Adéane est une localité qui polarise le village d’Adéane et Tambacoumba. Ici, la lutte contre la pandémie du Sida se heurte à la question de la formation des prestataires. L’Infirmier-chef de poste (Icp), Chérif Ibrahima Sané, revient sur la réponse, les difficultés, notamment la non-effectivité de la décentralisation des soins au niveau des postes de santé dans la région de Ziguinchor. L’Icp plaide pour une décentralisation plus accentuée. Une stratégie, selon lui, pour résoudre la question des perdus de vue, qui posent un grand problème à la réponse dans la région.
Comment s’organise la réponse au niveau du poste de santé d’Adéane ?
La lutte se passe bien. Des activités sont en train d’être menées. Récemment, le poste et la case de santé ont organisé deux séances de dépistage volontaire. Cette fois, c’était pour toucher plus de cibles. Cela nous a permis de débusquer deux cas qui ont été orientés au niveau du site de prise en charge et ces deux personnes sont en train de suivre le traitement. Elles sont sous Arv.
Parlez-nous de la décentralisation des soins au niveau des postes de santé ?
L’effectivité n’est pas à 100%. C’est ce qu’on aimerait mais ce n’est pas effectif à 100%. Actuellement, l’objectif du Sénégal c’est de tendre vers zéro infection d’ici à 2030, nous en tant que prestataires, nous aimerions qu’on nous implique davantage. D’autant plus qu’en milieu rural, il n’y a pas de médecins. Je peux dire que nous faisons office de médecins dans ces zones. Il va falloir que les autorités sanitaires de la région enrôlent les autres postes de santé. Le processus est lent. Il faut le dire parce que dans le district, quelques postes à grand volume d’activité ont été enrôlés dans le cadre de la décentralisation. Cela a été fait par le médecin-chef adjoint en compagnie de l’assistant social. Cela est une aubaine pour nous professionnels de santé mais aussi pour les patients du fait que la plupart du temps nous avons des perdus de vue. Si la prise en charge est décentralisée, cela va amoindrir les perdus de vue. Cette approche doit être étendue et pérennisée.
Quels sont les obstacles à la décentralisation ?
Les obstacles sont assez nombreux. Beaucoup de prestataires n’ont pas été capacités pour prendre en charge médicalement les personnes vivant avec le Vih Sida. Actuellement, les formations sont en compte-gouttes. Cela freine la décentralisation.
Il y a combien de postes décentralisés dans le district de Ziguinchor ?
A ma connaissance, il y a quatre sur 33 postes, en plus du centre de santé que compte le district.
Le problème, c’est le manque de formation, qu’est-ce qui se passe ?
Il y a un manque de formation. Le ministère, par le biais de la coopération Jica, a recruté des infirmiers. Ce personnel est ventilé au niveau des postes et ils n’ont pas jusque-là bénéficié de formation.
Mais vous à votre niveau, vous pouvez les aider ou les encadrer pour qu’ils puissent être à niveau ?
Effectivement, qu’il y a un partage interne qui se fait. Mais vous savez en matière de Vih, surtout avec les Arv vu la complexité du traitement, les effets secondaires et autres, ça nécessite une formation. C’est pourquoi, je lance un appel aux acteurs de la lutte. Nous pouvons atteindre notre objectif. Mais, il faut impliquer tout le monde et cela doit d’abord passer par la formation de tous les prestataires. Il faut les impliquer en aval et mettre en contribution les décideurs, les leaders d’opinion, les chefs religieux et autres. Nous sommes dans une zone particulière. D’après la cartographie, Ziguinchor, Kolda, Sédhiou, et Kédougou se taillent la part du lion. Ici à Ziguinchor, d’après l’Eds 5, nous sommes à 1% de prévalence. Il y a des zones rouges. L’exemple du district sanitaire de Diouloulou, Kafountine, Cap Skiring. A cela, il faut ajouter les multiples rencontres, les marchés hebdomadaires et autres, ce sont des situations à hauts risques. Cela doit être l’affaire de tous.
Est-ce que les Arv sont disponibles dans le district ?
Avec l’appui du Fonds mondial, il y a une disponibilité en quantité suffisante des intrants Arv, médicaments pour la prise en charge des infections opportunistes, les préservatifs masculins et féminins, les lubrifiants et autres. Concernant les intrants pour le moment, il n’y a pas de problème.
Vous êtes formé à la prise en charge du Vih ?
Moi je suis formé. Nous avons reçu la visite du médecin-chef adjoint. Ce dernier nous a outillés par rapport à la prise en charge de manière globale, c’est-à-dire comment accueillir la personne vivant avec le Vih. L’examen physique, comment on doit procéder, ce qui nous permet de diagnostiquer des maladies opportunistes et qu’on puisse le gérer ou le référer au niveau supérieur. Mais il reste. Car si on était bien outillés, la prise en charge des maladies opportunistes pouvait se faire au niveau du poste de santé.
Est-ce que la lutte avance au niveau de la zone ?
Les choses bougent, il faut le dire. Si on prend l’exemple de Kolda, l’année dernière, à l’occasion de la Journée contre le Sida, la prévalence était de 2,4, cela a régressé et aujourd’hui elle à 2,3%. C’est quelque chose. Mais le gros du problème reste entier pour les trois régions. Il y a un ancrage culturel qui est là, des rencontres périodiques qui sont là. Il va falloir que les gens communiquent davantage. Qu’on implique davantage des acteurs communautaires surtout au niveau périphérique, les capaciter et les outiller. Car il y a pas mal de personnes qui ignorent jusque-là l’existence du Sida. Parfois, nous dépistons une personne positive et elle vous dit : «Non je ne suis pas séropositive. Cette maladie n’existe pas.» J’ai un cas similaire que j’ai du mal à gérer.
Il est dans la nature ?
Oui. Je suis en train de tout faire pour voir comment ramener cette personne à la raison.
Dans ces cas, vous ne pouvez rien faire. Cette personne peut transmettre le Sida et il y a une loi votée à l’Assemblée nationale pour ça, au-delà de la persuasion, qu’est-ce que la loi vous permet de faire ?
Il y a une loi… mais il y a un blocus qui est là. Nous avons des pratiques. Nous ne pouvons les pas transgresser, contraindre une personne à se soigner, je ne pense pas que ça peut se faire. Ce que nous pouvons faire par contre, c’est d’essayer de dialoguer avec la personne, de continuer jusqu’à ce qu’elle accepte.
L’adjoint au gouverneur de Ziguinchor préconise qu’on rende obligatoire le dépistage. Vous en pensez quoi ?
Je suis d’accord avec lui. Cela nous permettrait d’atteindre l’objectif des trois 90. Le Sénégal s’est aligné avec cette approche, c’est-à-dire dépister la population séropositive d’y retrouver au moins 90% ensuite de mettre à temps réel 90% de ces personnes vivant avec le Vih sous Arv et de les maintenir dans le traitement pour une suppression de la charge virale. Donc rendre le test obligatoire, je pense que c’est apporter une solution pérenne à l’élimination de la maladie.
Vous avez combien de personnes dans votre file active de patients ?
Actuellement, je suis à 6 personnes vivant avec le Vih. Toutes ces personnes habitent à Adéane.
Elles ne subissent pas de stigmatisation ?
Non. En plus les rendez-vous se font par convenance. Comme nous avons leurs contacts téléphoniques, nous les appelons de besoin. Et c’est à la personne de décider quand elle veut son rendez-vous. En matière de santé, les gens sont très regardants. Si une personne rentre dans un bureau et en sort avec un paquet de médicaments qui ne vient pas de la pharmacie dépôt du poste, d’autres personnes vont commencer à jaser. Nous ne sommes pas encore à l’heure où les gens acceptent et affichent au grand jour leur statut.