. L’Etat n’a pas honoré ces compensations en temps et en heure. Dix-huit (18) mois après la campagne 2018/2019, l’Etat doit encore 4 milliards aux huiliers privés. C’est plus d’un milliard de francs de frais financiers qu’il ont dû supporter du fait des retards. C’est l’Etat qui coûte aux huiliers, pas le contraire. Le ministre dit qu’il a supprimé le système, mais la vérité est que nous n’en voulions plus. Cela nous a ruinés. Etrangement, il ne parle pas des 66 milliards (chiffre donné par son Pca lui-même) qu’a coûtée la Sonacos depuis sa reprise par l’Etat, mais il dit qu’il va l’aider à être plus compétitive. A quoi ont servi ces 66 milliards alors ?»
Quant à la préférence supposée qu’auraient les producteurs pour les opérateurs chinois, c’est Sidy Ba, le porte-parole du Cncr, qui indique : «Cela fait maintenant plus de sept ans que les membres du Cncr passent des contrats avec les huiliers privés qui sont nos partenaires. Cela a permis à des dizaines de milliers de producteurs de bénéficier d’intrants de qualité et d’un débouché sécurisé. Et cela, sans aucune aide du ministère qui préférait allouer ses budgets à des opérateurs qui ne sont impliqués ni dans la production ni dans la transformation. Ce sont des businessmen, comme dit le ministre. Et apparemment, c’est une activité très rentable, mais qui ne bénéficie pas aux producteurs. Pour nous, la dernière campagne a été une catastrophe. Le mauvais hivernage, la concurrence déloyale des Chinois qui sont allés jusqu’à acheter la graine sur pied pendant la soudure à nos membres contractants ont fait que nous n’avons pas pu honorer nos contrats et livrer ce que nous devions aux huiliers. Ajouté à cela, la crise du Covid-19 qui ne nous a pas permis d’avoir des activités pour régler nos dettes. Nous devons près de 3 milliards à nos partenaires et nous risquons de les entraîner dans notre chute. Nous sommes extrêmement inquiets pour l’avenir, car les producteurs ne vont plus avoir qu’un seul débouché, les opérateurs chinois dont l’attitude est opportuniste. Les problèmes ont déjà commencé, il n’y a pas assez de semences et elles sont souvent de mauvaise qualité pour cet hivernage. Et là, les Chinois ne sont pas là pour nous aider. Des producteurs ont dû acheter de la semence jusqu’à 950 voire 1 000 F Cfa le kilo de graines décortiquées, c’est inédit. Et à ce prix-là, c’est très risqué et beaucoup ont préféré se tourner vers d’autres spéculations. Nous avons préservé un petit stock de semences que nous avons distribuées à nos membres, mais compte tenu des dettes qui nous restent de la précédente campagne, nous avons des difficultés à financer l’engrais et l’aflasafe qui sont nécessaires pour une bonne production d’arachide en qualité et en quantité.»