En compétition à la Mostra, où il a déjà remporté un Lion d’or, le cinéaste mexicain impose une lecture cruelle du roman de Mary Shelley. Une grosse production Netflix.

Qui n’a pas tourné son Frankenstein ? Depuis la naissance du cinéma, le roman de Mary Shelley a inspiré bon nombre de films aux titres ronflants : Le Fils de Frankenstein, Le Spectre de Frankenstein, Frankenstein rencontre le loup-garou, La Maison de Frankens-tein, Deux Nigauds contre Frankenstein, Franken-stein s’est échappé…
Près de cent adaptations dont les deux célèbres de James Whale (Frankestein, en 1931, et La Fiancée de Frankestein, en 1935) avec Boris Karloff dans le rôle de la créature, suivies par les nombreuses autres signées Terence Fisher, la comédie délirante de Mel Brooks (Frankes-tein Junior avec Gene Wilder), l’adaptation fidèle de Kenneth Branagh (Mary Shelley’s Fran-kestein,1994), ou encore l’adaptation filmée de Frankenstein réalisée par Danny Boyle au National Theatre (2011). C’est au tour de Guillermo del Toro de présenter sa version en compétition à la 82e Mostra de Venise dont il remporta le Lion d’or pour La Forme de l’eau en 2017. Il aura attendu vingt ans avant de pouvoir concrétiser son rêve d’enfant en rendant hommage à Mary Shelley, qui «a pris en compte le sort de Caliban et a donné du poids au fardeau de Prométhée», déclarait-il en 2018. «Pour moi […], avoue-t-il, les monstres seuls détiennent la réponse à tous les mystères. Ils sont le mystère.
Ainsi Frankenstein est une entreprise bénie, mue par la révérence et l’amour tant pour le mystère que pour les monstres.»
L’horreur, le fantastique vont bien au réalisateur mexicain qui impose ici son style flamboyant, poétique à l’univers de la romancière, non sans un certain classicisme dans un récit en quatre parties et une réalisation qui bénéficie de gros moyens, mis dans les décors victoriens, les extérieurs et les effets spéciaux.

Belle performance de Jacob Elordi
Nous sommes au XIXe siècle, au pôle Nord, à bord d’un galion coincé dans les glaces. Tandis que les marins peinent à dégager la glace qui les immobilise, une explosion retentit au loin. Sur place, un homme blessé gît sur la neige tandis qu’un monstre à l’allure humaine rôde dans les parages et va semer la terreur. Le rescapé est conduit jusqu’au galion où il va raconter son histoire. Il s’appelle Victor Frankenstein et a créé de toutes pièces une «créature» immortelle, incontrôlable, qui le poursuit de sa vengeance pour l’avoir abandonnée à son sort… Oscar Isaac prête son visage ténébreux au scientifique brillant, égocentrique, obsédé par «sa» créature, jouée par Jacob Elordi et son mètre quatre-vingt-seize. Corps meurtri par les cicatrices et visage d’ange déchu, il livre sous son maquillage blanchâtre une belle performance physique. L’incontournable Christoph Waltz incarne le docteur Prétorius, personnage ambigu, à la fois fasciné et jaloux du pouvoir du docteur Frankestein, qui «en cherchant la vie, va créer la mort», tandis que Mia Goth joue Elizabeth, la fiancée de Victor qui, seule, partage les souffrances du monstre confronté à lui-même. Au fil d’images cruelles, d’un réalisme cru, où la chair est à vif et le sang coule à flots -la conception du monstre avec des cadavres de soldats morts- , la violence est omniprésente, accentuée par la dimension tragique de l’intrigue. Guillermo del Toro livre ici sa vision gothique d’une œuvre qu’il transforme en fable humaniste, où s’inscrit l’idée de pardon et de rédemption. Produit par Netflix, qui a prévu de le diffuser sur sa plateforme, on ignore si ce Frankestein sera projeté sur grand écran dans les salles de cinéma. Après Valérie Donzelli, qui a été bien accueillie avec son nouveau film, A pied d’œuvre, adapté du roman de Franck Courtès -l’histoire vraie d’un photographe à succès qui abandonne tout pour se consacrer à l’écriture, et découvre la pauvreté-, porté avec justesse par Bastien Bouillon, Virginie Ledoyen et André Marcon, la 82e Mostra va dérouler le tapis rouge à Olivier Assayas, qui vient présenter un film très attendu, Le Mage du Kremlin, adapté du roman de Giuliano da Empoli, avec Jude Law dans le rôle du Président Poutine.
Le Point