Si je dois mourir,
tu dois vivre
et raconter mon histoire
vendre mes affaires
acheter un bout de tissu
et quelques morceaux de ficelle,
(fais en sorte qu’il soit blanc avec une longue queue)
pour qu’un enfant, quelque part à Gaza
en regardant droit vers le ciel
alors qu’il attend son papa emporté dans une explosion –
sans faire ses adieux à personne
ni à sa chair
ni à lui-même –
pour qu’il voie le cerf-volant, mon cerf-volant, celui que tu as fait, prendre
son envol
et qu’il pense alors qu’un ange est là
venu ramener l’espoir
Si je dois mourir
que cela ramène l’espoir
et que cela devienne un conte

Ce poème est le dernier écrit par l’écrivain Refaat Alareer, professeur de littérature anglaise à l’Université islamique de Gaza. Il enseignait à ses étudiants l’œuvre de Shakespeare, dans un territoire occupé et sous blocus illégal depuis 2007. Il a été tué en même temps que son frère, sa sœur et quatre de ses enfants par les bombes israéliennes.

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Le gouvernement d’extrême droite israélien, en réaction aux massacres du 7 octobre perpétrés par le Hamas, s’est lancé dans une vengeance d’une barbarie sans limite. Un Etat qui se dit civilisé et démocratique, bombarde sans discernement des civils dont une majorité d’enfants, sous le regard d’une «communauté internationale» silencieuse, si elle n’exprime pas son soutien «inconditionnel».

On tue les poètes, porte-voix des faibles, «bouches des malheurs qui n’ont point de bouche» avec la volonté que le récit de ces horreurs en cours à Gaza soient enfouis en même temps que leurs corps dans des fosses communes. L’histoire a de la mémoire, elle n’oubliera pas ce qui se passe actuellement à Gaza.

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A la date du 11 décembre 2023, 63 journalistes et professionnels des médias palestiniens ont été tués par les bombes israéliennes. Tuer des journalistes, c’est faire en sorte que l’horreur reste autant que possible confinée dans un huis clos ; pour que la plume soit brisée avant d’être plongée dans la plaie.
A Gaza s’observe l’étiolement moral des grandes puissances, pourtant si promptes à proclamer tout haut des valeurs d’humanisme quand il s’agit de donner des leçons aux autres. A Gaza, elles se rangent sans nuance du côté de la puissance occupante dont le dessein plusieurs fois réitéré par ses dirigeants est l’effacement d’un peuple.

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Et en Afrique ? La position du gouvernement sud-africain est sans équivoque dans sa dénonciation des crimes massifs israéliens à Gaza. Quid du Sénégal ? Notre position n’est pas à la hauteur. La voix du Sénégal doit résonner encore plus au regard du poids de l’histoire, de l’héritage diplomatique dont nous sommes porteurs, du chemin tracé par nos pères fondateurs et surtout de l’ampleur du drame actuel. D’Arafat à maintenant, nous avons toujours bénéficié de la confiance du Peuple palestinien, il s’agit en ces heures sombres pour l’humanité de s’en montrer digne.

Ci-dessous, je partage les ultimes vers composés par Hiba Abu Nada. Elle avait 32 ans, elle était poète et romancière à Gaza. Elle a été tuée avec son fils par les frappes de l’aviation israélienne au sud de l’enclave, le 20 octobre.

La nuit de la ville est sombre en dehors de la lueur
des roquettes,
silen­cieuse en dehors du bruit des bombes,
ter­rifiante en dehors du réconfort de la prière,
noire en dehors de la lumière des martyrs.
Bonne nuit, Gaza.

D’autres poètes survivent à Gaza. Ils vont raconter l’horreur des massacres actuels et pointer le doigt sur les auteurs et leurs complices. Grâce à leurs vers, les Palestiniens ne s’effaceront pas.

Par Hamidou ANNE – hamidou.anne@lequotidien.sn