Comment redonner espoir aux jeunes Sénégalais permettra de lutter contre l’émigration clandestine au Sénégal ?
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Depuis quelques semaines, il y a une recrudescence du phénomène de l’émigration clandestine au Sénégal. De jeunes Sénégalais, en dépit des risques de mort, bravent la mer. Les images insoutenables de pirogues ayant chaviré au large des côtes sénégalaises avec leur lot de morts sont devenues quotidiennes. Les chances d’arriver en Espagne sont faibles, et une fois sur place, les chances d’y rester sont minimes. Pourquoi les jeunes Sénégalais prennent-ils ces risques ? Pourquoi ne veulent-ils pas rester au Sénégal ? Pourquoi pensent-ils ne pas pouvoir réussir dans notre pays ?
Récemment, je lisais le livre de Abraham Maslow, Devenir le meilleur de soi-même. Il y expliquait ce qu’est la bonne santé. Elle ne se limite pas juste à ne pas être malade, à être bien portant, mais elle est aussi accomplissement et réalisation de soi. Une personne en bonne santé est une personne accomplie, qui exprime son potentiel, qui a foi en l’avenir. Avoir à manger et à boire n’entraîne pas l’accomplissement de soi, il faut beaucoup plus que cela. Ces jeunes ont envie de s’accomplir, de se réaliser et perçoivent à tort ou à raison qu’ils n’y parviendront pas s’ils restent au Sénégal.
Mon opinion est qu’il est possible de rester au Sénégal et d’y réussir, à condition d’être patient. Mais cette opinion n’est pas partagée par la majorité des jeunes Sénégalais, et je la respecte. Quand on passe des années sur les bancs de classe pour chercher un diplôme, et après l’avoir obtenu, on ne parvient pas à avoir un stage ou un emploi, on est enclin à penser qu’émigrer est la solution pour réussir sa vie.
Aujourd’hui, les réseaux sociaux exhibent la vie de luxe. Quand une personne poste une photo d’elle dans un endroit luxueux, avec des habits de qualité, on a tendance -parfois malheureusement- à se comparer, et cette comparaison peut entraîner des conséquences fâcheuses, comme le vœu de réussir à tout prix. Comme l’horizon semble bouché au Sénégal, on pense que l’eldorado européen est la solution.
Il y a une vieille perception de l’Europe comme une terre promise, un endroit où il est possible de faire très vite fortune. Cette image, bien que fausse, est ancrée dans l’inconscient des Sénégalais. A une certaine époque, les «modou-modou» incarnaient la réussite. Quand ils venaient en vacances au pays, ils avaient un train de vie fastueux qui faisait rêver les jeunes restés au pays. Cette image persiste toujours, le mythe continuant de dominer la réalité.
Par ailleurs, la mainmise des politiques sur le Sénégal fait perdre espoir aux Sénégalais en leur pays. Beaucoup de Sénégalais pensent que le moyen le plus rapide de s’enrichir au Sénégal est de faire la politique. Les infrastructures du pays ont presque toutes comme parrains d’anciens politiciens. Les fonctions étatiques les plus prestigieuses sont presque toutes occupées par les politiciens.
Pour revenir aux causes de l’émigration clandestine. Ce n’est pas la pauvreté, principalement, qui est la cause de l’émigration clandestine, mais surtout le désespoir. Les jeunes Sénégalais sont désespérés. Il faut leur parler pour le sentir. Ils n’ont pas foi en leur pays, ils n’ont pas confiance qu’il leur permettra de s’accomplir. Les hommes et femmes qui les dirigent ne leur inspirent pas confiance.
En outre, beaucoup bravent les dangers de la mer, parce qu’ils pensent que leur situation actuelle est pire que la mort. Ils ne réfléchissent pas comme un politicien avec ses prébendes, qui dit que l’émigration clandestine n’est pas la solution. Le jeune désespéré se jette à l’assaut de la mer, parce qu’y périr ne lui fait pas peur. C’est pourquoi les messages de sensibilisation, les conseils aux jeunes «c’est dangereux de prendre les pirogues de fortune», «c’est risqué de prendre les pirogues de fortune» ne changeront pas leur décision de prendre les pirogues.
Ce qui permettra de changer d’opinion, est leur (re)donner espoir, leur faire croire qu’ils peuvent rester au Sénégal et y réussir.
Cela passe par bien les former. Une école publique de qualité qui donnera la chance aux talents de s’exprimer. Mettez une personne dans les meilleures conditions de réussite, et il y a de très fortes chances qu’elle réussira. Suivre son cursus scolaire, normalement, sans subir des grèves fréquentes, est nécessaire pour y parvenir.
Ensuite, diminuer le chômage en stimulant l’entrepreneuriat. Ce dernier ne consiste pas seulement à financer, mais aussi accompagner, faire du mentoring. J’observe souvent des personnes financées, mais à qui il manque tout pour diriger une entreprise : comment motiver les employés, comment fidéliser les clients, pourquoi réinvestir le bénéfice dans l’entreprise plutôt que de le consommer ? Ces aspects sont aussi importants que trouver du financement. Si l’entrepreneuriat ne marche pas au Sénégal, c’est parce que ces compétences ne sont pas enseignées aux jeunes. En outre, entreprendre requiert de la patience ; les débuts peuvent être difficiles, pénibles. Aussi est-il important de s’armer de patience et savoir différer la gratification : investir plutôt que consommer, se sacrifier aujourd’hui pour pouvoir jouir demain.
Enfin, l’Etat a un devoir d’exemplarité. Si les politiciens sont toujours nommés à des postes superflus, si des institutions inutiles sont toujours créées, comment les Sénégalais pourraient-ils avoir confiance en notre pays ? Si les Sénégalais souffrent et que les politiciens ne diminuent pas leur train de vie ou celui de l’Etat, comment les Sénégalais pourraient-ils croire que la classe dirigeante a de l’empathie à leur égard, a à cœur l’intérêt général ? C’est cette respectabilité de l’Etat qui doit être rétablie, afin que tous les Sénégalais croient qu’il est là pour tout le monde et pas seulement pour une caste. De l’oligarchie à la démocratie.
Quand tu as l’espoir, tu prends des risques, mais des risques sains, des risques qui n’entraîneront pas la mort. Quand tu es désespéré, mourir ne te dit plus rien, parce que tu as l’impression que tu es déjà mort. Les jeunes qui prennent les pirogues sont dans cette logique : braver la mort pour atteindre l’Espagne parce que mourir ne leur fait pas peur. Ce n’est pas en leur conseillant d’y renoncer qu’ils y renonceront, mais en prenant des mesures concrètes qui les inciteront à rester au Sénégal.
Ces mesures leur feront croire que le Sénégal est la solution, qu’ils y ont leur chance, qu’ils peuvent y réussir. L’éducation, l’emploi et l’entrepreneuriat et un Etat exemplaire sont des moyens de changer la perception d’un Sénégal, terre sans espoir à un Sénégal, terre de réussite. Les pays asiatiques l’ont réussi, les boat-people n’y existent plus. Le Sénégal peut aussi le réussir. Il doit prendre des mesures dès maintenant pour que plus jamais un jeune Sénégalais ne pense que prendre la pirogue est la voie pour réussir.
Moussa SYLLA