Depuis quelques jours, une décision économique du gouvernement intrigue, interroge et divise : une hausse généralisée de 1% des taxes sur l’activité économique, suivie, presque aussitôt, par l’annonce d’une réduction des prix du carburant, de l’électricité et du gaz. Une double mesure que beaucoup de Sénégalais perçoivent comme contradictoire, voire incompréhensible. Quelle est donc la logique réelle derrière cette manœuvre ? Faut il y voir une politique économique réfléchie ou un calcul politique à court terme ?
L’au­gmen­tation de 1% de la taxe sur les activités écono­miques ne concerne pas seulement les grandes entreprises. Elle touche toute la chaîne productive, du petit commerçant du marché Sandaga jusqu’à l’industriel du port, du transporteur au boulanger, du vendeur de poisson au fabricant de ciment. En pratique, cela signifie que le coût de revient de nombreux biens et services augmentera, et que cette hausse sera tôt ou tard supportée par le consommateur final.
Or, dans un pays où, selon l’Ansd, plus de 36% des ménages vivent sous le seuil de pauvreté, chaque franc de plus sur le pain, le riz, le sucre ou le transport compte. Le paradoxe est là, car on augmente la pression fiscale au moment même où le pouvoir d’achat s’effondre, où les salaires stagnent, et où le panier de la ménagère ne cesse de se vider.
Dans le même souffle, le gouvernement annonce une baisse des prix du carburant, de l’électricité et du gaz. Sur le papier, la mesure paraît populaire et bienveillante. Mais en éco­nomie, les symboles ne suffisent pas. Baisser les prix de l’énergie, c’est une chose ; encore faut il que cette mesure soit sincère et durable, et non un simple geste de circonstance destiné à calmer les tensions sociales ou à détourner l’attention.
Car la coïncidence interrogee, parce qu’au moment où l’opposition appelle à une grande marche nationale le 31 octobre 2025 pour dénoncer la cherté de la vie, voilà que le gouvernement sort un paquet de mesures contrastées, comme pour couper l’herbe sous le pied de cette mobilisation citoyenne. Et quelques jours plus tard, on annonce en grande pompe le Terameeting du 8 novembre 2025, prévu pour galvaniser les soutiens du pouvoir. Faut-il donc y voir une manœuvre politique visant à désamorcer la colère populaire d’un côté, et à séduire les affidés de l’autre ?
Cette impression de calcul politicien s’impose d’autant plus que les décisions semblent prises à la hâte, sans cohérence ni stratégie de fond. Comme le rappelait
Demba Moussa Dembélé :
«Mais quand la réalité les rattrape, on change de discours.»
Et encore : «Nous sommes dans une phase où, si on n’y prend garde, on sera l’un des pays les plus chers au monde. En tant que pays sous développé, le Sénégal est excessivement cher.»
Or, en économie, les contradictions finissent toujours par se payer. Augmenter la fiscalité et baisser les prix subventionnés simultanément, c’est envoyer un message brouillé. C’est dire au Peuple : «On vous prend d’une main ce qu’on vous donne de l’autre.» Une telle incohérence ne peut que fragiliser la confiance des ménages et des entreprises.
Le Sénégal, déjà éprouvé par une dette publique de plus de 118% du Pib, n’a pas la marge nécessaire pour s’offrir ce genre d’équilibrisme politique. L’Etat ne peut maintenir longtemps ce type de pilotage qui oscille entre mesures de rigueur et gestes de détente.
Les Sé­négalais, eux, voient clair. Ils savent que l’économie ne se gère pas par émotion, ni par calcul politique plié au jour le jour, mais par méthode et transparence. Ce qu’ils attendent, ce n’est pas une succession d’annonces contradictoires, mais une ligne claire, lisible et juste. Ils veulent comprendre pourquoi on augmente les taxes en période de tension sociale. Ils souhaitent savoir comment la baisse du carburant ou du gaz sera financée avec un Trésor public exangue. Ils veulent surtout sentir que leurs sacrifices quotidiens servent à bâtir quelque chose de solide, et non à alimenter une bataille d’images entre le pouvoir et l’opposition.
Comme le disait Thomas Sankara : «Un peuple conscient et informé est plus fort qu’un gouvernement hésitant.»
C’est cette conscience que les Sénégalais manifestent en voulant descendre dans la rue, non par esprit de confrontation, mais pour dire non à la vie chère, à l’essoufflement du pouvoir d’achat et à la perte de confiance dans la parole publique.
Monsieur le Premier ministre, la sincérité politique n’a pas de prix. Vous avez incarné, dans l’opposition, la voix d’un Peuple en quête de justice économique. Aujourd’hui, le même Peuple vous regarde, non plus comme un tribun, mais comme un gestionnaire. Il attend des actes cohérents, pas des équilibres de circonstance.
Entre la hausse des taxes et la baisse des prix, il y a un fil invisible, celui de la crédibilité gouvernementale. Et si ce fil se rompt, ce n’est pas seulement la confiance des bailleurs ou des investisseurs qui s’éteindra, mais celle du Peuple tout entier.
Le Sénégal ne demande pas la perfection, il demande simplement de la clarté, de la cohérence et du courage.
Amadou MBENGUE
dit Vieux
Secrétaire général de la coordination départementale de Rufisque membre du Comité Central et du Bureau Politique du Pit/Sénégal