Dans cet entretien, Lieutenant Abdoulaye Touré revient sur l’importance et les enjeux liés aux multiples activités pratiquées dans la Réserve naturelle urbaine des Niayes de Pikine et dépendances en tant que zone verte et humide dans la capitale. Le conservateur sensibilise aussi sur les pressions auxquelles fait face le Technopôle, non sans appeler les autorités (locales et étatiques) à prendre des décisions courageuses pour préserver cette zone verte.Présentez-nous la Réserve naturelle urbaine… ?

La Réserve naturelle urbaine des Niayes de Pikine et dépendances est créée en 2019 par le décret présidentiel n°2019-748. Huit communes la polarisent. Il s’agit des communes de Pikine-Ouest, Pikine-Est, Patte d’Oie, Golf-Sud, Bel Air, Parcelles Assainies, Dalifort, Sam Notaire. On l’appelle Réserve naturelle urbaine des Niayes de Pikine et dépendances parce qu’il y a deux lacs à Bel Air qui dépendent de la réserve. Il a été constaté que la zone constitue un refuge pour les malfrats. Des agressions avaient souvent lieu au niveau de l’autoroute à péage et les auteurs se réfugiaient souvent dans la zone. Ensuite, elle était devenue un lieu de déversement d’ordures et de gravats. Certains aussi faisaient du remblaiement jusqu’à une certaine hauteur pour pouvoir construire. Les eaux pluviales, qui empruntaient le chemin naturel pour se retrouver dans les lacs, finissent par causer des inondations dans ces quartiers alors qu’en principe, toutes les localités qui ceinturent la zone ne devraient pas connaître ce phénomène parce que le Technopôle constitue en quelque sorte une cuvette. Ainsi, pour préserver le site, le président de la République a pris la décision de classer la zone en réserve naturelle. Il a annulé tous les titres fonciers et mis fin à toutes les activités de construction dans la zone. Toutes les personnes qui avaient des terrains et autres dans la zone sont alors appelées à se retirer pour cause d’utilité publique. Seule la zone économique du Technopôle de Dakar, destinée à accueillir des centres de recherche, d’enseignement et des entreprises d’innovation technologique, reste maintenue. Personne d’autre ne peut plus exercer une activité de construction dans la zone. Quand la réserve est créée, on l’a mise sous la tutelle de la Direction des aires marines communautaires protégées (Damcp). Il faut le rappeler, avant 2012, les zones humides dépendaient de la Direction des parcs nationaux. Quand les Aires marines protégées sont créées, il fallait aussi mettre en place, au niveau du ministère de l’Environnement, du développement durable et de la transition écologique, une structure pour gérer cela. C’est là que nous intervenons, car on dépend de la Direction des Aires marines communautaires protégées tout en étant des agents des parcs nationaux.

Comment les populations ont vécu ce classement de la zone en réserve ?
Elles ont apprécié la décision. Peut-être qu’il y avait quelques frustrés. Parce que quand vous avez un titre foncier dans un endroit et on se lève un beau matin pour vous dire que tout est annulé, c’est un peu frustrant. En plus, personne n’a été remboursé ou indemnisé. Mais il fallait prendre des décisions courageuses pour préserver l’écosystème environnemental. Dans la zone, on reçoit plusieurs espèces d’oiseaux. Certaines sont migratrices, c’est-à-dire qu’elles viennent d’Europe ou d’autres contrées et passent ici l’hiver pour fuir la fraîcheur et la neige. Ne pouvant pas supporter cette fraîcheur ou cette neige, elles sont obligées de changer de lieu le temps de se reproduire, d’élever les petits et aussi de préparer le voyage de retour, qui va coïncider avec le retour du climat clément en Europe. Par contre, il y a des espèces sédentaires qui sont là tout le temps.

N’y-a-t-il pas des chiffres pour les espèces vivant dans la réserve ?
Si ! On a dénombré 239 espèces d’oiseaux vivant dans la Réserve naturelle urbaine des Niayes de Pikine et dépendances. Le décompte se fait par le comptage des oiseaux un par un, espèce par espèce. Si on commence, par exemple, par les pélicans, on les dénombre un par un pour savoir combien de pélicans vivent dans la zone. C’est la même chose avec les cormorans, les goélands, ainsi de suite. Ceux que vous voyez en groupe là, nous, on parvient à les reconnaître en espèce.

Quand date le dernier décompte ?
De la semaine dernière, parce qu’il se fait chaque 15 du mois. On le fait avec la collaboration d’un de nos partenaires, Ncd (Nature, communauté et développement), un organisme qui œuvre dans le domaine de l’environnement. Avant l’arrivée des agents des parcs nationaux que nous sommes, c’est Ncd qui était dans la zone. Lorsqu’on est venus, on a fait une collaboration.

Depuis que le site est érigé en réserve, des changements sont-ils notés ?
Effectivement, il y a des changements. De 2019 à maintenant, les effectifs des agents ont augmenté. Il y a maintenant des postes de contrôle qui sont au nombre de trois et chaque poste compte au minimum dix agents. Ces agents effectuent régulièrement des patrouilles pour parer à toute éventualité. On a aussi un mirador pour l’observation des espèces et un reposoir pour les oiseaux.

Pouvez-vous revenir un peu sur l’importance de cette réserve urbaine ?
L’importance, c’est avant tout un poumon vert. C’est rare de trouver une réserve à l’intérieur d’une capitale. En plus d’être une zone humide, c’est un lieu qui peut accueillir beaucoup d’espèces d’oiseaux migrateurs. Souvent, on reçoit des gens qui visitent la zone. Aujourd’hui (interview réalisée mercredi), on a reçu pas moins de quatre cents élèves des lycées de Seydou Nourou Tall, Limamou Laye de Guédiawaye, qui effectuaient une visite pédagogique dans le réserve. On a également reçu des étudiants en Ornithologie d’un institut de formation de Thiès, qui étaient là pour observer les oiseaux dans le cadre de leurs recherches. Il y a donc cette importance de la flore et de la faune en milieu urbain avec des espèces animales et végétales.

Est-ce que les populations riveraines sont conscientes de l’importance de cette réserve ?
Elles commencent à comprendre l’importance de cette zone humide. Certes, elles sont nombreuses les personnes vivant aux alentours du Technopôle à ne pas connaître l’intérieur de cette réserve. Mais avec ce genre de sorties (sorties pédagogiques des élèves notamment), beaucoup découvrent la beauté du paysage à l’intérieur du Technopôle. Elles commencent donc à avoir cette sensibilité. D’ailleurs, la semaine dernière, nous avons mis en place un Comité de gestion où tous les acteurs sont associés et représentés, pour ne pas dire sont gérants de leurs propres ressources. Parce que la réserve est un espace vital où se côtoient pas moins de six cents maraîchers. Nous avons aussi des pêcheurs.

Quel type de pêche pratique-t-on ici ?
Ici, on pratique la pêche à l’épervier ou bien les filets dormants (dans les zones plus profondes). C’est une pratique que nous avons trouvée sur place. Les pêcheurs sont présents dans la zone depuis plusieurs années. Quand on est venus, on les a laissé continuer à pêcher car ce type de pêche ne nuit pas à l’environnement. Quant aux espèces de poisson, il y a notamment des tilapias (petites carpes d’eau douce ou saumâtre).

Comment se fait-il, l’entretien de la réserve ?
Comme la gestion est communautaire, nous avons mis en place, la semaine dernière, un Comité de gestion qui est constitué des acteurs, notamment les maraîchers, les pêcheurs, les fleuristes, les jardiniers. Au niveau de la zone industrielle aussi, il y a un représentant. Toutes les personnes et entités ayant des intérêts pour la préservation de cette zone sont représentées dans le Comité de gestion. Si vous faites le tour, vous verrez qu’il y a des activités pratiquées à côté de la réserve, alors qu’elles sont incompatibles avec la préservation de cet espace. Ce sont des activités qui ne devraient pas se faire près de la zone parce qu’elles polluent l’environnement. Même les maraîchers qui sont dans la zone, on les encourage à aller vers une agriculture bio et à ne pas utiliser les pesticides responsables, pour la plupart, de la pauvreté des sols. On ne peut pas les déguerpir parce que ce sont des gens qui sont là depuis des décennies. C’est pourquoi on a aussi essayé de s’organiser en association pour pouvoir mener à bien les activités.

Existe-t-il des menaces ou pressions qui pèsent sur la zone ?
Il y a, bien évidemment, la pression foncière avec la poussée démographique dans les communes environnantes, la présence des stations d’épuration d’eaux usées de l’Onas (Office national de l’assainissement) dans la zone. Mais cette station était là bien avant nous. Ils (les responsables de l’Onas) disent que les eaux usées ne sont pas déversées dans le Technopôle, mais c’est sûr qu’il y a quelque chose qui échappe. Et la présence des typhas, qui sont des indicateurs de pollution, prouve que l’eau des lacs n’est pas potable et est complètement polluée.

La pollution des lacs serait donc due aux multiples activités pratiquées aux abords de la réserve ?
Absolument ! Aussi, il y a des mécaniciens à coté qui déversent de l’huile morte dans le Technopôle, avec tous les impacts que cette huile a sur les sols. Leurs activités ne riment pas avec la conservation des sols. C’est pourquoi on est en train de voir, avec les mairies, comment trouver un endroit vers lequel on peut les orienter. C’est très compliqué de préserver cet espace du fait des enjeux. Mais encore une fois, il faut qu’on prenne des décisions courageuses parce qu’on ne peut pas faire des omelettes sans casser des œufs.