Il y a quelques jours, j’ai rencontré fortuitement Monsieur Badiane, mon ancien surveillant général au lycée Van Vo. Cette rencontre m’a plongé dans le «monde d’hier», comme aurait dit Stephan Zweig. Ce Sénégal d’hier, qui est en train de mourir à petit feu à l’école, à l’université, à l’Assemblée nationale et dans la rue. Van Vo était une véritable Sparte, tellement l’ordre et la discipline y régnaient. Le majestueux escalier du bâtiment central était réservé aux professeurs et les entrées latérales aux élèves. Pédagogiquement, cela permettait de faire la différence et mettre sur un piédestal ceux qui dispensaient le savoir, et aussi d’inculquer la modestie à ceux qui devaient apprendre.
La grande porte du lycée était fermée à 8h 15 et les retardataires priés de faire le grand tour, et surtout d’aller chercher un billet d’entrée. C’était tellement compliqué d’avoir un billet d’entrée et rien que l’idée d’y penser était dissuasive pour arriver en retard ou sécher les cours. Il nous arrivait de voir souvent Monsieur Badiane, dont le bureau était au fond du couloir. Mais entrevoir le recteur Becker était toujours un évènement. Cet évènement arrivait une ou deux fois par mois, quand le recteur se mettait debout sur le parvis du bâtiment central, les bras derrière le dos, pour observer le «spectacle», l’entrée des élèves qui observaient eux aussi le spectacle de la sortie de Monsieur Becker.
A Van Vo, de notre génération, l’un des plus grands évènements a été la venue au lycée pour une conférence du grand philosophe Souleymane Bachir Diagne. La salle était prise d’assaut pour écouter la bonne parole d’un ancien de Van Vo. C’était un autre monde. Le monde d’hier, quand dans nos lycées les élèves se bousculaient pour le savoir et quand le lauréat du Concours général était la référence, et pas l’apprenti-rappeur ou l’élève qui se distingue par le bling bling. Aujourd’hui, dans nos lycées, quand on voit le pouvoir des élèves qui a fait capituler beaucoup d’enseignants et de surveillants, Van Vo que j’ai connu semble dater de la préhistoire.
Voir un étudiant arracher un micro à un professeur renvoie aussi mon passage dans cette grande université à la préhistoire. Ce que le bon Monsieur Badiane a été pour nous en matière de discipline, Monsieur Thierno Diop l’a incarné au Cesti en termes de rigueur. Le Cesti était une école d’excellence, mais c’était aussi une autre Sparte à l’université. Excellence, rigueur et discipline sont consubstantiellement liées. Il y a trop de démocratie, pour ne pas dire de démagogie, dans nos écoles et universités. Au lieu de rappeler les principes, on cherche à acheter la paix académique ou scolaire.
Quand Alphonse IV reconquit Tolède des mains des Maures qui s’y étaient installés depuis des siècles, il fit détruire immédiatement les bains arabes qui, à ses yeux, avaient ramolli les descendants des rugueux guerriers arabes qui, contrairement à leurs ancêtres, étaient plus préoccupés par la jouissance que le combat. C’est ce qui semble arriver aujourd’hui dans nos écoles et universités.
Quand on voit que notre pays, depuis notre indépendance, est gouverné par des ruraux (Senghor de Joal, Diouf de Louga, Wade de Kébémer et Macky Sall de Fatick) et les banlieusards qui étaient très loin d’avoir les conditions idéales, on est tenté de donner raison à Alphonse IV. C’était un autre Sénégal. A défaut d’une autre Assemblée nationale, retrouvons l’assemblée du monde d’hier, quand on se délectait du face-à-face Abdourahim Agne-Ousmane Ngom, avec des débats de haut niveau, très passionnés, mais toujours courtois.
Le monde d’hier, le Sénégal d’hier, l’exception sénégalaise, c’était surtout le savoir-être, qui dépérit de génération en génération, parce que nous n’avons plus la discipline consubstantielle de la tradition africaine, et pas encore assimilé le civisme occidental.
Yoro DIA – yoro.dia@lequotidien.sn