Dans un style lapidaire, Joao Lourenço résume froidement l’histoire et définit sa mission. «Antonio Agostinho Neto a lutté et offert l’indépendance à l’Angola. José Eduardo dos Santos a apporté la paix. Ma mission, c’est d’améliorer l’économie du pays», dit-il de sa voix grave et monocorde devant la presse étrangère à la veille des élections générales du mercredi 23 août. Le candidat du Mouvement populaire de libération de l’Angola (Mpla), successeur de José Eduardo dos Santos après trente-huit ans de règne, s’efforce de rester impassible lorsqu’il assure vouloir être «l’homme du miracle économique angolais».

A peine élu avec 64,57% des voix, selon les résultats provisoires annoncés jeudi 24 août et contestés par l’opposition, le «camarade» Lourenço, 63 ans, pense déjà à la postérité. Ce général à la retraite, formé en Urss à l’histoire et à la stratégie militaire, sait qu’il va devoir mener plusieurs batailles. L’écono­­mie sera sans doute la plus rude, car le deuxième producteur de pétrole d’Afrique, derrière le Nigeria, ne s’est pas remis de la baisse des cours du brut qui assure 70% de ses recettes fiscales et presque la totalité de ses entrées en devises.

Capitalisme et corruption
Après la longue guerre civile (1975-2002), José Eduardo dos Santos a gouverné un pays exsangue qu’il a fallu pacifier, déminer, nourrir et bâtir. Le pétrole fut son aubaine, le baril de brut s’écoulait à près de 24 dollars et l’Angola en produisait 800  mille par jour, puis 1,8 million, et le cours dépassait les 110 dollars. Inondés de pétrodollars, la Présidence et le parti-Etat, portés par une croissance comprise entre 10% et 23% de 2004 à 2008, se sont lancés dans une reconstruction nécessaire, mais excessive à l’angolaise : c’est-à-dire en grand, très grand.
Dans le centre de Luanda, la capitale la plus chère au monde pour les expatriés et sans doute la plus inégalitaire, les tours de verre ont poussé de toutes parts, des villes nouvelles ont jailli en périphérie, de même que des stades, des ponts, des autoroutes à quatre, six, huit voies, des centres commerciaux et des résidences de luxe. Le tout principalement construit par des sociétés chinoises peu regardantes sur les origines des fonds. «Environ 30% de tous les coûts de construction ont fini dans les poches des puissants. Tout est faux ici, la plupart des immeubles sont mal construits, vides ou occupés par des proches du pouvoir», confie un architecte.
Millionnaires et milliardaires sont apparus à Luanda. La corruption, aussi sauvage et extrême que le capitalisme angolais, est devenue la règle. Des apparatchiks du Mpla, la famille du Président dos Santos et des généraux saignent à blanc une économie devenue folle, maniant le pouvoir en redistribuant légèrement les revenus du pétrole et des diamants, l’autre source de richesse. Mais le gros de leur fortune est injecté dans des circuits financiers opaques en Occident et dans des paradis fiscaux. Sociétés et individus ont ainsi fait sortir du pays plus de 189 milliards de dollars entre 2002 et 2015 (soit plus de 170 milliards d’euros), selon les estimations d’un centre de recherche de l’Université catholique d’Angola.

L’Angola importe tout ou presque
Pendant ce temps, 70% de la population survivent avec moins de 2 dollars par jour. Les immenses bidonvilles urbains s’étendent, la misère grandit dans les villes et dans les campagnes, où l’eau et l’électricité sont rares. Comme à Sambizanga, un quartier de cases en tôles miséreuses qui dégringole des collines face au port de Luanda. «Cette élection, c’est une sorte de fête, comme le Noël du Mpla, mais en trente-huit ans, on n’a rien eu et on n’attend plus rien, lâche, fataliste, Francesco Domingo, chauffeur de 40 ans au chômage. Ils ont détourné les dollars et nous, on vit mal, mais on vit, car on est habitué à ne rien avoir.» Les hôpitaux publics, souvent dépourvus de médicaments, sont qualifiés de «mouroirs» en Angola, où le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans est le plus élevé de la planète. Le système éducatif est délabré.
Malgré les plans élaborés par des cabinets de conseil grassement payés et des techniciens du Fonds monétaire international (Fmi), le pouvoir délaisse des secteurs stratégiques comme l’agriculture et l’industrie. L’Angola importe tout ou presque. Peu d’usines importantes ont vu le jour et le géant pétrolier est incapable de produire quoi que ce soit de compétitif. Même en matière de pétrole, le pays se contente d’une vieille raffinerie héritée du colon portugais, d’une capacité de moins de 60 mille barils par jour, incapable de satisfaire un cinquième de la de­mande d’essence. L’Etat dépense plus de 5 milliards de dollars par an dans l’importation de produits pétroliers raffinés.
«L’Angola a connu une espèce de miracle économique au sortir de la guerre. Mais le pouvoir n’en a pas profité pour faire des réformes ni pour diversifier son économie. Il a eu tort de penser que les cours élevés du pétrole seraient éternels. La crise économique mondiale de 2008-2009 le lui a rappelé, mais rien n’a été fait pour rédui­re la dépendance au pétrole, constate l’économiste Manuel José Alves da Rocha, de l’Uni­versité catholique d’An­gola. Depuis 2014, le cours du baril a baissé et le pays est entré dans une crise économique profonde que va devoir gérer Joao Lou­renço. L’Angola a besoin d’une croissance égale ou supérieure à l’augmentation annuelle de la population, qui est de 3%. Sinon, les Angolais deviendront encore plus pauvres et la situation économique et sociale se détériorera dangereusement.» (…)
Lemondeafrique