Coumba Gawlo : l’étoile qui m’a élevée

Les personnes qui nous façonnent ne sont pas toujours celles qui partagent notre toit. Bien d’existences sont marquées par des figures qu’on n’a jamais touchées, mais qu’on a vues, entendues, admirées. Parfois, ce sont des voix à la radio, des visages à la télévision, des histoires racontées qui deviennent nos repères invisibles.
Trop d’artistes ignorent l’influence qu’ils exercent sur la jeunesse, laissant à leurs fans des modèles creux, parfois même toxiques. Mais il arrive que certaines voix, certaines postures, éclairent autrement. Que certaines femmes artistes soient aussi des éducatrices invisibles. Coumba Gawlo en fait partie.
La première personne à qui je voulais ressembler dans ma vie, c’est Coumba Gawlo. Au-delà de son apparence physique, c’est dans ses convictions, sa droiture et sa force intérieure que se trouvait ce que je voulais incarner. Issue d’une famille de culture, révélée très jeune par le concours «Voix d’Or», elle a conquis les scènes avec force et dignité. Sa carrière dépasse l’art : elle est sociale et humaine. Elle prouve qu’une femme peut briller sans renier qui elle est.
Coumba n’a jamais partagé mon quotidien, mais elle a profondément influencé ma trajectoire. L’écouter raconter ses douleurs, ses combats, m’a appris à me tenir debout. Très tôt, elle a déjoué les attentes patriarcales : être belle, bien habillée et se taire. Elle a refusé d’être un simple corps à admirer. Elle a imposé une présence entière : une femme dont les mots comptent autant que la voix. Elle a montré qu’une femme artiste peut aussi être une intellectuelle et une figure de transformation.
Il est fascinant de voir à quel point une personne peut changer notre vie sans jamais nous connaître. On s’accroche instinctivement à la moindre ressemblance, au moindre reflet de nos rêves.
Coumba Gawlo, c’est une voix, une lumière. Elle chante, elle dénonce, elle agit avec nous. Elle continue d’exister dans nos luttes et nos espoirs, faisant résonner nos rêves et nos combats.
Je me souviens de mes bagarres à
l’école, de discussions enflammées après la sortie de l’album «Sa lii Sa lee». Mon attachement à Coumba Gawlo était
viscéral. Elle représentait une autorité bienveillante, capable de canaliser mes colères. Une figure d’ancrage. Nous avons tous connu une personne pour laquelle nous étions prêts à tout. Moi, j’ai eu cette chance très tôt : que cette personne soit Coumba Gawlo. Elle m’éduquait sans me connaître, et j’absorbais tout d’elle.
Je me revois, prenant le car depuis Pikine pour aller à Sacré-Cœur 3, juste pour assister à des réunions convoquées par son staff. A l’approche d’un album, d’une tournée ou pour structurer les clubs Gawlo, j’étais là. Présente, assidue, en retrait parfois, mais toujours investie. Elle nous saluait toujours avec cette attention qui, pour moi, avait plus de poids qu’un discours. Ce regard suffisait à justifier tous les kilomètres parcourus. C’était ma façon d’exister à ses côtés, de me sentir reliée à quelque chose de plus grand que moi. Une étoile-guide.
J’avais échoué à mon premier examen d’entrée en 6e, et je voulais tout arrêter. L’idée de partager la classe avec mes petites sœurs m’était insupportable. J’étais en pleine crise d’adolescence, cette période charnière où l’on peine à trouver des repères. Dans une famille où personne n’était jamais allé aussi loin dans les études, je me sentais seule. Rien n’était encore construit en moi : ni l’estime de soi ni la confiance en l’avenir.
Pourtant, à quatorze ans, ma seule certitude, c’était Coumba Gawlo. C’est elle qui m’a fait changer d’avis sur ma décision de quitter l’école. Elle ne me connaissait pas. Et pourtant, chaque mot qu’elle prononçait résonnait comme une réponse à mes doutes. Son discours, reçu dans le silence de ma solitude, m’a ramenée à l’essentiel.
J’ai repris le chemin de l’école. Et ce moment n’est qu’un exemple parmi tant d’autres où ses chansons ou un simple entretien m’ont permis de faire un choix. A chaque carrefour, elle était là, comme une présence invisible mais constante.
Aujourd’hui, n’importe qui peut devenir une célébrité. La notoriété s’acquiert parfois par la viralité plus que par l’engagement. Les figures visibles, artistes, influenceur·euses ou visages populaires modèlent les comportements.
C’est pourquoi cette influence doit s’accompagner d’une conscience aiguë de la responsabilité qu’elle implique. Trop d’artistes véhiculent des contenus qui entretiennent la confusion, la banalisation de la violence ou le mépris de soi. J’ai souvent peur quand je vois des artistes promouvoir des pratiques dégradantes, sans mesurer les répercussions. Les enfants n’ont pas toujours les outils pour distinguer la scène de la réalité.
Moi aussi, j’ai été profondément marquée par une célébrité. La chance que j’ai eue, c’est que cette personne soit Coumba Gawlo, une artiste consciente de son pouvoir. Son influence était bâtie sur un engagement réel, des valeurs affirmées et un parcours inspirant. Elle m’a orientée vers la lumière. Aujourd’hui, je m’inquiète de voir d’autres enfants exposés à des figures médiatiques sans boussole.
Si elle n’avait pas eu conscience de ce qu’elle représentait, je ne serais peut-être pas indemne. Et tout cela, sans jamais que nous n’ayons été proches. Ce que j’ai reçu d’elle, je l’ai puisé depuis ma position de fan ; ce qu’elle a offert, elle l’a transmis depuis sa place d’idole. Deux postures éloignées, et pourtant un lien s’est tissé. Un lien chargé de reconnaissance. Car, au-delà de l’éducation reçue à la maison, c’est elle qui m’a mise sur le droit chemin. Dans une période incertaine, elle fut ce repère solide. Elle m’a portée, guidée, sans jamais faillir. C’est cela la force des vraies icônes : nous inspirer sans nous connaître. Son exemple a complété ce que mon environnement ne pouvait m’offrir : une figure de réussite féminine visible, libre et respectée. Et pour cela, je lui en serai toujours reconnaissante.
Je lui rends hommage par reconnaissance, mais aussi avec la conscience de ce que cela signifie. Rendre hommage à une femme comme Coumba Gawlo, c’est affirmer que les petites filles issues de quartiers populaires peuvent s’élever à la lumière d’une étoile qu’elles ont choisie. Mon admiration d’enfant s’est transformée en engagement adulte. Et aujourd’hui, journaliste et militante féministe, je ressens le devoir de dire son nom, de reconnaître l’impact immense de son parcours et de son travail sur la jeunesse sénégalaise. Sur toutes celles et tous ceux qui, comme moi, ont grandi en puisant dans son histoire le courage d’oser rêver et de se battre pour un avenir meilleur.
Par Fatou Warkha SAMBE