Les crises qui secouent certains pays francophones de l’Afrique de l’Ouest au point de provoquer un développement du sentiment anti-français. Dr Cheikh Guèye analyse ce phénomène et étaye son argumentaire par des exemples forts, qui illustrent la perte de l’influence de Paris sur le continent.Par Mamadou T. DIATTA – 

Dr Cheikh Guèye, géographe, chercheur et Secrétaire permanent du Rapport alternatif sur l’Afrique (Rasa), a sa petite idée sur les raisons de la perte de l’influence française en Afrique. Ce, à la suite d’une succession d’évènements dont les principaux animateurs n’ont pas affiché ou exprimé leur penchant pour Paris. Le point de vue du chercheur est inspiré par le développement du sentiment anti-français dans certains pays du continent. Celui-ci est très manifeste lors de crises politiques -liées à la question démocratique ou aux coups d’Etat militaires dont le dernier en date est celui qui a déposé le Président Mohamed Bazoum au Niger- que connaissent surtout certains pays africains considérés comme le pré-carré français. Alors, interrogé à ce propos par Le Monde Afrique, celui qui est aussi Secrétaire général du Cadre unitaire de l’islam au Sénégal (Cudis), une entité qui fait souvent dans la facilitation et la médiation lors des crises politico-sociales intervenues au Sénégal, est d’avis que c’est «la politique française qui est rejetée plus que la France en tant que pays et en tant que Peuple. Le sentiment antifrançais est surtout un sentiment anti-impérialiste et anticolonial auquel les jeunes Africains du XXIe siècle se reconnaissent et se réincarnent en se reconnectant aux luttes des pères de nos indépendances». Dr Guèye parle de «processus au long cours, une tendance lourde qu’il sera très difficile d’inverser» pour évoquer encore la perte d’influence de Paris en Afrique.

Autres griefs faits, entre autres à la France, le fait de ne pas changer d’époque au moment où on note un renouvellement des générations avec des jeunes, en Afrique, qui sont «inondés par l’information sur la marche des pays et qui exigent des ruptures profondes et sincères». Mais aussi «de continuer à choisir ou contrôler les pouvoirs africains, de tolérer des coups d’Etat institutionnels selon ses intérêts, d’être trop présente avec ses bases militaires et son interventionnisme excessif, de fermer ses frontières à l’émigration et d’être oublieuse des méfaits de sa politique coloniale et de l’ingratitude au regard des efforts des tirailleurs africains pour sa libération, etc.».

Le chercheur Guèye a aussi fait état de l’émergence de nouvelles forces politiques bénéficiant d’une forte popularité auprès des populations. Non sans préciser que «ce sont les dirigeants qui travaillent avec les institutions financières et les entreprises». «De nouvelles forces politiques naissent autour du rejet de la Françafrique et leur popularité grandit rapidement. Elles pourraient accéder au pouvoir dans les prochaines années et ceci pourrait déclencher une véritable hostilité économique, voire une chasse aux biens français», fait-il remarquer. Pour étayer son argumentaire, il convoque ce qui est noté «dans les manifestations violentes au Burkina Faso, au Mali ou encore au Sénégal ou au Niger». «Les manifestants répondent par la symbolique qui consiste à montrer du doigt le pays qui leur pose problème, en s’attaquant et en pillant les enseignes françaises.» Dr Cheikh Guèye note que «la situation au Sahel et l’échec de la stratégie du tout sécuritaire dans la lutte contre le djihadisme» n’ont fait que creuser davantage le fossé entre la jeunesse du continent et la France. Il citera même «un exemple à la fois heureux et amusant» en faisant référence à Senchan, mis en place «pour lutter contre l’envahissement par Auchan du secteur commercial à Touba» et qui a été mis à sac dans la confusion lors des dernières manifestations violentes dans la cité religieuse.

«L’idée de pré-carré français disparaît en lien avec les offensives des autres pays qui offrent aux pays africains francophones la possibilité de diversifier les partenariats et d’atténuer ainsi la dépendance à la France qui est symboliquement celle qui fait l’objet de rejet», explique Dr Cheikh Guèye pour démontrer comment les autres pays sont devenus de sérieux concurrents de la France au point de lui ravir la vedette en Afrique.
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