La vidéo d’une jeune femme supposée iranienne a bouleversé le monde ce week-end. Elle y interprète en farsi «Bella Ciao», célèbre chant antifasciste italien de la fin de la Seconde guerre mondiale, qui reprend un air d’une chanson populaire du début du 20ème siècle qu’entonnaient des ouvrières contre leur exploitation par des propriétaires terriens peu scrupuleux. «Bella Ciao» a subi malgré lui une deuxième jeunesse récente grâce ou à cause de la série espagnole La casa de papel. L’hymne de la résistance à l’oppression et à la liberté est repris comme un vulgaire produit au service du capitalisme mondial.
«Bella Ciao» est l’un de mes chants révolutionnaires préférés avec d’autres hymnes comme L’Internationale ou El pueblo unido. Le voir interprété dans cette langue pour la première fois m’a touché. Le courage de cette jeune femme -si elle est iranienne- en chantant à visage découvert cette chanson subversive dans un pays autoritaire dont les répressions du régime peuvent être sanglantes, me touche également. C’est une grande leçon de courage que cette jeunesse iranienne offre au monde en réclamant dans la rue, malgré les morts, les blessés et les arrestations, la liberté qui dans la vie humaine, ne doit jamais être négociable. Car c’est de cela qu’il s’agit en Iran ; de la liberté, dans la sacralité et l’exigence de se battre pour elle. Depuis une dizaine de jours, une révolte juvénile embrase le pays à la suite de l’arrestation par la police des mœurs et la mort ensuite en garde à vue de Mahsa Amini, une jeune femme de 22 ans arrêtée pour le port d’une tenue jugée inappropriée.

Ces jeunes hommes et surtout jeunes femmes ont décidé d’aller à nouveau à l’assaut du mur de la dictature conservatrice pour réclamer l’exercice de leurs droits. Leur plateforme tient en trois mots : les femmes, la justice, la liberté. Aucun homme n’a le droit d’imposer le port d’une tenue à une quelconque femme. Dans L’Encyclopédie, Diderot nous rappelle : «La liberté est un présent du ciel, et chaque individu de la même espèce a le droit d’en jouir aussitôt qu’il jouit de la raison.» Les autorités iraniennes ont dégainé de manière classique, l’arme du complot étranger et de l’ennemi intérieur. C’est le propre de ceux qui gouvernent les pays fermés de toujours chercher un bouc-émissaire pour ne pas assumer leurs responsabilités devant les demandes internes.

Les instances conservatrices iraniennes aux conceptions archaïques, qui régissent la vie et la mort de millions de citoyens dont des jeunes diplômés, ouverts sur le monde et désireux d’être à la hauteur de leur époque, ne tiendront plus longtemps. Le vent de la liberté soufflera également sur l’Iran. A quel prix ? Pour combien de temps ?

J’ai une position simple sur le voile. Je suis un homme, je ne suis pas personnellement et dans ma chair concerné. Ce morceau de tissu fait l’objet d’hystéries stigmatisantes en Europe. Dans nombre de pays musulmans, des hommes souvent, imposent aux femmes le port du voile. Il est problématique que des hommes politiques décident, au nom des femmes, la façon dont elles doivent se vêtir. Dans les deux cas, nous sommes dans des situations d’invisibilisation des femmes sur la question du voile alors qu’elles sont les principales concernées. Le symbole donne à penser, disait Ricoeur. Au moment où les femmes iraniennes résistent à l’oppression totalitaire en entonnant l’hymne antifasciste né en Italie, les Italiens voient leur pays virer à nouveau vers le fascisme. Giorgia Meloni, figure néofasciste et admiratrice de Mussolini, va prendre le pouvoir à la tête d’une coalition d’extrême-droite, bénéficiant d’une majorité très confortable. Elle est l’antithèse de «Bella Ciao», l’ennemie des femmes iraniennes qui investissent en ce moment la rue pour le progrès social. Sa politique est à l’encontre des visages, des combats et des aspirations des partisans iraniens actuellement en lutte. Meloni n’est pas un accident, elle est la suite logique d’épisodes peu reluisants de l’histoire d’un pays pétri de culture, qui a offert et offre encore au monde de grands écrivains, peintres, musiciens. C’est le pays de Gramsci, de Pasolini, de Verdi, de Morante et de Magris qui sombre. Un pays magnifique, où le mouvement communisme a connu son heure de gloire. Moins d’un siècle après ses tristes faits d’armes, son arrestation et son exécution par des militants communistes, Benito Mussolini peut être réhabilité et une de ses lointaines héritières prendre le pouvoir. Le combat contre le fascisme n’est jamais achevé et il est une des grandes causes de notre génération d’intellectuels et de militants. Chez nous, nos adversaires se nomment Jamra, And Samm Jikko Yi et leurs alliés obscurantistes. Dans son message d’outre-tombe «Contre la pensée unique, univoque et équivoque», Soro Diop nous prévient contre la lâcheté et la servilité devant la violence fasciste et son usine de la terreur sise sur internet. A nos consciences, nous «journalistes, intellectuels nourris à la distanciation scientifique et libres penseurs», Soro Diop lègue un mot d’ordre et un héritage : se battre pour la démocratie et la liberté. Mes pensées vont aux Iraniennes et aux nouveaux partisans italiens qui prennent le maquis citoyen sur une mélodie de «Bella Ciao» et risquent leur vie pour ce beau mot qu’est la liberté.