Cette année, dans le cadre du Partcours, l’institut culturel italien de Dakar a organisé une exposition autour de la figure de Pier Paolo Pasolini et de son film culte Les mille et une nuits. Intitulée Pasolini et les mille rêves, l’exposition montre des œuvres de Alune Be et de Johanna Bramble qui reconstruisent in situ un lieu symbole du rêve et du merveilleux conforme à l’œuvre du cinéaste italien. Une expo Pasolini à Dakar peut interroger, tant la pensée de l’intellectuel est méconnue dans notre pays. Mais notre le Sénégal a vocation, en tant que terre privilégiée des arts et de la culture, à déchiffrer de nouveaux territoires intellectuels pour s’arrimer au temps du monde et imposer le tempo de la création africaine. Il s’y ajoute que Pasolini avait un amour du continent africain qu’il a visité à de nombreuses reprises, notamment avec ses amis Elsa Morante et Alberto Moravia.

Pour Pasolini, l’Afrique était un rêve. Il a voulu réaliser un grand film sur le continent au lendemain des indépendances, projet qui n’a pu voir le jour malgré la sortie de Carnet de notes pour une Orestie africaine, œuvre qui était en réalité un repérage pour les besoins du film à venir.

Il a visité le continent pour la première fois en 1961. Il était fasciné par les luttes pour la décolonisation et l’avènement nouveau de ces nations qui devaient désormais prendre leur destin en main. Chez le poète italien, le continent sonnait également comme une promesse, la possibilité de faire advenir un autre modèle de construction sociale face à ce qu’il considérait être la faillite morale de l’Occident. Pour Pasolini, l’Europe avait désacralisé le sacré, elle avait effacé les traditions et les cultures populaires pour plonger la société dans une forme d’uniformité. Or, Pasolini, qui a écrit ses premiers poèmes en dialecte frioulan, était un partisan acharné de la diversité et des particularités. En ce sens, l’auteur était un adversaire de la mondialisation qui nie les identités particulières pour imposer le rythme du capitalisme dont l’âme est la marchandisation des rapports humains et sociaux. Dans son poème Fragment à la mort, il rappelle avoir perdu foi en l’Europe et avoue : «Afrique ! Ma seule alternative…» Pour le poète, le consumérisme n’est porteur d’aucun progrès, au contraire, il conduit au déclin civilisationnel. Il voyait en l’Afrique un contre-modèle à bâtir et renforcer pour être l’alternative à l’Occident consumériste.

Pier  Paolo Pasolini était un essayiste, un cinéaste et un polémiste. Mais c’était avant tout un poète, qui a signé de grands recueils. Il a aussi dédié au continent africain, une partie de ses talents de préfacier. En témoigne, sa préface «La résistance nègre» d’une anthologie de poètes africains réunie par le poète et militant angolais, Mário Pinto de Andrade.

L’institut culturel italien a projeté le film Prophétie, l’Afrique de Pasolini, où on voit l’auteur évoquer les rapports entre l’Afrique et l’Europe, le Nord et le Sud et développer une pensée prémonitoire sur l’immigration, le multiculturalisme et les débats enflammés actuels sur l’identité, la race, la religion, etc.
On voit dans le film, que chez Pasolini, l’Afrique était un contexte, le lieu d’incubation d’un sous-prolétariat opprimé et vulnérabilisé au potentiel révolutionnaire non exploité.

Ce potentiel révolutionnaire dont parle l’auteur italien est nourri par la pensée tiers-mondiste de Bandoeng, mais aussi par la réalité de son quotidien romain. En effet, selon le cinéaste Bertolucci, Pasolini voyait l’Afrique partout, des bidonvilles de Rome et de New Delhi, aux favelas de Rio, aux quartiers malfamés de Naples. Pour lui, l’Afrique était visible dans toutes les ruelles où les hommes et les femmes s’engluent dans la misère et la privation dans l’attente de réaliser leur rêve de liberté. On retrouve ainsi les références communistes de Pasolini sur l’internationalité du genre humain, l’universalité des conditions matérielles du sous-prolétariat et des raisons de lutter contre la misère, l’exclusion et la violence.

Qu’est devenue l’Afrique imaginée par Pier Paolo Pasolini ? Après des décennies d’indépendance, quels sont les nouveaux défis du continent ? Que faire, pour reprendre la célèbre question de Lénine ? Peut-être, avant toute chose, sacraliser les poètes, car selon les mots de Moravia aux funérailles de Pasolini : «Il en naît seulement trois ou quatre par siècle.»
Par Hamidou ANNE
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