Ayant, en ce moment, beaucoup de temps à remplir par des activités peu coûteuses en énergie, je visionne la série israélienne Fauda (le chaos en arabe). Sur deux des quatre saisons, on y suit une unité des forces spéciales israéliennes chargée de s’infiltrer dans les Territoires occupés pour traquer des militants des divers groupes armés palestiniens, notamment le Hamas. S’ils ont eu un jour une volonté d’objectivité, les auteurs de la série l’ont ratée compte tenu de la peinture des personnages tout au long des épisodes qui se déroulent entre la Cisjordanie, Gaza et des villes et colonies israéliennes. En effet, si les membres du Mista’arvim, tous parfaitement arabophones, sont des brutes capables des pires méthodes (tortures, meurtres de sang froid de civils, etc.) seuls les Palestiniens dans la série sont jugés en méchants, lâches sans foi ni loi et surtout en traîtres qui collaborent avec «l’ennemi» pour sauver leur vie. Souvent en vain.

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L’art nous éclaire toujours dans notre volonté de mieux sonder les complexités de notre monde. Il nous offre ici des clefs de compréhension non pas sur les dynamiques confuses dans le conflit israélo-palestinien mais sur la manière dont le gouvernement israélien, à travers son armée, regarde les Palestiniens et fait peu cas de leur existence.

Au regard des images qui défilent sur nos écrans et des récits de diverses sources sur la situation à Gaza depuis le 7 octobre et l’attaque du Hamas, on peut constater que la réalité du massacre dépasse la fiction de la série Fauda. Il y a une haine que les Palestiniens inspirent et qui justifie pour certains responsables de haut rang israéliens la volonté d’une épuration, d’un effacement pur et simple. Il faut dire que certains propos relèvent d’une intention génocidaire. Le Président israélien, Isaac Herzog, refuse de considérer qu’il y a d’un côté des civils et de l’autre des combattants du Hamas à Gaza. Dans la bande, il fait de chaque âme -les enfants y compris – une cible.

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Netanyahu, lui, dans un accent eschatologique, évoque une guerre du peuple de la lumière (les Israéliens) contre le peuple des ténèbres (les Palestiniens). Yoav Gallant, ministre de la Défense, a très tôt qualifié les Palestiniens d’«animaux». Ben Gvir, ministre de l’Intérieur, délivre des armes à des milliers de colons en Cisjordanie et appelle à effacer purement et simplement les Palestiniens sans distinction. Giora Eiland, Général israélien à la retraite, dans une tribune au journal Yediot Aharonot, appelle de ses vœux le déclenchement d’une épidémie dans le sud de Gaza qui, selon lui, aura le mérite «d’accélérer leur victoire». Dans un tweet du dimanche 19 novembre, le ministre des Finances de l’Etat hébreu le soutient : «Je suis d’accord avec chaque mot de Giora Eiland dans cette chronique.» Un ministre, Amichai Eliyahu, appelle au largage d’une bombe atomique à Gaza, tandis que Galit Distel, députée du Likoud et ancienne ministre, appelle à «effacer Gaza de la surface de la terre» et traite les Palestiniens de Cisjordanie de «nazis».

La mort est semée dans Gaza avec une brutalité et une absence de toute mesure, sans omettre les violations massives par Israël des lois de la guerre. Israël est une démocratie certes, et la démocratie ne peut s’affranchir des lois et règles qui régissent les Etats, même quand ils sont en conflit. Les bombardements d’écoles et d’ambulances et les invasions d’hôpitaux, les coupures d’électricité, d’eau et de gaz touchent en premier les populations civiles qui meurent soit dans les raids aériens, soit à petit feu devant l’impuissance des médecins dont beaucoup ont été aussi tués dans les attaques indiscriminées de l’Armée israélienne.

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Le gouvernement d’extrême-droite qui dirige Israël fait peu cas de la vie des Palestiniens. Son intention de détruire toute possibilité de vie sur l’enclave et sa volonté de faire le maximum de victimes civiles dont les femmes et les enfants, sont visibles sur le terrain. Et ce en dépit des condamnations et critiques qui émanent de diverses voix de la scène internationale, qu’elles soient de l’Onu, de l’Unrwa, des Ong comme Médecins du monde, etc.

Dans Fauda comme dans la réalité, quelque chose est remarquable : l’étiquette terroriste accolée aux Palestiniens de Cisjordanie ou de Gaza, comme une malédiction qu’ils portent. Ceci, dans la série, met sur le dos de chaque Palestinien une cible qui légitime son enlèvement, son interrogation musclée, sa torture et parfois son meurtre en dehors de tout cadre légal. Comme si un droit spécial régissait les relations entre cette unité des forces spéciales et les Palestiniens, combattant ou civils, hommes ou femmes.

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Un personnage complexe traverse les épisodes de la série comme une ombre étrange. C’est celle du capitaine Ayoub dont l’amour immodéré pour ses enfants est proportionnel à la violence physique et morale qu’il exerce sur les Palestiniens arrêtés, interrogés et torturés parfois jusqu’à ce que mort s’ensuive. Il travaille en étroite collaboration avec Abu Maher, détenu 17 ans durant dans les geôles israéliennes et devenu chef de la sécurité préventive palestinienne. Ayoub dit beaucoup du rapport que le gouvernement israélien actuel entretient avec les Palestiniens.

Pendant ce temps, la vie continue, plus tragique que la fiction.  Matan Meir, un producteur de Fauda, est mort en combattant à Gaza, où les massacres se poursuivent malgré les appels au cessez-le-feu partout dans le monde. Les colons israéliens en Cisjordanie chassent, brutalisent et tuent des civils palestiniens. L’objectif clairement visé est d’annihiler toute possibilité d’un Etat palestinien par l’imposition de la terreur. Dans la série Fauda, comme dans la réalité, la vie des Palestiniens ne compte pas. Chaque jour à Gaza et en Cisjordanie, des intellectuels, des journalistes, des artistes, des poètes, des romanciers, des médecins meurent devant l’indifférence et la complicité de grandes puissances qui, pourtant, se disent soucieux de démocratie, de liberté et d’humanisme. Au lendemain du 7 octobre, les manifestations de soutien inconditionnel à un gouvernement israélien d’extrême-droite ont fusé des capitales d’Europe et d’Amérique. Il s’agissait d’un permis de tuer brandi à Netanyahu qui n’en demandait pas tant et pour qui les vies palestiniennes n’ont aucune valeur. Aujourd’hui, devant l’ampleur du massacre en cours, certaines consciences sont opprimées car elles mesurent leur responsabilité devant ces atrocités d’une barbarie innommable et tentent d’opérer un virage hélas tardif. Une chose relève pourtant de l’évidence : le premier pas vers la paix est d’accepter que le Peuple palestinien ne va ni se résigner à accepter l’Occupation ni s’évaporer.

Par Hamidou ANNE – hamidou.anne@lequotidien.sn