C’est un réquisitoire salé que l’ancien Procureur spécial près la Crei, Alioune Ndao, a fait hier à l’occasion du séminaire sur l’indépendance de la Justice. Il a tiré à boulets rouges sur le manque d’indépendance de la Justice au Sénégal, la manière de gérer le ministère de l’Intérieur par l’actuel patron de la Place Washington, la volonté prêtée au Président Macky Sall de briguer un troisième mandat. Avant de livrer son opinion sur l’affaire Adji Sarr/Ousmane Sonko qu’il a demandé aux magistrats de gérer sereinement.

L’ancien Procureur spécial près la Crei, Alioune Ndao, garde encore en travers de la gorge la manière dont il a été évincé de cette juridiction extraordinaire. «Je dirais que c’est une expérience douloureuse. Je ne suis pas un magistrat ordinaire. J’ai été militaire, gendarme et policier avant d’entrer dans l’Administration. Donc, j’ai reçu beaucoup de coups qui m’ont très certainement fortifié. La manière dont j’ai quitté la Crei m’a fait beaucoup mal», a-t-il fait savoir hier lors de l’atelier de réflexion sur la Justice pour dénoncer l’absence d’indépendance de la Justice dans le pays.
«Au regard de la manière dont fonctionne la Justice, les justiciables n’ont plus confiance en la Justice», constate-t-il. En guise d’illustration, le procureur Ndao cite les événements qui se sont produits dans le pays et qui ont poussé les citoyens à s’attaquer aux institutions judiciaires et à des magistrats.
«Des ministres donnent des instructions de non-poursuite à des procureurs qui les exécutent»
Alioune Ndao trouve que le Garde des sceaux a trop de pouvoir. Il faut lui retirer croit-il, celui «de proposition de nomination pour le confier à un organe indépendant qui sera chargé de recevoir les appels à candidature des magistrats et de les soumettre au Conseil supérieur de la magistrature». «On voit régulièrement des ministres donner des instructions de non-poursuite à des magistrats du Parquet qui les exécutent. Ce qui est tout à fait illégal», dénonce-t-il en demandant de restituer aux magistrats du Parquet leur indépendance.
Le procureur Alioune Ndao ne s’est pas limité seulement à déplorer l’absence d’indépendance dans la Justice. Il a aussi livré son point de vue sur la façon dont Antoine Félix Diome exerce ses fonctions de ministre de l’Intérieur.
«Antoine Diome a intérêt à faire attention, il ne reste que 3 ans à Macky»
Que Antoine Diome évite que les politiques «ne le mettent dans le gouffre parce qu’il a sa carrière de magistrat devant lui. Donc, il a intérêt à faire beaucoup attention. Je lui demande d’améliorer sa communication». «Depuis qu’il est à ce poste de ministre de l’Intérieur, sa communication est calamiteuse. Il s’adresse mal aux Sénégalais. Or, un ministre de l’Intérieur est au-devant de la scène et quand quelqu’un est mis au-devant de la scène, il doit savoir parler», dit-il.
Le réquisitoire de l’ancien Procureur spécial de la Crei s’est aussi étendu jusqu’à la présidence de la République. De l’avis de Alioune Ndao, l’actuel locataire du Palais n’a pas le droit de briguer un troisième mandat, car la Constitution le lui interdit. «Antoine Félix Diome doit faire attention parce que le régime de Macky Sall va bientôt finir. Tout le monde sait que Macky Sall n’a pas droit à un troisième mandat. Lui-même le sait. La Constitution est claire. Nul n’a le droit d’avoir deux mandats consécutifs. Donc, que Antoine fasse attention. Macky Sall n’a que trois ans qui lui restent au pouvoir. Qu’il ne te mette pas dans des situations difficiles. Il est un politicien et il peut sortir facilement de cette situation. Ceux, qui soutiennent le contraire, sont avec lui et ils ne lui disent que ce qui lui plait. Ils sont de mauvais conseillers. Un bon conseiller, c’est celui qui va dire à Macky Sall qu’il n’est pas meilleur que les 16 millions de Sénégalais, c’est le bon Dieu qui a voulu qu’il soit Président et la Constitution prévoit deux mandats. Je lui conseille de respecter ces deux mandats et de partir», suggère-t-il.
«Si ce qu’on re­proche à Sonko est établi, qu’on le traduise en Justice»
Interpellé sur l’affaire Sonko/Adji Sarr, le procureur Ndao n’a pas manqué de marquer sa neutralité. «Si ce qu’on reproche à Sonko est établi, qu’on le traduise en justice. S’il y a des preuves qui sont apportées, que les juges prennent la décision qui convient. S’il n’y a rien, qu’on le laisse partir. Si le dossier est vide, que le juge d’instruction prenne un non-lieu. Mais si le juge est convaincu qu’il y a des éléments, qu’on le renvoie en jugement en toute impartialité, sans subir de pression ni d’un bord ni de l’autre», a-t-il conseillé.