Les lecteurs de ce journal ont été sevrés de mes hebdomadaires réflexions sur l’actualité pendant cinq (5) semaines. C’est l’occasion de remercier chaleureusement ceux qui ont fait vivre cette chronique durant mon absence. Les mêmes remerciements s’adressent aux responsables de ce journal pour le soutien constant face à l’injustice que j’ai subie.

Pour faire simple, un pauvre type qui nous sert malheureusement de deuxième personnalité de l’Etat (je prie vraiment, et du fond du cœur, pour que le président de la République n’ait créé aucune situation qui nous amène à envisager la suppléance au sommet de l’Etat) et quelqu’un qui se prend pour Roland Freisler m’ont kidnappé et conduit à Rebeuss, pendant 35 jours, avec la complicité du «Tribunal du mercredi» qui n’a pour mission que de faire en sorte que les opposants, les chroniqueurs et les journalistes qui ne sont pas du «dispositif» (expression utilisée par Fadilou Keïta sur Radio Sénégal pour parler de Serigne Saliou Guèye) soient «effacés» pour plaire à celui qui rêve d’un «pays où les libertés ont été réduites, pour ne pas dire complètement annulées», à l’exemple de ce qu’il aurait vu, selon lui, en Asie du Sud-Est. Le verdict qui a été rendu mercredi dernier aurait pu se tenir le jour même du procès, et je n’aurais pas eu à vivre 35 jours de kidnapping. Qu’on ne vienne surtout pas prétexter la grève des travailleurs de la Justice pour justifier les incessants reports du prononcé du délibéré.

Arrivé à la Division de la cybersécurité, la nouvelle Gestapo du Sénégal, je me vois notifier une «auto-saisine du procureur de la République», alors que la presse avait parlé d’une «plainte du président de l’Assemblée nationale». Face à mon étonnement, l’officier enquêteur me répond : «Les médias racontent des histoires. C’est bien le procureur de la République qui a demandé que je vous convoque.» Pourtant, sur le Procès-verbal qui a servi de base à mon procès, il est bien mentionné «sur plainte de Monsieur Malick Ndiaye, président de l’Assemblée nationale». Et le comble, le plaignant ne s’est pas présenté à la barre. Il a préféré attendre la veille du procès pour se faire inviter à la Télévision nationale faire son «porter presse». J’espère que le Directeur général de la Rts va m’accorder mon droit de réponse !

Tout le monde a vu comment s’est déroulé le procès devant le «Tribunal du mercredi». La même composition en flagrants délits a eu à juger toutes les personnes que la bienséance pastéfienne considère comme des «ennemis du Porozet». Ce «Tribunal du mercredi» confirme malheureusement Me Abdoulaye Wade… 15 ans plus tard. Lors de la 53e Réunion annuelle de l’Union internationale des magistrats (Uim) en novembre 2010, l’ancien chef de l’Etat disait : «(…) La question de l’indépendance des magistrats ne se pose pas car, psychologiquement, le magistrat ne veut pas être indépendant. C’est comme les esclaves. On les libère, ils font 200 mètres et ils reviennent pour dire : «Je ne sais pas où aller.» Qu’est-ce que vous voulez ? Si les magistrats ne veulent pas se libérer, qu’est-ce j’y peux ? S’ils ne veulent pas se libérer des contraintes économiques de l’Exécutif, on n’y peut rien.»

Oui, j’ai été condamné pour avoir dit la vérité. Et je n’accepte pas cette condamnation, j’ai déjà demandé à mes avocats d’interjeter appel. L’info que j’ai mise sur la place publique n’est toujours pas, à ce jour, démentie. Et ce n’est pas fini.

Car le 13 août de ce mois, je vais de nouveau me présenter devant le juge du Tribunal de grande instance pour faire face à monsieur Cheikh Guèye. Oui, après Roland Freisler qui m’a poursuivi pour «diffusion de fausses nouvelles», c’est au tour du supposé corrupteur de l’ancien ministre Ismaïla Madior Fall d’entrer dans la danse, avec une citation directe pour «diffamation». Mais qu’il se rassure, je ne vais pas me débiner, et j’espère qu’il aura plus de courage que celui qui nous sert malheureusement de président de l’Assemblée nationale. J’espère qu’il va bien se présenter à la barre et que j’aurai l’occasion de lui demander de jurer sur le Saint Coran s’il n’a pas dit, à Rebeuss, dans la chambre 48, à certains codétenus, que c’est bien lui qui a été bénéficiaire du marché des véhicules. Qu’il jure devant Dieu, s’il n’a pas dit : «On va bientôt me libérer car j’ai gagné le marché des véhicules de l’Assemblée nationale.»
S’il faille encore me condamner pour avoir dit la vérité et surtout empêcher une prévarication des ressources publiques, je l’accepte. En 1633, l’Inquisition a bien condamné Galilée pour avoir dit que la terre était ronde. En 399 avant Jésus Christ, Socrate fut obligé de boire la ciguë parce qu’un tribunal athénien l’a reconnu coupable d’impiété et de corruption de la jeunesse. C’est juste dire qu’être condamné pour avoir mis une vérité sur la place publique, ce n’est pas nouveau.

Cela dit, c’est le lieu de remercier toutes les personnes qui, de près ou de loin, m’ont permis de traverser ce kidnapping. Je pense particulièrement à ma famille, mes amis, mes confrères. Leur dévouement à mon égard a rendu plus souple cette injuste incarcération. Leur soutien moral et leur présence ont été essentiels pour moi. Je ne saurais terminer sans décerner une mention spéciale à mes avocats dont certains se sont spontanément constitués pour me défendre. Ils l’ont fait car ayant compris qu’au-delà de ma personne, c’est la liberté d’expression qui est en jeu. «Quand la vérité n’est pas libre, la liberté n’est pas vraie.» (Jacques Prévert)

Une mention très spéciale est décernée à Thierno Mounirou Baldé, Khalife de Madina Khouda, qui a dépêché une délégation pour me rendre visite à Rebeuss. A travers lui, c’est tout le département de Vélingara que je remercie pour le soutien constant durant cette injustice que continuent de subir Badara Gadiaga, Abdou Nguer, Assane Diouf.
Par Bachir FOFANA