Ce n’est plus le parfait amour entre les populations de Bandia, village situé dans la commune de Diass, et les Ciments du Sahel. L’octroi de 236 ha à cette usine par l’Etat n’est pas du goût des populations de cette localité.
Entre les populations et certaines unités industrielles, la cohabitation est chaotique. C’est une relation de dépit et de défi. A Bandia, paisible village situé dans le département de Mbour, les populations râlent et laissent exploser leur amertume provoquée par les agressions foncières. Abdourahmane Niang, un des porte-parole des villageois, campe le décor : «La forêt classée de Bandia est agressée de toutes parts, alors qu’elle faisait l’objet d’un important projet mis en œuvre dans les années 1980 par leurs parents, de concert avec l’Etat. Aujourd’hui, les populations indexent les responsables des Ciments du Sahel, de concert avec l’Etat, de vouloir détruire cette forêt.» Il enchaîne, complètement dépité : «Ce processus date de longtemps avec l’Etat qui a commencé par autoriser d’abord des carrières en grignotant par 10 à 15 hectares. Les populations ont laissé faire parce que c’était pour valoriser les terres avec l’exploitation.»
Aujourd’hui, les habitants de Bandia sont révulsés par l’affectation de 236 ha par la mairie de Sindia aux Ciments du Sahel pour l’extension de leur usine. «Les populations se sont donc levées comme un seul homme pour dire non. Parce que l’entreprise dispose déjà de plus de 1 000 ha dans la forêt classée de Thiès où elle est implantée, mais également 200 ha à Thicky, commune de Diass, dont elle n’a pas encore exploité plus de 10 hectares depuis leur affectation en 2002-2003. On considère donc que la famille Layousse, propriétaire de l’entreprise, va exploiter dans plus de 200 ans ces terres au détriment des populations», dénoncent-ils. Et leur colère est désormais dirigée contre la mairie de Sindia. «Quand on l’a approché pour lui faire part de notre refus, il nous a signifié que le président de la République a déjà signé le décret d’affectation d’une partie de la forêt classée. Ce qui est à nos yeux paradoxal parce que ce même Président avait en Conseil des ministres, demandé aux services concernés à s’imprégner de la situation des forêts classées. Celle de Bandia se situe à moins de 50 km de Dakar. Elle doit donc être protégée au même titre que celle de Mbao et des autres. Mais elle ne doit pas être morcelée et donnée à des individus pour leur propre profit», regrette le porte-parole.
Que faire pour régler le différend afin de restituer cette partie de la forêt classée ? «Nous lançons ainsi un appel au chef de l’Etat pour lui dire que les populations de Bandia font partie du Sénégal. Et il y a nécessité de protéger la forêt classée pour protéger les populations. Le ministre de l’Environnement, qui était en visite à la réserve, avait promis de venir s’enquérir de la situation. Mais nous lui demandons de passer d’abord par les populations et ne pas seulement se fier à ce que pourraient lui dire les responsables de l’entreprise. Dans cette affaire, il doit écouter les protagonistes pour avoir les deux versions. Nous lui avons d’ailleurs écrit pour demander une audience, tout comme le ministre des Mines. Il ne faudrait plus qu’ils restent à Dakar et signent des documents qui affectent négativement le vécu des populations», avertit M. Niang.
Vivant dans la précarité, les populations déplorent cette situation alors que beaucoup de carrières sont implantées dans la zone depuis 1974. Elles regrettent que les Rse n’impactent pas leur vie. «L’école du village devait être maintenant une université. Tout ce dont on a besoin, on devrait l’avoir parce que ce sont des milliards qui sortent du sol et du sous-sol de la localité. Des milliards qui rentrent dans les poches des exploitants qui partent avec, alors qu’ils devraient en faire bénéficier aux autochtones. Donc qu’ils aillent avec leur argent, mais nous laissent avec nos ressources», appellent les villageois, lassés de supporter les désagréments.
Menace sur l’écosystème
Enseignant-chercheur au département de Géographie de l’Ucad, spécialiste des questions d’environnement, de développement et d’aménagement du territoire, Dr Mame Cheikh Ngom annonce que la disparition de la forêt classée aura une incidence sur la vie des populations. Il parle même de scandale géologique. «Cette forêt qui faisait 11 mille hectares a été charcutée suivant des décisions arbitraires de l’Etat. Vous avez une partie qui est mobilisée par la réserve de Bandia et une dizaine de carrières qui se sont installées sur toute cet espace forestier. L’impact de la disparition de cette forêt sera très grand. Nous sommes dans le contexte de changement climatique et l’Etat a signé beaucoup de protocoles et a participé à tous les projets et les sommets relatifs au développement durable.» Il renchérit : «Et quand on parle de développement durable, c’est une gestion judicieuse des ressources en tenant compte des générations futures. Mais ce qui se passe actuellement avec cette agression qui est faite sur les ressources naturelles, on ne peut pas dire qu’on est en train de penser aux générations futures. Ensuite, il n’y a pas une gestion inclusive de cette forêt. Les populations sont laissées en rade. Aucun des villages environnants ne bénéficie des opportunités et des retombées de cette forêt. Nous pleurons nos arbres qui sont détruits au profit des sociétés extractives, alors que la forêt a été classée en 1933 par l’autorité coloniale.» Ce n’est pas tout. «Cette destruction sera beaucoup plus accentuée, car avec cette arrivée massive des sociétés extractives qui exploitent le calcaire et le clinker, le village va vers une destruction massive de tout cet espace forestier. Nos bonnes dames n’ont plus la possibilité d’aller dans la forêt pour faire la cueillette, ramasser le bois mort ou bien développer des activités maraîchères. Nous sommes complètement exclus de la gestion de cette forêt. Je pense que pour un gouvernement qui est conscient du développement, il doit au moins protéger les populations qui sont en train de perdre non seulement leur patrimoine, mais font également face à des dérives dont les impacts sont liés à l’exploitation de ces carrières. Toutes nos maisons sont fissurées par les détonations permanentes de l’exploitation des mines. Il y a aussi des problèmes de santé publique qui se posent ici à Bandia, l’atmosphère est polluée, les populations sont malades, les maladies respiratoires sont fréquentes. Si vous allez à Poponguine, nous avons de façon récurrente des maladies respiratoires. Dans des situations pareilles, nous ne pouvons que demander à l’Etat un arbitrage pour qu’on arrête systématiquement et de manière drastique l’attribution des permis d’exploitation de la forêt», conteste Dr Mame Cheikh Ngom. In fine, l’universitaire prédit un avenir pas du tout reluisant pour cette zone riche en minerais, notamment pour l’accès à l’eau potable.
Que faire pour conjuguer cette situation au passé ? «Nous avons demandé à l’Etat d’arrêter systématiquement la délivrance des permis d’exploitation, de faire un diagnostic environnemental et social au niveau de Bandia et ces alentours et surtout par rapport à la gestion de cette forêt», annonce l’universitaire qui appuie ses parents dans cette initiative pour sauvegarder cet écosystème qui nourrissait les résidents. «Ici, on produisait des tonnes de miel, mais avec l’exploitation des carrières, les abeilles sont en train de fuir nos forêts et on est actuellement dans des périodes de soudure extrême. La disette s’annonce ici. Dans cet espace, nous n’avons presque plus rien. On commence à perdre nos terres, nous n’avons plus à bénéficier du bassin versant de la Somone avec le bras principal qui aujourd’hui est entrecoupé avec des projets d’aménagement. On est là dans le désarroi. Nous tendons la main au Président Sall pour lui demander de donner des instructions afin que d’abord le périmètre qui est octroyé à la Cimenterie du Sahel soit revu pour que ces périmètres nous reviennent de droit ou aux Eaux et forêts pour qu’on fasse des reboisements. Nous voulons en lieu et place une zone écologique, mais pas une zone qui va menacer notre vie», implore Dr Ngom. Ici, on ne veut pas être enseveli dans les carrières.
Après plus de 10 jours, Alioune Sarr, responsable environnemental de la Cimenterie du Sahel, bénéficiaire de cette nouvelle affectation, n’a pas donné suite à nos interpellations. Malgré de nombreuses relances.