Des défenseurs d’une agriculture plus saine et éco-responsable tirent la sonnette d’alarme sur les conséquences de l’utilisation des pesticides. Au Sénégal, entre 500 et 700 tonnes sont subventionnées chaque année. Par Malick GAYE –

Entre 500 et 700 tonnes par année de pesticides, c’est le volume que le contribuable sénégalais subventionne chaque année, d’après Fabian Heppe. Le directeur de la Fondation Heinrich Böll estime que «l’Afrique dépend de plus en plus des pesticides agricoles. 33 millions de petits exploitants agricoles du continent sont ciblés par les fabricants qui y vendent également des substances interdites dans l’Union européenne. Les importations de pesticides en Afrique de l’Ouest ont doublé en cinq ans». Et pour prévenir sur les dangers d’une surutilisation, l’Atlas des pesticides au Sénégal a été publié hier. Il regroupe 27 contributions sur la propagation, l’utilisation et les risques des pesticides pour l’humanité et l’écosystème dont trois proviennent du Sénégal. Il fournit des faits et des chiffres sur l’utilisation des pesticides et leur impact dans l’agriculture, sur la santé humaine, la biodiversité, l’eau et le sol. «Les importations de pesticides en Afrique de l’Ouest ont doublé en cinq ans. L’augmentation du coût de la main-d’œuvre agricole, la pression pour accroître la productivité des terres et la disponibilité de produits bon marché fabriqués à l’étranger expliquent cette utilisation croissante en Afrique», informe Fabian Heppe. Qui précise que «les données sur leur utilisation restent insuffisantes, ce qui est préoccupant, car l’impact réel sur l’environnement, les agriculteurs et les consommateurs est probablement sous-estimé». Fort de ce constat,  Fabian Heppe affirme que l’utilisation excessive engendre désormais des problèmes de santé et de dégradation des sols, nuisibles pour l’écosystème. «Chaque année, 385 millions de personnes sont victimes d’empoisonnement par les pesticides, les agriculteurs étant les plus exposés. Cependant, les pesticides affectent également ceux qui ne travaillent pas directement dans ce secteur, contaminant l’environnement et la nourriture. Dans des pays à faible revenu comme le Burkina Faso, jusqu’à 83% de la population agricole active sont touchés par des empoisonnements», constate-t-il.

Par ailleurs, c’est le comité mixte Comité sahélien des pesticides (Csp)/Comité ouest-africain d’homologation des pesticides (Coahp) qui est chargé de l’homologation des pesticides devant pénétrer dans les pays membres du Cilss et de la Cedeao. Pour tout nouveau produit, le Csp/Coahp délivre d’abord une Autorisation provisoire de vente (Apv) si la plupart des données requises, afin d’évaluer les critères d’homologation, sont fournies et que seules les informations complémentaires, qui ne peuvent être fournies qu’après application à grande échelle du pesticide, sont manquantes. L’Apv a une durée de 3 ans renouvelables une fois, le temps de permettre la production de données complémentaires nécessaires pour une nouvelle évaluation pouvant permettre une homologation.

En 2022, la liste des pesticides homologués et avec Apv comprenait 161 produits. La Direction de la protection des végétaux (Dpv) du ministère en charge de l’Agriculture contrôle l’entrée des pesticides homologués ou avec Apv dans les pays du Coahp, mais le commerce transfrontalier et les trafics illicites échappent souvent à ce contrôle. Au Sénégal, la Direction de l’environnement du ministère chargé de l’Environnement accorde parfois, pour diverses raisons, des dérogations à des sociétés agro-industrielles nationales pour importer directement des pesticides en dehors du processus d’homologation.  Au Sénégal, la surveillance du Centre antipoison fait ressortir ceci : «Sur 99 cas de pesticides sur 721 entre 2008 et 2020. 74% enregistrés dans la région de Dakar, plus de la moitié concerne les hommes, soit 54%.»

«Nous sommes aussi témoins de la disparition alarmante des pollinisateurs essentiels tels que les abeilles, de nombreux cas d’intoxication alimentaire critique, la pollution des eaux, sans pour autant susciter une prise de conscience massive au sein des populations, surtout chez les couches les plus exposées, c’est-à-dire les agriculteurs, et chez les couches les plus vulnérables», s’alarme le Secrétaire exécutif d’Enda Pronat. A en croire Jean-Michel Waly Sène, l’Afrique est le continent qui utilise le moins de pesticides en volume et pourtant c’est la région du monde où ces produits dangereux font le plus de dégâts. «Cela nous met aujourd’hui face à une crise sanitaire silencieuse, où l’exposition aux pesticides agricoles est devenue omniprésente, touchant les travailleurs agricoles, les communautés rurales et même les consommateurs finaux à travers les résidus présents dans les aliments», dit-il.
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