Fespaco – Compétition court métrage : Abdoul Aziz Basse et Parfait Kaboré, dialogue entre passé et avenir
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L’un met en image sa peur de voir le drame du Joola se perdre dans l’oubli. Pour l’autre, ce sont les actes d’hier qui sont les boussoles du futur. Le Sénégalais Abdoul Aziz Basse et le Burkinabè Kiswendsida Parfait Kaboré ont présenté hier leurs courts métrages documentaires, en compétition au Fespaco.Par Mame Woury THIOUBOU (Envoyée spéciale à Ouagadougou) –
2002 ! Une année, deux évènements. L’un plein d’allégresse, l’autre dramatique. A partir de ses souvenirs d’enfant, Abdoul Aziz Basse déroule la mémoire de ces évènements qui ont marqué le Peuple sénégalais mais aussi le monde. «2002, Bataille contre l’oubli» est un court métrage documentaire de 16mn, en compétition au Fespaco. Dans le déroulement des évènements de ce 26 septembre 2002, le réalisateur, alors âgé de 11 ans, ne comprend pas tout. Mais les images sont restées gravées dans sa mémoire. Devenu adulte, il s’insurge contre l’oubli d’un tel drame. «J’ai toujours eu l’habitude de dire que ce film est avant tout une bataille contre l’oubli. Parce qu’en Afrique, on a tendance à ne pas revenir sur des faits qui sont jugés parfois sensibles, comme cette tragédie du Joola.»
Des images du naufrage, de la peur, de la détresse des familles, l’image de cette coque rouge renversée en plein cœur de l’océan, l’image de ces files de gens défilant devant un tableau où sont affichées des photos de naufragés. Les souvenirs sont nombreux. Et la voix off, celle d’un jeune enfant, égrène des anecdotes. Elle résume l’horreur de la tragédie en racontant que pendant des mois, les Sénégalais ont cessé de consommer du poisson parce que, disait-on, les poissons se nourrissaient de la chair des naufragés. Aussi forte et traumatisante qu’elle soit, le commun des Sénégalais a rangé cette tragédie dans un lointain coin de sa mémoire. C’est ce que refuse le jeune réalisateur, qui n’oublie pas que cette tragédie lui a montré, pour la première fois, les larmes de sa grand-mère. «La nouvelle génération ne connaît pas cette histoire. J’ai un neveu, quand je lui demande s’il connaît Le Joola, il me dit non. Alors que quand je lui pose une question sur Le Titanic, il me donne même le nom de l’acteur principal, Leonardo DiCaprio. Et ça m’a beaucoup motivé à faire ce film, pour partager cette histoire, pour transmettre aussi cette tragédie à la nouvelle génération.»
Le cri du cœur de Abdoul Aziz Basse est parti d’un exercice à l’Ecole de cinéma de Marrakech, l’Esav. «Lors d’un exercice de montage cinématographique où on devait faire un film à base d’archives de tous genres, vidéos, images, copies de presse, j’avais proposé cette idée. La responsable était une monteuse belge, c’était la première fois qu’elle découvrait cette histoire. Et c’est elle-même qui m’a conseillé de développer cette histoire quand je ferai mon Master. Et après mon Master, je me suis dit pourquoi ne pas développer cette histoire.» Dans le film, Abdoul Aziz Basse se met en scène dans une chambre, entouré d’images de la tragédie. «L’histoire du bateau Le Joola a touché tout le monde. Moi, je me rappelle, il y a une de mes tantes qui me disait qu’en 2002, on n’osait pas demander après sa voisine ou son voisin, de peur d’apprendre qu’il faisait partie des naufragés du bateau», rappelle Aziz Basse, en insistant sur la nécessité de garder vivante la mémoire de cette tragédie.
«Il faut se souvenir»
Dans la sélection du court métrage documentaire, le film de Kiswendsida Parfait Kaboré est un appel à une prise de conscience. A vos mots, mon âme danse est un appel au monde. Les premiers mots du film sont une célèbre maxime de Djibril Diop Mambety expliquant ce qu’est le cinéma. La dernière phrase, «il faut se souvenir». Le passé, l’histoire, les luttes sont décortiqués par des allégories dans ce film où des danseurs servent de liens entre passé et présent. Thomas Sankara, les pères fondateurs de l’Afrique, les voix qu’utilise Parfait Kaboré sont celles qui lui parlent tout le temps. «Quand j’écoute ces voix, ça m’inspire, ça m’apporte beaucoup. Et je me suis dit, si je suis là, c’est parce qu’eux, ils ont existé. C’est à cause de leur chemin tracé que j’ai pris aussi un chemin.» Soixante ans après les indépendances, le continent peine à trouver le chemin de son épanouissement et de sa souveraineté. Une situation qui exaspère et interroge le réalisateur. «Est-ce que c’est moi qui vois le monde autrement ? En tout cas, j’ai l’impression que ça n’a pas changé.»
Dans cette projection qui s’est tenue au Cinéma Nerwaya, le Marocain Yassine Ait Fkir a présenté Assassinat, un film qui évoque l’importance des gommiers dans le désert marocain. Un duo radical du Nigérian Onyeka Igwe interroge, pour sa part, les rapports à la colonie des Etats de l’Afrique de l’Ouest.
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