Avant de fonder Welii Prod, Mouhamadou Thioub a pris conscience d’un manque criard de contenus en pulaar à l’écran. Réalisateur et producteur, ce fils de Matam a alors misé sur la formation, le retour aux sources et la mise en lumière de l’identité locale pour faire exister une série en pulaar à la télévision sénégalaise : «Nganouma». Une véritable ode à la paix, à la tolérance et au vivre-ensemble.Par Ousmane SOW –

 Nganouma, une bouffée d’air frais dans le paysage audiovisuel sénégalais. Diffusée du lundi au vendredi à 14h sur Canal+ Pulaagu, cette série est une véritable ode à la paix, à la tolérance et au vivre-ensemble. Conçue et réalisée par Mouhamadou Thioub, plus connu sous le nom de Mas­safou, la fiction retrace une histoire d’amour contrariée par une rivalité entre deux familles, celle de Abdoulaye, incarné par Abdoulaye Dicko, et celle de l’imam, interprété par Abdoul Yérim Ndiaye. Leurs enfants respectifs, Rougui et Vito, tombent amoureux, mais se heurtent à l’intransigeance de leur environnement familial. En effet, dans une région où l’identité culturelle est profonde, Nganouma (dilemme en langue pulaar) s’inscrit comme un projet socioculturel majeur. «Personnellement, je ne voyais pas les séries pulaar passer à la télé», affirme-t-il, tout en soulignant que cela ne l’a pas «révolté», mais plutôt motivé. Ce constat l’a poussé à se former sérieusement. «Je savais que le problème, ce n’était pas que les gens ne voulaient pas mettre des séries pulaar, mais c’est juste qu’on n’avait pas de techniciens et de produits bien faits pour que ça puisse passer à la télé. Et donc, je savais que pour résoudre le problème, il fallait déjà étudier», a répondu Massafou, joint par Le Quoti­dien.

Passé par l’Institut supérieur des arts métiers du numérique (Sup Imax) à Dakar, il retourne ensuite à Matam, où il initie un centre socioculturel pour former les jeunes aux métiers de l’audiovisuel. Une initiative qui s’inscrit dans la continuité de son engagement social avec Massafou Entertainment. Et ce label lui a permis de lancer des événements comme le Festival Matam art et culture (Fesmac) ou encore la Maison des cultures urbaines de Matam, ouverte en 2019. Son parcours prend ensuite une dimension internationale avec son admission à l’Ecole supérieure des arts visuels (Esav) de Marrakech, où il approfondit son apprentissage du cinéma. Et c’est avec Nganouma qu’il revient concrétiser son rêve de produire localement, avec une ambition de vendre la culture pulaar, la destination Fouta, et de faire disparaître les étiquettes collées à la région de Matam. «L’idée a toujours été de revenir ramener des projets déjà au niveau de Matam, au niveau local», insiste-t-il.

A travers cette série de 25 épisodes de 26 minutes chacun, Massafou veut aussi montrer qu’il est possible de réussir en dehors de Dakar. «La mission a toujours été de mettre des projets à Matam et d’inspirer d’autres jeunes qui pensent que tout se fait à Dakar, où que tous ceux qui réussissent, ils réussissent à Dakar. Mais on peut rester à Matam ou n’importe où au Sénégal et réussir ses projets», fait-il savoir. Un discours qui traduit sa volonté d’enraciner la réussite dans les terroirs.

«La population a accepté le projet»
Le projet Nganouma a pris vie grâce à la coproduction avec Canal+ Pulaagu, que Massafou salue. «Ce sont des partenaires qu’on remercie parce qu’ils viennent là où on a besoin d’eux», dit-il. Tournée à Matam (Sénégal), Kaédi (Mauritanie) et dans plusieurs localités du Fouta, pour le casting, Mouhamadou Thioub a fait appel à de jeunes comédiens originaires de la région, notamment de Ndouloumadji Dembé, Hodio, Boyinadji, Garly, Doumga Ouro Alpha et de la commune de Matam. Et l’accueil du public ne l’a pas déçu. «Les populations ont accepté le projet, elles l’ont adopté. Ça a été tourné dans leurs villes, dans leurs rues. C’est une histoire qui leur est propre», note-t-il avec fierté. Lors de l’avant-première, les organisateurs s’attendaient à recevoir 500 personnes. Plus de 3000 sont venues, malgré les limites de capacité. «Ça montre vraiment que les gens ont apprécié le projet», se réjouit-il. Et même au-delà de Matam, la série a trouvé son public. «Il y a beaucoup de gens qui me disent «on ne prend plus le repas à 14h. On l’a décalé à 15h. Il faut que la série finisse pour qu’on puisse prendre le repas»», a-t-il poursuivi. Des retours qui traduisent un attachement fort du public.

Hymne au vivre-ensemble
Dans cette série, la cohabitation islamo-chrétienne est également au cœur de la narration. Massafou s’inspire de son vécu, lui qui a grandi aux côtés d’amis catholiques. «A Matam, l’Eglise est présente depuis plus de 50 ans et beaucoup de gens ne le savent pas. Il n’y a jamais eu de conflit. Cette harmonie, peu de gens la connaissent, alors j’ai voulu la mettre en image», témoigne-t-il. Et ce lien islamo-chrétien, il le revendique aussi dans son œuvre. «L’imam qui se déplace à l’église catholique, ça se voit très rarement. Pour moi, c’est un message très fort», explique-t-il, tout en se réjouissant de l’impressionnante maîtrise du pulaar de l’abbé sérère. Un symbole de la diversité culturelle et de l’unité sénégalaise. Pour Massafou, les valeurs humaines doivent primer. «Pour moi, la fierté, c’est quelque chose qu’on doit mettre à côté et mettre en avant l’humain. On doit vraiment éviter les querelles parce qu’on ne sait jamais où ça va aboutir», a-t-il défendu. Et même si une part d’amour transparaît dans la trame narrative, Nganouma prend le contre-pied des productions habituelles. «Au début, il y avait un peu d’histoire d’amour, mais après, c’est relevé au dernier niveau. Parce que pour nous, il y avait plus important que ça à faire passer», a-t-il souligné, estimant que le contenu commercial ne se limite pas aux romances. «Il n’y a pas que les histoires d’amour qui peuvent être commerciales. Il n’y a pas que les histoires de jeunesse qui peuvent être commerciales», fait-il savoir, annonçant que la série sera bientôt accessible à un public plus large, avec une diffusion sur YouTube prévue à partir du 16 septembre.
ousmane.sow@lequotidien.sn