Si vieille que soit la plainte liée à la méchanceté du monde, une seule liberté existe qui lui fait face : cette liberté qui s’affirme comme telle, responsable en tenant le mal pour mal, en avouant en même temps qu’il ne dépend que d’elle pour que le mal ne le soit pas. C’est ainsi que Paul Ricœur conçoit l’expression de la philosophie de la volonté inscrite au cœur de la liberté, mais d’une liberté qui n’écarte pas l’idée de culpabilité.
La liberté ainsi conçue, constitue ainsi le fondement même du monde que rappelle le mythe de l’innocence qui évoque combien l’homme est essentiellement appelé à la liberté. Pour autant, la liberté devrait-elle être totale ? Peut-on rire de tout, et avec tout le monde ? C’est là que la réflexion devient intéressante et nous installe comme dans un dilemme…
S’il est vrai que la liberté d’expression est un principe démocratique consacré par les textes fondamentaux, à l’instar de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, partagée par les Etats-Unis qui en ont fait le premier amendement de leur Constitution, garantie au Canada par la charte canadienne des droits et libertés et au Québec, par la charte des droits et libertés de la personne, pour autant, les Etats ne devraient-ils pas imposer aussi des limites ? Doit-on, au nom de la liberté d’expression tolérer l’injure, la diffamation, la propagande haineuse ou faire l’apologie du terrorisme ?
Regardons de plus près ce qui se passe sur les réseaux sociaux…, un espace de liberté, me rétorquera-t-on sûrement, mais a-t-on pour autant le droit d’écrire des choses défavorables pour une personne ou même lui attribuer des comportements immoraux qui vont à l’encontre de la loi alors qu’elles sont fausses ? Et que peut-il en être, s’agissant de faits incriminant l’institution suprême que symbolise le président de la République ? A-t-on le droit d’inciter à la haine pour le seul motif qu’on ne serait pas en phase avec les idées ou la politique d’une personnalité publique ?
A ce niveau, l’insulte se révèle être le trope communicationnel le plus usité de nos jours, une forme de parole performative, dans la mesure où elle décrit une stratégie interactionnelle que suppose une relation insulteur/insulté, et que cache un rapport plus subtil encore, de persuadeur à persuadé. Et, c’est ainsi que le maniement de l’insulte proférée à l’endroit d’une autorité empreinte de majesté (comme l’est la figure du chef de l’Etat) devient un délit grave, eu égard au fait qu’en proférant des paroles injurieuses à l’endroit du président de la République (via les réseaux sociaux, par exemple), outre la personne du Président, c’est toute l’autorité institutionnelle symbolisée par l’Etat qui est visée. C’est de cette manière que l’insulte devient outrage, qui n’engage pas seulement la personne directement interpellée, mais tout l’appareil institutionnel du pouvoir. Et cette situation est d’autant plus offensante qu’elle se vit sous la caution d’un tiers, le Peuple qui soutient l’insulteur public. Ainsi, toute une mise en scène est orchestrée par l’insulteur : le choix d’expression de l’insulte (les réseaux sociaux, par exemple), ainsi que le public qu’on veut persuader d’adhérer à la thèse de l’insulte de manière implicite. S’élaborent ainsi deux modes de persuasion : celle qui pousse à haïr l’insulté en persuadant le public, et celle qui persuade d’agir, en posant une action conséquente qui entraîne l’adhésion et la disqualification de l’être qu’on insulte.
Toujours est-il que cette stratégie participe de la logique de la communication et s’opère à l’insu du public-amateur dont on vise le «pathos» ; ce qui exprime la dimension émotive de l’insulte. Posture assez cynique que cet usage de l’insulte constituée de mots infâmes, dont la seule intention est de nuire. C’est la raison pour laquelle aucune intention à visée éducative ne peut revendiquer l’insulte comme arme de combat. Et, dans une société conforme à la justice, l’insulte ne saurait être tolérée du fait qu’elle est non-conforme à l’éducation, pilier fondamental de la justice.