Dans la période du 25 au 29 avril 2022, plusieurs leaders du capital-investissement ont convergé à Dakar pour participer à la 18ème Conférence annuelle de l’Association africaine du capital-investissement et du capital-risque (Avca). La rencontre avait pour thème : «Le capital privé en Afrique à la croisée des chemins.» En marge de cet évènement, Babacar Gningue, Directeur exécutif chargé des investissements au Fonds souverain d’investissements stratégiques (Fonsis), est revenu sur l’importance d’une telle organisation pour le Sénégal, mais également du capital-investissement.Le Sénégal a été choisi pour accueillir la 18ème Conférence annuelle de l’Association africaine du capital-investissement et du capital-risque (Avca). Quels sont les enjeux de cet évènement ?

C’est une activité très importante pour le Sénégal, parce que le capital-investissement est très peu développé en Afrique francophone. Or, le financement en capital est une source de financement complémentaire au financement bancaire, qui est beaucoup plus souple et permet même aux entreprises de pouvoir bénéficier de l’argent et également de l’assistance technique. Les fonds d’investissement, quand ils investissent dans une société, ne demandent pas de garantie. Ils sont patients parce qu’ils ne sont payés que sur les dividendes que l’entreprise dégage. En plus, ils partagent le risque avec le promoteur. Finalement, leur seule garantie, c’est la qualité du promoteur. Donc si l’entreprise marche, ils gagnent de l’argent, si ça ne marche pas, ils perdent de l’argent. Ce sont des fonds qui accompagnent les entreprises pour les aider parfois sur des questions de management, de gouvernance, sur des questions stratégiques. Ce qui fait de ces fonds d’investissement, un acteur important pour le développement des Pme/Pmi du Sénégal, mais également pour le développement des entreprises sénégalaises. Si demain nous voulons avoir des champions nationaux, il faudrait que nous puissions avoir plus de fonds d’investissement qui investissent dans les Pme/Pmi qui ont un fort potentiel de transformation et également qui puissent permettre aux banques d’avoir moins peur. Beaucoup de Pme trouvent que les banques ont un peu peur de les accompagner et leur demandent des garanties pour pouvoir mitiger les risques. Aujourd’hui, le Sénégal a tout à gagner en développant cette activité de capital-investissement. Dès lors, ce forum est une occasion de faire venir, dans un même endroit, la plupart des acteurs du capital-investissement, pour pouvoir d’une part, discuter, faire meilleure connaissance, mais également de pouvoir trouver des opportunités de collaboration et d’investir ensemble dans certains pays. On sait qu’aujourd’hui, l’Afrique francophone est dans le radar des investisseurs en capital internationaux et le Fonsis, justement, son rôle c’est de les convaincre sur la pertinence de la destination Sénégal, sur le potentiel qu’il y a au Sénégal, mais également les rassurer, si besoin en était, que s’ils veulent investir au Sénégal, le Fonsis peut co-investir à leurs côtés pour leur permettre de se rassurer et voir que Fonsis croit en ces sociétés, donc il n’y a pas de raison qu’ils n’y croient pas.

Pour les convaincre, sur quels facteurs comptez-vous agir ?
En général, les fonds d’investissement étrangers qui veulent venir dans un pays, demandent trois choses : des informations fiables dans le pays, des projets bancables et des partenaires fiables et crédibles. Aujourd’hui, le Fonsis, en tant que fonds souverain du Sénégal qui a une histoire quasiment de huit ans dans le pays et des références claires, est un partenaire crédible pour eux. Pour ce qui concerne la question liée aux projets bancables aujourd’hui, au Fonsis, nous avons un pipeline de projets en collaboration avec des ministères sectoriels, des sociétés et Pme/Pmi sénégalaises. Des projets qu’on a étudiés dont certains sont dérisqués et qui sont des projets bancables pour des investisseurs internationaux en capital et des investisseurs nationaux. S’agissant des informations sur le pays, ce sont des informations que le Fonsis a, parce que de notre positionnement de fonds stratégique, on a accès à tous les ministères sectoriels, à l’Etat central, qui nous permettent d’avoir non seulement l’information, mais d’être également au courant des réformes et politiques en cours pour pouvoir soit transformer ou développer un secteur.

Pour ce qui concerne l’attractivité du Sénégal, des avancées ont été notées. Mais beaucoup restent aussi à faire. Par exemple, l’environnement fiscal mérite d’être amélioré.
Vous avez raison. Mais comme vous l’avez dit, il y a beaucoup de réformes qui ont été mises en place. Le gouvernement en est conscient. Il y a beaucoup de réformes qui sont élaborées pour booster l’attractivité de l’environnement des affaires du pays. Il n’y a pas très longtemps, la loi relative à la Pme a été votée, et dans laquelle il y a des aménagements fiscaux pour permettre aux Pme/Pmi d’avoir une période de grâce fiscale de l’ordre de trois ans, de ne pas payer la Contribution forfaitaire à la charge des employeurs (Cfce), ainsi que d’autres instruments pour les accompagner et faciliter leur accès aux financements. Il y a également la loi relative au Ppp (Partenariat public-privé) qui a été votée en décembre dernier et offre maintenant un cadre légal et réglementaire facilitant le montage et l’exécution des Ppp. C’était important d’avoir ce cadre légal, parce que ça rassure les investisseurs qui amènent leurs fonds. Il y a aussi l’Autorité de régulation des marchés financiers, qui a fait passer en décembre dernier ce qu’on appelle l’instruction 66, une loi qui régule l’environnement des fonds d’investissement en capital dans la zone Umoa. Ça, on l’attendait depuis longtemps. Maintenant, c’est sorti et ça va booster la localisation de fonds d’investissement au Sénégal, mais également l’arrivée sans doute d’investisseurs internationaux au Sénégal pour investir en capital.

Est-ce que les entrepreneurs nationaux connaissent bien les fonds d’investissement en capital  qui évoluent au Sénégal ou en Afrique?
Effectivement, il y a un travail à faire pour une meilleure connaissance, par les entrepreneurs, de cet instrument de fonds d’investissement ou de financement en capital. Parce que le premier réflexe naturel qu’ils ont, c’est d’aller vers les banques ou vers leur famille pour avoir des fonds. Mais on a remarqué que sur les cinq dernières années, la prise de connaissance des entrepreneurs locaux sur les fonds d’investissement en capital se développe. La preuve, il y a beaucoup de startups qui sont accompagnées par des fonds d’investissement. Par exemple, le Fonsis investit dans Teranga capital qui accompagne beaucoup de startups sénégalaises. Il y a des fonds au niveau du Fonsis. Il y a le Wi fund, un fonds qui accompagne des projets qui ont un impact sur l’autonomisation économique des femmes, dans lequel on a beaucoup de Pme/Pmi sénégalaises dans l’agroalimentaire, la mode, la couture… il y a également Wic capital et d’autres fonds qui existent. On voit maintenant que les entrepreneurs commencent à intégrer la solution des financements en capital par les fonds dans leur business plan et dans leur démarche pour trouver des partenaires. Et ils ont tout à gagner là-dessus, parce que ces fonds n’apportent pas seulement de l’argent. Ils apportent de l’argent flexible sans garantie, de l’assistance technique. Ils apportent également ce qu’on appelle la capacitation du management pour leur permettre de se transformer en startupers, en gestionnaires d’entreprises… mais vous avez raison. Il y a encore du travail et ça fait partie de nos axes d’intervention, de faire la promotion du capital-investissement au Sénégal, expliquer ce que c’est, de rassurer les entrepreneurs et leur montrer les cas de figure où c’est pertinent d’avoir recours aux fonds d’investissement. L’autre chose qu’on fait également, c’est de développer des ressources sénégalaises en matière d’investissement en capital, afin que les investisseurs qui vont venir s’installer au Sénégal puissent embaucher des Sénégalais, donc ne sont obligés de faire venir des expatriés pour travailler dans ces fonds.
Propos recueillis par Dialigué FAYE-dialigue@lequotidien.sn