Pour lutter contre la flambée du coronavirus, l’Etat a opté pour la stratégie de la double contrainte. Dr Sahite Gaye, enseignant en sciences de l’information et de la communication au Cesti, analyse ce modèle. Cet enseignant au Cesti plaide la pédagogie pour réussir cette technique.

Comment analysez-vous la stratégie de la double contrainte adoptée par l’Etat dans la lutte contre le coronavirus ?
L’injonction paradoxale appelée la double contrainte est une technique très ancienne pour la conduite du changement. C’est vrai que le gouvernement ne veut pas prendre des mesures drastiques, il va donc installer les Sénégalais dans une double contrainte. Autrement dit, il y a des mesures avec des messages qui font douter un peu le citoyen et ne lui permettent pas d’avoir plus de liberté. Je donne un exemple : on nous demande au Sénégal de rester à la maison, mais de rentrer avant 20h. Comment quelqu’un qui doit rester chez lui doit rentrer avant 20h ? On dit aussi aux Sénégalais pas de rassemblements, mais avec une limitation du nombre de passagers dans les voitures. En ce moment, on aura plus de contraintes. L’Etat veut que les Sénégalais se confinent eux-mêmes petit à petit et va peut-être atteindre son objectif.

Quel est l’impact de cette stratégie auprès des citoyens ?
Il nous faut une pédagogie. On est actuellement dans une sorte de manipulation qui ne dit pas son nom. Au départ, il y aura quelques problèmes. C’est ce qui s’est passé hier (mardi) avec les travailleurs qui devraient rentrer chez eux et dans le nombre de passagers dans les transports publics. Il y aura des incompréhensions entre ce que dit l’autorité et les actes des citoyens. Mais du moment que c’est une mesure qu’il faudra appliquer, le citoyen est obligé de faire parce qu’on est dans une situation où le droit est entre les mains d’un seul homme : le Président. Cela peut faire l’objet de quelques frustrations, mais c’est de bonne guerre. C’est l’objectif qui est recherché, c’est-à-dire qu’il faut que les gens changent de comportement sans prendre des mesures drastiques comme le confinement total.

Est-ce que c’est une stratégie efficace ?
Cela peut être efficace. Mais dans ce cas, le citoyen est conçu comme un objet qu’on manipule. Maintenant, pour en avoir l’impact espéré, il faut un peu de pédagogie et des mesures d’accompagnement. Ce qu’il faudra craindre, c’est que la contamination communautaire peut continuer avec les rassemblements.

Des Forces de l’ordre qui matent les récalcitrants au couvre-feu est-elle une méthode dissuasive ?
Il faut savoir que l’image de la police au sein de la société est très négative. La méthode répressive n’est pas bonne. Donc les pratiques constatées hier ne vont que creuser le fossé entre la police et les citoyens. Il faut de la pédagogie pour amener les populations à respecter ce couvre-feu. Cette méthode de la police peut créer une démarche de rébellion de la part des populations.

Le président de la République serrant la main d’un guide religieux mardi peut-il être négativement perçu dans la lutte contre le Covid-19 ?
Absolument ! C’est ce qu’on appelle la dissonance communicationnelle. Cela veut dire que ce que l’on suggère de faire et les actes de soi-même diffèrent. Ce n’est pas bien. Aujourd’hui, on doit faire la communication par la preuve. Le Président doit être le premier à montrer l’exemple en tant qu’autorité suprême du pays. Sinon, ça ne peut pas peut passer auprès des citoyens.

Dans le modèle de la double contrainte, il y a une 3ème notion qui entre en jeu. Est-ce que vous le constatez pour le cas du Sénégal ?
Oui, c’est la lutte contre le Covid-19. L’Etat d’urgence est un troisième ordre. C’est ce qui fait qu’on ne peut pas ne pas respecter les deux contraintes.