Plébiscité par les sages-femmes qui l’ont désigné «Homme de l’année», Dr Basile Béavogui, Guinéen de naissance, Sénégalais de cœur, diagnostique la maternité de l’hôpital Matlaboul Fawzény. De commerce facile, la blouse blanche qui se fait assister par sa secrétaire pour communiquer avec ses patientes est toujours sur le qui-vive. Entre deux gardes, très jovial, le médecin que la plupart des femmes veulent avoir comme traitant livre la thérapie et donne son point de vue sur le nouvel établissement qui sera construit à Touba. Ici, les femmes accouchées dorment sur le carreau. Il plaide pour le recrutement d’un personnel.
Pourquoi avez-vous choisi de venir exercer à Touba ?
On dit que «Science sans conscience n’est que ruine de l’âme». Touba a beaucoup de potentialités, beaucoup de besoins. C’est l’une des villes où la demande est fortement supérieure à l’offre sur le plan sanitaire. C’est la 2ème ville du pays. Et nul n’ignore l’ampleur de la mortalité maternelle ici. En 2009, quand j’ai fait le choix de venir à Ndamatou qui était un centre de santé, il n’y avait qu’un seul gynécologue. A l’hôpital Matlaboul Fawzény qui est de niveau 3 pour ne pas dire l’unique hôpital de niveau 3 à l’intérieur du pays, il n’y avait qu’un seul gynécologue. Et vous imaginez, avec la forte densité de la population. Ce n’était pas agréable. Tous les sortants choisissaient de rester à Dakar. Moi, j’avais fait le pari de venir au niveau des régions. Même si je ne suis pas de la même confession religieuse, j’avais choisi de venir à Touba parce que nous sommes de la même confession humaine parce que tout tourne autour de la vie humaine. Certains se disaient est-ce que je peux tenir parce que je ne suis pas musulman. Je répondais : «Je ne pars pas là-bas en tant que chrétien, je pars là-bas en tant que médecin-gynécologue, donc au service de la population.» Et je suis venu, je me suis adapté et Dieu merci, nous avons posé des jalons et les résultats sont patents. On a rendu tellement agréable cette expérience que d’autres collègues sont venus nous rejoindre. Les gens croyaient que Touba c’est invivable ; c’est bien vivable, il faut s’adapter et savoir pourquoi tu es là. Tu es venu pour la population, tu restes au service de la population sur le plan sanitaire. La demande était tellement forte. Et c’est une population qu’il ne faut pas laisser tomber parce qu’elles sont à 200 kilomètres de Dakar que tout le monde va rester à Dakar et qu’on va les laisser. Imaginez, il y avait des références qui quittaient ici pour aller jusqu’à Dakar. Mais aujourd’hui, cela ne se fait plus sur le plan gynéco-obstétrical. C’est plutôt l’inverse. Il y a des patients qui quittent Dakar pour venir à Touba se consulter. C’est parce que la prise en charge est vraiment fluide et correcte. Des patientes viennent de Dakar, prennent des cabines et rentrent le même jour. Il ne faut pas que tout soit concentré à Dakar. C’est la capitale, mais ce n’est pas la seule ville du Sénégal. Il faut que la santé soit décentralisée. Les autres populations, il faut les considérer. Ici, il y a de la matière, il y a le besoin. Quand tu regardes le visage des populations, tu sens qu’elles ont besoin de la santé. Ici, il y a le besoin. Nous qui sommes des spécialistes de la santé, nous devons nous mettre au service des populations et à tous les niveaux où elles se trouvent. L’intérieur du pays est bien vivable.
Est-ce à dire que vous n’avez aucun problème ?
Franchement, dire que je n’ai aucun problème, c’est trop. Mais les problèmes sont faits pour être surmontés. Les problèmes d’ordre administratif, c’est-à-dire quoi ? Le local. La demande est très forte, nous avons créé les conditions, on a créé l’engouement, la population est venue. Tu as vu devant la maternité tout à l’heure (l’entretien a eu lieu le samedi 19 novembre), on n’a plus de bureaux de recrudescence, tous les bureaux sont des bureaux de recrudescence à la maternité de l’hôpital Matlaboul Fawzény. On est au mois de novembre, les malades sont par terre. Hier, tu es venu, tu les as trouvées par terre. Aujourd’hui, tu es venu, tu les a encore trouvées par terre pas parce qu’on ne libère pas les gens. La capacité d’accueil est très faible.
Elle est de combien ?
La maternité a 42 lits y compris les tables d’accouchement. Je peux dire 42 places. Je suis même obligé d’hospitaliser les femmes en salle d’accouchement. Ce qui ne se fait pas normalement. Et aller jusqu’à faire deux malades par lit. Tu imagines ce que cela fait. Parce que tu n’oses pas, on n’a pas le droit de ne pas prendre une malade. Voilà nos difficultés. La difficulté majeure, c’est le manque de places. Ce manque de place nous met souvent en mal avec nos amis qui nous réfèrent les malades. C’est ce qui a motivé la dernière réunion sur les références pour qu’on puisse bien gérer entre nous. L’hôpital de niveau 3, ce n’est que de nom.
Pourquoi vous le dites ?
Parce que ce qu’il nous faut n’existe pas. On ne pas dire une maternité d’un hôpital de niveau 3 qui n’a que 42 lits. Si tu enlèves les tables d’accouchement, je n’ai que 30 lits pour une population de Touba. Ce n’est pas normal qu’on puisse mettre deux accouchées dans un même lit. Des fois, une femme accouchée par manque de lit, vous la mettez sur le carreau, elle est couchée là en attendant sa libération.
Au vu de tous ces problèmes, est-ce pertinent de vouloir construire un autre hôpital à Touba ?
Je pense avant d’aller à deux, il faut d’abord améliorer le premier. Parce que quoi qu’on fasse, c’est le personnel qui travaille. C’est un hôpital de niveau 3 qui a tellement d’espaces où vous pouvez faire encore d’autres bâtiments pour essayer de délocaliser certains parce qu’on dit «un, tu tiens, vaut mieux que deux tu auras». Si cet hôpital (le nouvel hôpital qui sera construit) est beaucoup plus agréable, il y aura risque de fuite du personnel de cet hôpital vers le nouvel hôpital. Vous savez, les gens n’aiment que ce qui est agréable. Je pense que c’est très bon. Créer un nouvel hôpital, mais aussi essayer d’élargir la capacité des hôpitaux qui existent déjà. Ce qui est faisable. La maternité par exemple devrait être délocalisée parce qu’il y a un espace vide qui peut l’abriter.
Est-ce que le personnel est suffisant au niveau de la maternité ?
Ça, c’est un autre problème. Par rapport à l’offre, je vois que le personnel est insuffisant. Nous sommes trois gynécologues pour combien de césarienne par mois ? J’ai 3 sages-femmes par équipe. Au minimum, j’ai 500 accouchements par mois ; d’où la recrudescence des repos médicaux. Quand il y a beaucoup d’espace, on peut décentraliser les premiers soins. Les femmes ne doivent pas être hospitalisées à la salle d’accouchement. On est obligé parce qu’il n’y a pas d’espace. S’il y a de l’espace, on crée des postes de salle d’éveil, des salles post-opératoires, où on va détacher des équipes qui ne s’occupent que de cela. Parce qu’une sage-femme qui est à la salle d’accouchement ne doit pas s’occuper des accouchements et de la surveillance des femmes. C’est ce que font les sages-femmes. Présentement, nous avons 18 sages-femmes pour un hôpital de niveau 3. Ce qui est loin des normes de l’Oms. Toutes les sages-femmes ne sont pas en salle d’accouchement. Il y a certaines qui sont en suite de couches, d’autres en Cpn. De sorte qu’une sage-femme est obligée de s’occuper et des Cpn, et des planifications familiales et de la consultation post-natale. C’est un cumul de fonctions. Et finalement, le résultat, c’est que l’objectif ne sera jamais atteint.
Quel est cet objectif ?
Sur la planification familiale, on nous dit qu’il faut aller jusqu’à 25% de l’offre. Si tu dois faire la planification familiale, la Cpn, tu n’as pas le temps de faire le counseling qui est le fondement de la planification familiale. Il peut être considéré comme l’une des bases pour lutter contre la mortalité maternelle. On a un taux dilué, c’est dans le cadre de Touba. Le taux de la planification familiale est d’environ 6 à 8%, très loin du taux qui est d’environ 47%.
500 accouchements par mois, n’est-ce pas trop ?
C’est trop par rapport aux gynécologues et aux sages-femmes qui officient ici. C’est trop aussi par rapport à la disponibilité du local. Si le local était bon, même 1 000 accouchements, ce n’est pas grave.
Ces 500 accouchements viennent d’où ?
La plupart sont des référés. La structure qui réfère le plus, c’est le centre de santé de Darou Khoudoss et l’hôpital de Ndamatou. Ce qui nous dérange, c’est que nous n’avons pas de local pour recevoir tout ce monde. Notre rythme de travail est infernal. De 8h jusqu’à 3h du matin, j’étais au bloc opératoire et je reviens comme çà (il était 10h). C’est pourquoi certains disent que Basile a deux cœurs. Si l’un se fatigue, il l’éteint et allume l’autre. Ce n’est pas cela. C’est la conscience professionnelle. Je me dis, mieux vaut souffrir avec la malade, si je ne peux pas souffrir à sa place.
Est-ce que le plateau médical répond aux normes ?
Sur le plan humain déjà, il ne répond pas. Sur le plan logistique aussi, çà ne répond pas parce qu’on ne peut pas faire 500 accouchements dans une maternité où il n’y a que 42 lits. La suite, c’est que vous voyez des malades par terre. Ici, nous avons le minimum de matériels pour travailler. On a des besoins de boîtes d’accouchement, des boîtes de césarienne comme je l’avais dit à Dr Guirassy quand il m’avait appelé pour me dire que c’est le ministre qui l’avait demandé. Imaginez que dans certaines structures les gens font 100 à 150 accouchements par mois, nous, on est à 500 accouchements. Cela veut dire que le matériel que nous avons est usé, le personnel aussi. C’est pourquoi, je voudrais qu’on ait suffisamment de personnel, ce qui nous permettrait de décentraliser les postes et éviterait leur cumul.
Est-ce à dire qu’il faut augmenter le nombre de sages-femmes et d’infirmiers d’Etat ?
Pourquoi pas ! On n’a pas d’infirmiers, on a des aides-infirmiers qui sont là à titre d’infirmiers. Ce sont des gens qui ont été recrutés depuis l’ouverture de l’hôpital, mais on n’a pas d’infirmiers.
Pourquoi le nombre de césariennes ne cessent de croître ?
Il a flambé parce que c’est un centre de référence. On dépasse la norme de 25%. Nous sommes à 45%. Et c’est dû aux références. La plupart de nos patients sont des référés.
Qu’est-ce qui explique la flambée des césariennes ?
Nous ne devrions pas faire beaucoup d’accouchements normaux que de césariennes parce que nous ne devrions prendre que ce qui est compliqué. Et quand cela se complique, ça se termine au bloc. C’est le tri. Beaucoup de césariennes s’accompagnent d’une forte baisse de la mortalité maternelle. Est-ce que vous saviez combien de femmes mourraient dans les années 1980 par faute de césarienne ? Dans ces années-là, le Sénégal faisait au moins 410 décès maternels pour 100 mille naissances. Présentement, le Sénégal est en deçà de cela. Ce n’est pas une flambée de césariennes, c’est une flambée de cas opératoires. Et cela appelle à l’implication des spécialistes à certains niveaux.
Durant le Magal, on a remarqué beaucoup d’avortements. Qu’est-ce qui l’explique ?
Je pense que ce sont des avortements d’origine traumatique. Les femmes enceintes ne doivent pas faire des déplacements dans ces foules. Il n’y a pas qu’un seul Magal dans la vie. Quand tu es dans une situation de santé, tu te réserves et tu pries Dieu pour que le prochain Magal te trouve en bonne santé. Je suis contre Les femmes enceintes qui quittent Kolda,Ziguinchor, Tambacounda. Tous les avortements que nous recevons sont liés à des chutes de charrettes ou de véhicules.
Comment vous vous êtes retrouvé au Sénégal ?
J’ai fait mes études universitaires en Guinée. J’étais généraliste et j’ai commencé à travailler pendant deux ans et un beau jour, j’ai décidé de venir au Sénégal pour faire mon certificat de spécialisation en gynécologie-obstétrique. Nous avons l’accompagnement de la direction qui est à l’écoute de la maternité.
C’est très poignant comme témoignage. On s’imagine comment et combien de service ce grand homme à deux coeurs et deux poumons, aurait encore pu rendre à la population si le minimum souhaité était là.
Merci et grand courage cher ami. Je me rend compte que tu n’as absolument rien diminué au courage et aux grandes qualités que nous avions tout au long de notre cursus universitaire, médical.
Je te souhaite tout le meilleur pour un service encore plus satisfaisant à cette population devenue la tienne.