L’exploitation à ciel ouvert du basalte à Ngoundiane par des géants de l’industrie a fini de produire un effet néfaste sur l’environnement et la santé des populations. A cause de la pollution atmosphérique et des conditions de vie précaires, les dégâts sont incommensurables. Entre autres, des morts, des aveugles, des malades. De pauvres citoyens qui, non seulement ne jouissent pas des retombées financières des mines qui font gagner des milliards aux exploitants, mais éprouvent d’énormes difficultés à y trouver un emploi décent. Les quelque jeunes de ces dites  localités qui ont eu la chance de travailler dans les exploitations peuvent rester plusieurs mois sans percevoir leurs salaires.

Nichées dans les communes de Ngoundiane et Tassette, les carrières d’exploitation du basalte impactent négativement le vécu quotidien des populations. Lesquelles au lieu de profiter de la richesse de leur sous-sol, souffrent plutôt du mal des nuisances environnementales. Les communes de Ngoudiane et de Tassette comptent leurs malades par milliers. Les postes de santé ne désemplissent pas. Dans ces localités minières, presque tout le monde est malade. Les dispositions élémentaires du respect du Code minier, dans ces carrières, étant foulées du pied par les exploitants. Des géants qui ont pour nom Gecamines du groupe Vicat propriétaire de la cimenterie Sococim, Cogeca et Sosecar du groupe Layousse propriétaire des ciments du Sahel, Cse d’Aliou Sow, Houar Sintram (groupe marocain), les carrières d’Oumar Diop et de Bathie Diop. Quelques carrières à l’arrêt pour le moment notamment Tetacar de Bara Tall, directeur général de Jean Lefebvre, Mapathé Ndiouck et enfin Soeco des frères Macoumba et Pape Louis Ndiaye. Ces géants de l’industrie ventilent leur poussière sur les habitants de Ngoudiane et de Tassette, qui comptent leurs malades mais aussi leurs morts.
A présent, les habitants de ces villages, situés dans un rayon de deux kilomètres, ceinturant les carrières de basalte, un matériau utilisé dans la construction immobilière et les infrastructures routières, restent traumatisés par la précarité de leur santé et l’environnement, qui se dégrade de jour en jour. Le village de Diack, situé à moins de 4 kilomètres des carrières de Gecamines, qui porte les stigmates des nuisances environnementales, en est une parfaite illustration. Une végétation inexistante dresse un tableau sombre. Tout est sec et mort. Les arbres tristes et chauves agonisent et lancent leur dernier souffle. Quelques arbres appelés «Cadds» résistent encore, leurs feuilles couvertes de poudre blanche distillée. Comme un dattier perdu en plein désert, le village de Diack affiche ses bâtiments obsolètes. Quelques rues sont recouvertes de grains de basalte.
De la poudre aux yeux des habitants, qui ne profitent pas des retombées des carrières établies dans leurs localités. A proximité du Poste de santé de Diack, se dresse la bâtisse du sieur Mamadou Séne. Vêtu d’un boubou bleu, il tâte dans le vide pour répondre aux «salamalecs» du visiteur du jour. Dans sa chambre, des photos de sa jeunesse sont accrochées au mur. «Vous avez vu au-dessus du lit, il y a une photo où je porte une chemise noire», indique-t-il. Chemise noire échancrée, une paire d’yeux fixant l’objectif devant lequel pose Mamadou Séne. L’homme venait de boucler ses 30 ans. Cette photo est le dernier regard que Mamadou Séne a porté sur son épouse et ses enfants. Puisque depuis lors, il est devenu aveugle suite à un accident de travail dans les carrières. 62 ans, il se souvient avec amertume de son accident de travail. Le 11 février 1981, dans les carrières de la Sosecar, au moment où il essayait, avec 4 autres mineurs, de déclencher un engin pour dynamiter les grosses pierres de basalte, la mine a explosé sur eux. Le bilan est sans appel. Les 4 ouvriers meurent sur le coup projetés et déchiquetés par la puissance de l’explosion. Lui, le plus chanceux du groupe, se réveille dans un lit d’hôpital au service de traumatologie de Robert Fustec de l’hôpital Le Dantec de Dakar avec un polytraumatisme, sanctionné par une fracture ouverte de la jambe droite, de l’avant bras droit et de multiples plaies. Avec des lésions oculaires graves, le mineur percevait vaguement les objets à 10 cm de son œil. «Le Marocain n’avait pas de matériel. On bricolait pour faire exploser les mines. Au moment où nous avons déclenché l’engin, il a explosé sur nous», se souvient-il, la voix frissonnante.
Il y a, à peine, une trentaine d’années de cela, Mamadou Séne vit avec ce handicap. Un drame toujours vivant dans sa tête. Depuis, ce non-voyant est guidé dans ses moindres déplacements. Et depuis 30 ans déjà, il court derrière une indemnisation. «Malgré ce grave accident que j’ai eu dans les carrières de Layousse Cosecas, je n’ai pas été indemnisé. J’ai écrit au président de la République Macky Sall pour que je puisse être indemnisé. Je garde l’espoir que le Président Macky Sall va réagir pour que je puisse dérouler des activités agricoles», signale-t-il. Depuis 1981, Mamadou Sène se rend à Dakar pour son indemnisation. Et finalement, il a fini par baisser les bras avec la mort de son avocat. «Quand je me rendais à Dakar, il me fallait m’occuper de la prise en charge de mon accompagnant parce que je n’ai aucun parent à Dakar. Lassé, je m’en suis remis à Dieu», signale-t-il. Mamadou Sène dit se suffire de sa rente mensuelle à la caisse de sécurité sociale même si cela ne couvre pas ses charges familiales. Ses filles travaillent à Dakar comme ménagères pour l’aider à supporter les charges familiales. «J’ai sollicité un puits auprès du maire Mbaye Dione pour faire l’exploitation maraichère dans mon champ», dit-il. 30 ans déjà que se produisait ce fâcheux accident du vieux Séne, les conditions des ouvriers n’ont toujours pas évolué dans les carrières de Ngoudiane. Sur place, les travailleurs de ces carrières de Ngoudiane étalent leur misère. A la compagnie générale d’exploitation des carrières, par exemple, l’on fustige les conditions inhumaines de travail des ouvriers. «Nous sommes mal payés. Nous travaillons 11 heures par jour alors que nos salaires ne dépassent pas 100.000 de Cfa le mois. Rien n’est légal ici. Les travailleurs de nuit font 22 heures par jour. La sécurité ne leur est pas garantie», fulminent les intéressés. Lesquels de faire remarquer : «Lors de la dernière visite du ministre de l’Industrie et des mines, certaines machines ont été mises à l’arrêt sinon personne n’oserait entrer dans le site en raison du bruit infernal. Le sol a été arrosé pour atténuer la poussière sinon le ministre Aly Ngouille Ndiaye n’accéderait pas au site». Le maire de Ngoudiane, Mbaye Dione, qui ne cesse de défendre le dossier des travailleurs restés plusieurs mois sans salaire de fustiger l’insuffisance des retombées des exploitations sur la collectivité locale et l’agression de l’environnement. «En 2009, lorsque j’arrivais à la tête du Conseil rural, sur des milliards d’investissements, le conseil ne percevait que 36 millions Cfa en termes de patente. On s’est battus pour corriger cela et on est arrivé à un recouvrement de 200 millions Cfa.  Ce qui est toujours faible entendu que les exploitants font plus d’une dizaine de milliards en chiffre d’affaires», souligne-t-il.

Désespoir
carrieres-de-Ngoundiane2Le village de Ngaléne, qui jouxte les limites des carrières se dresse à l’opposé de celui de Diack. Ici le soleil distille des étuves de plomb accompagnées d’une brume blanche poussière sortie des carrières qui obstrue la vue. Le paysage est inexistant. Aucun oiseau à l’horizon, encore moins de lézards. Des montagnes de gravats qui narguent le ciel ont avalé les champs des paysans. Dans les bas-fonds des carrières, les gros engins, devenus si minuscules, concassent à la recherche de la pierre noire si précieuse. Des cratères béants sont ouverts un peu partout. Au fond des cratères, les plans d’eau saumâtre qui renseignent sur l’infection de la nappe phréatique. Plus loin, les concessions en ciment tiennent à peine sur leurs fondations. Les murs fissurés menacent de tomber. «Les détonations des mines ont fini de fissurer tous nos murs», signale un habitant, Mass Diom.  A Ngaléne, Sesséne, Mbousnakh, Keur Goumack, les gens ne se portent pas mieux. Tout le monde tousse, les enfants comme les adultes. Tout le monde est malade. Couchée dans le creux d’un pneu devenu un lit de fortune, Maïmouna Dieng surveille deux mômes, qui jouent avec le sable dans la cour de la maison de l’imam Abdou Tine. «La poussière nous rend malade. Elle vient des carrières. Elle vient jusque dans nos chambres. On nettoie et quelques minutes après, c’est encore sale. Tous nos enfants sont malades. Ils sont enrhumés à longueur d’année», dit-elle. A quelques mètres, l’iman Abdou Tine et le vieux Diabel Ndiaye, assis sur une natte, trient les mauvaises graines d’un bol d’arachide. «C’est le peu d’arachide que nous avons récoltés. Avec ces carrières, le sol est devenu infertile. Et on n’a plus d’espace pour cultiver, les carrières ont pris nos champs. On n’y peut rien», regrette-t-il. Presque édenté, le vieux Tine de déverser sa bile sur les exploitants. «La poussière nous tue. Les exploitants ne prennent aucune mesure pour le respect de l’environnement. Les puits sont infectés par la poussière. L’eau des puits est impropre à la consommation. La poudre blanche nage en surface de l’eau. Ces carrières ne nous sont d’aucune utilité parce que nos enfants n’y travaillent pas. On ne sait même pas où se plaindre. Tantôt on nous renvoie auprès du maire de Ngoudiane, Mbaye Dione, tantôt auprès du maire de Tassette, Mamadou Thiaw. Les exploitants poussent leurs carrières jusque dans nos villages», fustige-t-il. «Ces carrières nous portent préjudice. La poussière, qui s’y dégage nous tue à petit feu. En 2013, le choléra s’était déclaré dans notre village. Le poste de santé de la localité ne pouvait plus contenir les malades qui ont été finalement évacués à l’hôpital régional de Thiès. C’est notre seul village, qui a été affecté par le choléra. Quand on mange, on s’enferme dans nos chambres. Aujour­d’hui, les montagnes de sable ont avalé nos champs. Cette semaine, les exploitants sont venus jusque dans le village pour sonder le sol. Je me suis opposé à cela. Le maire Mamadou Thiaw m’a dit que c’est la direction des Mines qui les envoie. On ne cède pas nos terres. L’Etat est plus puissant que nous mais on s’opposera à tout individu qui voudra nous prendre nos habitations et nos champs, notre seul moyen de survie. Ces carrières n’ont rien changé dans notre existence», fulmine l’iman de Ngalène. Assis à ses côtés, le vieux Diabel Ndiaye regrette aussi que ces carrières n’apportent pas grand-chose au terroir. «Ils exploitent des milliards alors que nous n’avons ni eau ni électricité encore moins de route bitumée», dénonce-t-il. Awa Sarr et Fatou Tine qui s’activaient non loin de la cuisine lancent aussi leurs complaintes. «On manque de tout. Les villageois sont oisifs. Les jeunes sont en chômage. On est tous malades. Au petit matin, au réveil, on est couverts de poussière blanche. On ne peut pas respirer correctement. Ce que nous déplorons surtout, c’est que nos filles qui traversent les carrières pour aller à l’école sont agressées et violées par les mineurs venus d’ailleurs», accuse Fatou Tine.
L’Acte 3 de la décentralisation ne serait pas venu faciliter les choses. Les deux communes de Ngoundiane et Tassette se disputent les redevances minières presque inexistantes même si les exploitants gagnent des mil­liards. «C’est seulement avec l’Acte 3 de la décentralisation qu’on a su qu’on fait partie de la commune de Tassette même si on n’est à 2 pas de la commune de Ngoudiane. Les exploitants nous foudroient et nous tuent. Dans nos villages, il est difficile de voir un vieillard vivre au-delà de 70 ans. Les maladies pulmonaires nous tuent à petit feu. Les exploitants ne respectent pas le code de l’environnement parce qu’il n y a pas de contrôle. Quand les mines explosent, nous avons l’impression que les détonations sont déclenchées dans nos chambres. Ces carrières sont un danger. Un vieux du village de Sesséne Diack, Modou Séne, rentrant de Dakar, est tombé dans les cratères la nuit parce qu’il avait perdu son chemin car le village et les rues ne sont pas électrifiés. C’est 3 jours plus tard qu’il a été retrouvé mort dans ces cratères en bas. La commune de Tassette ne bénéficie pas de retombées de ces carrières alors qu’elles occupent 45 kilomètres carrés de sa superficie», explique Mass Diom.

Complaintes
Au cours d’une visite dans les carrières de Ngoudiane, le ministre de l’Industrie et des mines, Aly Ngouille Ndiaye, a pu découvrir les difficultés des populations impactées, agressées par les nuisances environnementales, mais aussi les difficultés des mineurs qui restent plusieurs mois sans salaire. Il a promis de prendre en charge ces revendications dans l’élaboration du projet de réforme du Code minier. Il indique que «dans le cadre de la révision du Code minier, nous allons trouver des solutions pour que les exploitants se retrouvent dans l’exploitation mais également que les populations ne soient pas lésées. Les redevances sont respectées et calculées sur la base de ce qui est exploité et versé au niveau de l’Etat. Dans cette part versée au niveau de l’Etat, il y a le fond de péréquation qui est prélevé et qui doit être redistribué à l’ensemble des collectivités du Sénégal avec une forte concentration pour les collectivités locales qui abritent des exploitations minières». Et de poursuivre : «Nous sommes en train de faire la pression au niveau du ministère des Finances pour que les collectivités locales retrouvent cette partie qui leur revient de ces redevances. Il y a des efforts qui sont en train d’être faits par les sociétés pour avoir un peu de patentes. Nous profiterons de certaines dispositions de l’Acte III de la Décentralisation pour que les collectivités locales puissent revendiquer de manière beaucoup plus équilibrée leurs patentes qui malheureusement sont captées par Dakar où sont basées les Directions». Le ministre estime que «le Président Macky Sall veut que les Sénégalais se retrouvent dans le nouveau Code minier. Le volet minier occupe une place importante dans le Plan Sénégal émergent (Pse) notamment les phosphates qui intéressent la région de Thiès. Naturellement, il y a toujours ce conflit». L’exploitation des mines ne pouvant ne pas manquer de conséquences sur le vécu quotidien des populations, Aly Ngouille Ndiaye d’indiquer : «Il faut qu’on puisse bien apprécier ces conséquences. Récemment, on a vu qu’au niveau de Kédougou, il y a eu des maladies qui n’existaient pas au Sénégal et qui sont apparues avec l’orpaillage. Il a fallu qu’on ferme les sites d’orpaillage pendant 5 mois pour voir ces maladies disparaître dans ces zones. Le chef de l’Etat mise sur l’agriculture mais aussi le secteur minier».