Quelques jours après la mise en place de la commission ad hoc chargée de définir les modalités d’application du parrainage dans le Code électoral, Ababacar Fall fait le point. Le secrétaire général du Gradec, organisation de la société civile, estime qu’avec ce deuxième boycott de l’opposition dite significative, les germes du contentieux post-électoral sont en train d’être réunis.

La deuxième phase du parrainage a été lancée il y a quelques jours. C’est le statu quo puisque l’opposition dite significative ne participe pas aux concertations sur le Code électoral et le pouvoir est prêt à aller jusqu’au bout. Qu’en dites-vous ?
La commission ad hoc chargée de l’application des modalités pratiques du parrainage au Code électoral a été installée il y a une dizaine de jours, mais je ne sais pas ce qui a été fait jusqu’ici. Il y a en tout cas des questions auxquelles il faudra apporter des réponses. Comment authentifier les signatures ? Comment les contrôler et qui va les contrôler ? Ce sont là des questions qui, si elles font l’objet d’un accord entre les acteurs représentés à la commission ad hoc, feront l’objet de projets de loi qui seront soumis à l’Assemblée nationale et insérés dans le Code électoral en cas d’adoption.
La société civile participe-t-elle à cette commission ad hoc ?
La frange de la société civile que nous représentons à travers la Pacte ne participe pas aux travaux de cette commission et nous l’avons fait savoir au ministre de l’Intérieur par écrit, car nous voulons continuer de garder la position de neutralité que nous avions adoptée depuis le départ. Lors des concertations sur le processus électoral, nous avions, dans le cadre de notre posture de médiation, proposé des esquisses de solutions pour amener les différents pôles à trouver un consensus. C’est ainsi que nous avions proposé, en cas d’accord, qu’il y ait un comité de validation des signatures composé de la société civile, du greffier en chef du Conseil constitutionnel, des représentants des candidats et de l’Administration. Nous avions estimé que le Conseil constitutionnel n’était pas techniquement outillé parce que c’est le ministère de l’Intérieur, à travers la Daf, qui gère le fichier. Donc, si quelqu’un dépose ses 52 mille signatures, il va falloir vérifier qu’elles sont dans le fichier, si les numéros de cartes d’électeur et d’identité sont bons ou si les signatures sont conformes. Nous avions donné l’exemple de la France où vous avez un parrainage par les élus, c’est une commission composée de 500 juristes qui se charge de ce travail de contrôle et de validation. Malheureusement, nous n’avions pas été entendus. Maintenant, dans le cadre de ce comité hoc de parrainage, il y a les pôles de la majorité, des non-alignés et de l’opposition qui avaient déjà participé aux concertations sur le processus électoral, même si cette opposition et ces non-alignés avaient rejeté le parrainage. Actuelle­ment, un nombre significatif de partis de l’opposition ont décidé de ne pas participer à cette deuxième phase sur le parrainage et on va encore appliquer des modalités sur le parrainage qui ne seront pas encore consensuelles. Bref, on tourne en rond.
Et alors qu’on est à 8 mois de la Présidentielle et que les candidats doivent aller chercher des signatures…
Tout à fait, et c’est un travail fastidieux. A mon avis, si l’opposition n’arrive pas à faire fléchir la position du gouvernement, malgré les protestations et les saisines des instances de la Cedeao, de l’Ua, de l’Onu, et que le projet de loi portant application des modalités du parrainage passe, il va sans dire que la loi va s’appliquer à tout le monde.

L’opposition a-t-elle abdiqué ?
Je ne peux pas le dire, mais elle n’aura pas le choix, à moins qu’elle décide de se battre dans la rue pour tenter d’empêcher la tenue des élections. Et là aussi, je crois que c’est une voie sans issue.

La commission a combien de temps ?
Je ne connais pas exactement la durée de ces travaux, mais toujours est-il que, compte tenu du délai qui nous sépare de la Présidentielle, elle a intérêt à terminer son travail rapidement, à faire les textes de loi, les envoyer à l’Assemblée nationale pour que les députés votent la loi, que le Président les promulgue, avant que les décrets d’application ne soient pris, etc. Et il faut faire tout cela dans un temps relativement court.

Va-t-on vers une élection à fort risque de contestation ?
Les germes du contentieux post-électoral sont en train de se mettre en place. La révision constitutionnelle n’a pas fait l’objet de consensus, la commission ad hoc sur le Code électoral est installée sans l’opposition et il va y avoir des modalités qui vont être discutées et probablement adoptées sans consensus. Tout cela nous mène directement vers des difficultés. En tant que société civile, nous sommes prêts à aider à la recherche de solutions à cet imbroglio si nous sommes entendus.

Alioune Tine avait pourtant mené la médiation…
Oui, mais elle n’a rien donné. Je dois préciser qu’il y a eu d’autres médiations par des segments de la société civile.

Est-ce que cela veut dire que l’Etat ne considère pas la société civile ?
Ce n’est pas que l’Etat ne considère pas la société civile, parce que quand nous demandons à être reçus, on nous reçoit, on nous écoute. Maintenant, l’Etat à son agenda… La difficulté pour nous, c’est que quand nous allons du côté de l’Etat, on nous dit que c’est l’opposition qui ne veut pas dialoguer. Quand nous allons vers l’opposition, elle nous dit que le pouvoir veut faire du forcing, que le dialogue n’est pas sincère…

Le constat d’une crise de confiance…
Exactement ! Il y a une crise de confiance très profonde qui tire ses origines d’assez longtemps. A mon avis, le point de départ a été le Référendum. La réforme constitutionnelle du 20 mars 2016 devait être un moment fort de cohésion nationale. On l’a raté. Beaucoup de choses ont été faites de manière unilatérale par le pouvoir comme l’attribution des couleurs entre le «oui» et le «non». On a parlé même de bureaux de vote fictifs. Ensuite, aux Législatives, il y a eu d’abord la refonte partielle du fichier électoral avec le débat sur la notion de «confirmation», des désaccords sur l’augmentation du nombre de députés de la diaspora. Sans compter les dysfonctionnements dans la confection, la distribution des cartes et même ce que d’autres ont qualifié de «rétention» des cartes. Et le jour du scrutin, il y a eu ces retards dans l’ouverture des bureaux de vote, le saccage des bureaux de vote, l’absence de bulletins de candidats dans certains bureaux de vote, notamment à Touba, à Mbour, en Côte-d’Ivoire… Donc, il y a eu un cumul de frustrations ou de désaccords mal gérés par le pouvoir et qui ont contribué à créer le fossé entre le pouvoir et l’opposition. Et voilà que, subitement, le pouvoir met sur la table ce parrainage parce que tout simplement aux dernières Législatives, il y a eu 47 listes. Ce prétexte-là est-il valable, crédible ? C’est une question qu’on peut se poser.

On a accusé le pouvoir d’avoir parrainé certaines listes…
Les gens ont accusé le pouvoir d’avoir parrainé des listes, mais c’est un débat politicien dans lequel je refuse de m’engager. Je pense que ce n’est pas un bon prétexte parce qu’aujourd’hui, même si on institue la loi sur le parrainage, cela ne nous met pas à l’abri d’une floraison de candidatures. Si vous faites un rapide décompte des gens qui veulent se présenter à la Présidentielle, il y en a au moins 25, alors qu’on est à 6 ou 7 mois de la Présidentielle.

Peut-être que parmi cette vingtaine, peu d’entre eux pourraient réunir les parrainages requis…
Non, justement ! Quand quelqu’un veut aller à des élections, il se donne les moyens d’y aller parce qu’on a vu que la caution n’était pas un filtre suffisant qui pouvait empêcher les gens de se présenter. Il est facile de se trouver un parrain ou des lobbies qui vous financent à coup de centaines de millions pour que vous ayez votre caution. Pour moi, c’est la même chose pour le parrainage parce qu’aujourd’hui, notre pays fait l’objet de convoitises relativement à la découverte de pétrole et de gaz. Et au plan géopolitique, notre sous-région risque, si on ne fait pas attention, d’entrer dans une zone de turbulence. Au Sénégal, nous avons du pétrole et du gaz. La presse nous apprend qu’en Gambie, on a trouvé l’un des gisements les plus importants de l’Afrique de l’Ouest. Tout cela va provoquer des appétits voraces, il y aura beaucoup de convoitises en direction de la sous-région du Sénégal et de la Gambie. Alors dans ce contexte-là, il est facile de parrainer quelqu’un en lui permettant de présenter une candidature en bonne et due forme, en ayant la caution et les signatures parce que 52 mille signatures ne devraient pas poser problème pour un parti qui aspire à diriger le pays. Il y a aujourd’hui une pratique d’ailleurs qui, semble-t-il, est en train d’être mise en œuvre : la marchandisation des signatures, c’est-à-dire un parrainage moyennant une somme d’argent. Et c’est là le danger. Donc, il y a ce qu’on appelle des effets pervers. Ce sont des achats de conscience.

Est-ce qu’on a besoin de signatures proprement dites ou juste de l’identification ?
On peut avoir besoin de l’identification, mais même la personne ne peut pas accepter de vous donner sa pièce d’identité. Parce qu’elle va vous demander ce que vous allez en faire. Vous êtes obligés peut-être de la convaincre en lui disant : «Je suis candidat, il me faut un certain nombre de personnes pour parrainer ma candidature. Donc, c’est vous qui vous déplacez pour aller vers elle, c’est vous qui avez besoin d’elle. Le risque est que la personne peut vous faire chanter.»

On ne peut parrainer un candidat sans carte d’identité. L’épineuse question de la disponibilité des cartes d’électeur est encore là…
Il y a cela aussi. Il y a la question aujourd’hui des cartes également qui pose problème. Vous allez voir quelqu’un pour qu’il parraine votre candidature et qui vous dit : «Je me suis inscrit, je suis électeur, mais je n’ai pas reçu ma carte.» Donc, il n’a aucune référence qu’il peut vous donner par rapport à son numéro de carte d’identité ou d’électeur.

Peut-être avec les récépissés comme on a eu à le faire aux Législatives…
Ce ne sont pas des éléments fiables. Pour que la personne signe votre formulaire, il faudrait qu’elle ait sa carte. Alors tout cela peut être compliqué. Et comme je dis, sur le parrainage en lui-même, nous avons des difficultés. Si aujourd’hui les personnes qui doivent parrainer également n’ont pas reçu leur carte, c’est un problème. Aujourd’hui, en tout cas aux dernières informations que j’ai eues, il semblerait que le taux de retrait avait atteint un niveau assez important et qu’il y aurait environ 300 mille cartes non encore retirées. Je ne peux pas confirmer ou infirmer cela. Là vous avez vu que le gouvernement vient de prendre un décret pour prolonger la validité des anciennes cartes d’identité jusqu’a fin août. Donc, depuis la refonte qui a démarré en octobre 2016, on va de prorogation en prorogation. On a prorogé combien de fois ? Est-ce qu’on a la garantie qu’à partir du 30 août, s’il reste des cartes, on ne va pas proroger jusqu’à l’élection pour permettre à ces personnes-là de pouvoir voter ? Et en ce moment-là, est-ce qu’on ne risquerait pas, si ces personnes-là n’ont pas retiré leur carte, de faire comme on a fait aux Législatives, c’est-à-dire voter avec les anciennes cartes ? Tout cela, à mon avis, fait désordre et en rajoute à la suspicion.

C’est comme si d’ailleurs ces nombreuses prorogations encourageaient, d’une certaine façon, le non retrait…
Absolument ! Quand vous prorogez, vous encouragez cette attitude. La personne va se dire qu’elle a du temps. J’ai parlé de 300 mille cartes, peut-être que cela dépasse ce chiffre. Mais en tout cas, quand vous allez dans les commissions, vous voyez que les cartes sont là-bas par milliers. Maintenant, ce sont là des facteurs qui sont de nature à amplifier la suspicion. Je pense quand même qu’en matière d’organisation des élections, le Sénégal n’a pas de leçons à apprendre d’autres pays. Nous avons une Administration qui est suffisamment rodée. Comme il y a une commission de suivi qui a été mise en place sur les conclusions de l’audit du fichier, on pourrait par exemple, dans le cadre de ces commissions-là, faire un point exhaustif sur la distribution des cartes. Dire combien de cartes ont été distribuées, combien ont été localisées, etc. On peut en tout cas mettre en place des mécanismes pour identifier les propriétaires de ces cartes, envoyer des messages à leurs bénéficiaires. Il arrive même que par une vérification sur le Numéro Vert qu’on vous dise que votre carte est produite. Vous allez dans la commission, on vous dit que votre carte n’est pas là. Je pense qu’il faudrait aujourd’hui, au niveau de la commission de suivi où il y a les partis politiques, la société civile, la Cena, essayer de régler ce problème pour faire en sorte que l’ensemble des cartes qui ont été produites puissent aller vers leurs propriétaires.
A mon avis, est-ce qu’on ne pourrait pas au niveau de la commission s’entendre sur des règles pour que l’ensemble des cartes soient centralisées, qu’on procède à un nouveau tri et un nouveau redéploiement des cartes en fonction des zones où les gens habitent. On pourrait alors, sur la base des informations qui ont été données au moment de l’inscription, envoyer des sms aux gens. Nous avions proposé en 2016 le système du «smsing» qui faisait que, par exemple, quand votre carte est produite, vous recevez un sms. Aujourd’hui avec les nouvelles technologies, c’est possible. Chaque jour, les opérateurs vous envoient des sms en vous disant il y a telle promotion, etc. Je me souviens ces années dernières à l’occasion des fêtes de Korité ou Tabaski, le président de la République envoie des messages de vœux aux Sénégalais. Donc, il est parfaitement possible de faire le point sur l’ensemble des cartes non retirées, d’identifier les propriétaires et, sur la base des informations qui ont été données au moment de l’inscription, envoyer des sms aux personnes ou afficher des listes dans les préfectures et les sous-préfectures. Sur cette question-là, il faut que les gens puissent s’asseoir, faire le point sur la totalité des cartes qui ont été produites et qui n’ont pas été distribuées. Je ne connais pas le nombre d’inscrits dans le cadre de la dernière révision exceptionnelle, mais ce sont également des cartes qu’il va falloir faire, qu’il faudra donner aux commissions en plus de celles qui y sont déjà.

N’est-ce pas l’audit du fichier qui va régler ça ?
Effectivement, dans le cadre de l’audit du fichier, il y a eu un comité de suivi qui a été mis en place avec l’appui de l’Union européenne et l’ambassade de l’Allemagne je crois. Et ce comité de suivi est chargé non seulement de mettre en œuvre les propositions de correction des erreurs décelées par la mission d’audit.

Que vous inspire la polémique sur la sortie de Idrissa Seck et l’avalanche de con­dam­nations des religieux ?
Je pense, à mon humble avis, qu’il faut tourner cette page. Nous avons d’autres préoccupations plus importantes que ce débat inutile. Il y a la situation des universités, de notre système de santé, de la famine qui sévit au nord du pays… Bref, des problèmes auxquels les Sénégalais sont confrontés au quotidien. C’est cela qui mérite débat. Notre pays repose sur des équilibres très fragiles en rapport avec les questions sécuritaires qui agitent notre continent et plus particulièrement notre sous-région. Voyez ce qui se passe en Syrie, en Irak en Rca et ailleurs ! La paix n’a pas de prix. Nous devons faire très attention. A partir du moment où Idrissa Seck a présenté ses excuses à tous ceux que ses paroles ont pu blesser ou heurter, le débat doit être clos à moins qu’il n’y ait d’autres motivations derrière. Nous devons apprendre à cultiver la tolérance et le pardon au sein de notre communauté, surtout en ce mois béni de Ramadan.