Dans un contexte où le contrôle des circuits de distribution devient un enjeu stratégique mondial, le Sénégal doit faire le choix audacieux et visionnaire de créer ses propres enseignes de grande distribution, portées par des Sénégalais, pensées pour le marché sénégalais, au service des producteurs sénégalais.
Il est temps de réinventer la grande distribution, par et pour les Sénégalais. Il ne s’agit plus seulement d’accueillir des enseignes internationales, mais de bâtir nos propres champions de la distribution moderne. Ces enseignes à la sénégalaise peuvent prendre la forme de supermarchés, d’hypermarchés ou de marketplaces hybrides, enracinés dans les réalités économiques, sociales et culturelles du pays.

Elles porteront une vision nationale, une stratégie de sourcing local prioritaire, une gouvernance sénégalaise, avec des capitaux nationaux et/ou issus de la diaspora.

Ces grandes enseignes deviendront forcément un catalyseur pour la production nationale. Les grandes surfaces sénégalaises peuvent devenir des piliers de la souveraineté alimentaire et industrielle, en structurant la demande autour des produits agricoles locaux (riz, mil, légumes, fruits, etc.), des produits transformés «made in Sénégal» (jus, épices, conserves, produits laitiers, etc.), des produits artisanaux et industriels issus de Pme sénégalaises.

Ces enseignes deviendront ainsi des débouchés fiables pour les producteurs, avec des engagements de volume, des contrats pluriannuels et une montée en qualité progressive. Un excellent moyen de contrôle des prix.

Ces grandes enseignes avec un modèle adapté à notre sociologie car elles seules peuvent mieux comprendre les besoins des consommateurs. Tarification sociale, accessibilité des produits de première nécessité, valorisation des produits culturels (ex : thiéré, nététou, feuilles locales), intégration des logiques de commerce de proximité dans les quartiers populaires et ruraux. Elles peuvent aussi créer des formats innovants comme des superettes mobiles, des points de vente mixtes (marché + digital), ou des plateformes de livraison locales.
Le fait de penser à créer des champions économiques nationaux, de développer ces grandes enseignes à la sénégalaise, c’est créer des milliers d’emplois qualifiés (achats, logistique, informatique, gestion, marketing), mais aussi former une nouvelle génération de professionnels du retail, stimuler l’entrepreneuriat et les partenariats public-privé, contribuer à la montée en puissance des investisseurs nationaux et de la diaspora.
L’Etat peut jouer un rôle clé à travers des incitations fiscales et foncières, des facilités d’accès au financement via le Fonsis, la Bnde ou les banques islamiques, un appui technique à la formalisation et à la digitalisation.
Une ambition pour l’Afrique francophone, car une grande enseigne née au Sénégal peut demain s’étendre dans toute la sous-région : Guinée, Mali, Côte d’Ivoire, Bénin. C’est l’opportunité de bâtir un champion africain du commerce moderne, inspiré du modèle sénégalais, fondé sur la fierté nationale, l’excellence opérationnelle et l’inclusion économique.
L’avenir de notre économie ne se joue pas uniquement dans les ministères ou sur les marchés financiers, mais aussi dans nos étals, nos supermarchés, nos circuits de distribution. Il est temps de penser une grande distribution made in Sénégal, ambitieuse, moderne, inclusive et souveraine.
Créer nos propres grandes enseignes, c’est reprendre la main sur nos flux économiques, valoriser notre production nationale et bâtir un avenir économique entre nos propres mains.
Beaucoup diront que Senchan existe, mais la question que certains se posent est : «Pourquoi le modèle Senchan tarde à décoller ?»
Dans un contexte où le consommer local est sur toutes les lèvres, une question dérange mais mérite d’être posée : pourquoi le Sénégal peine-t-il à faire émerger ses propres enseignes de grande distribution ? Pourquoi n’a-t-on pas encore vu naître un «Senchan» solide et populaire, capable de rivaliser avec les géants internationaux installés sur notre sol ?
Ce n’est pourtant pas faute d’idées. Ce n’est pas non plus faute de talents.
Mais la réalité est là : le modèle économique local de grande distribution peine à décoller. Et les raisons sont à la fois techniques, économiques et culturelles.
Il arrive souvent que nos modèles soient mal calqués. Beaucoup d’initiatives locales se sont contentées d’imiter ce qu’elles voyaient ailleurs et ceci donne comme résultat des formats de supermarchés pensés pour d’autres marchés, avec des charges élevées, une gestion rigide et une clientèle ciblée trop étroite. Le tout, sans les marges de manœuvre financières dont disposent les multinationales comme Auchan. A dire qu’on ne bâtit pas une souveraineté économique sur la copie.
Il faut inventer un modèle à la sénégalaise, hybride, souple, enraciné dans nos habitudes de consommation et connecté à notre tissu productif réel.
L’autre difficulté, ce sont des fournisseurs mal organisés, donc laissés à eux -mêmes.
La chaîne de valeur commence à la base : champs, ateliers, Pme, artisans. Or, ce maillon est aujourd’hui trop fragile. Les producteurs locaux ne sont pas assez accompagnés pour livrer en temps, en qualité, en volume. Le packaging est souvent rudimentaire, les délais mal respectés, les normes absentes. Cela pénalise toute la chaîne et rend difficile l’approvisionnement régulier des points de vente, et tout ceci donne comme résultat : les rayons de nos supermarchés dits locaux sont encore trop remplis de produits importés, quand le made in Sénégal attend dehors, sans accès structuré au marché.

Le manque
d’investissement patient
Créer une grande enseigne, ce n’est pas ouvrir une boutique. C’est créer un écosystème. Cela demande des entrepôts, des plateformes logistiques, des logiciels de gestion, du personnel formé, de la publicité et surtout… du capital patient. Aujourd’hui, nos entrepreneurs ne trouvent ni les financements adaptés ni l’accompagnement stratégique pour structurer leur projet à l’échelle nationale. Pendant ce temps, d’autres acteurs, mieux armés, prennent le marché, quartier par quartier.
Le Senchan devait être plus qu’un magasin, mais un projet de société. Créer une grande enseigne sénégalaise, ce n’est pas seulement vendre du lait, du riz ou des produits frais.
C’est affirmer notre capacité à organiser notre propre économie.
C’est créer des emplois, renforcer nos filières agricoles, réduire notre dépendance aux importations et donner un débouché réel à nos producteurs.
Mais cela demande une chose : du courage collectif.
Le courage de changer de paradigme.
Le courage de soutenir ceux qui osent.
Le courage, pour l’Etat, d’investir dans l’économie réelle.
Et pour les consommateurs, d’accepter parfois de payer un peu plus, pour soutenir beaucoup mieux.

La bataille du
marché est une bataille politique
L’enjeu est simple : voulons-nous rester des clients éternels dans notre propre pays ?
Ou voulons-nous, enfin, devenir maîtres de notre distribution, de notre chaîne de valeur, de notre destin économique ?
Il est temps de faire de «Senchan» et d’autres enseignes un symbole de souveraineté.
Souleymane Jules SENE
Sales Manager Agrobusiness Sénégal