Le Harm Reduction Exchange 2024 aura été l’occasion pour des scientifiques de toute l’Afrique d’échanger sur les avancées dans leurs champs respectifs pour contribuer à réduire davantage les risques sanitaires. L’approche de réduction des risques est grandement encouragée sur tout le continent parce qu’une dynamique empirique est promue pour être au plus proche des populations, assimiler leurs réalités, évoluer avec elles et prôner des correctifs dans leurs pratiques. Le Pr Issa Wone de l’Université Assane Seck de Ziguinchor (Uasz) soutiendra que l’approche de réductions des risques est essentielle en Afrique, car la logique prônée est incrémentale, en comprenant les problèmes et en les résolvant de façon graduelle. Il soulignera dans sa communication qu’il y a une faible implication de la Société civile et des communautés sur les recherches en santé publique, posant des contraintes dans les travaux des scientifiques. A cette difficulté, il identifie également le problème du transfert des résultats des différentes recherches en actions concrètes en Afrique de l’Ouest. Une énorme connaissance empirique est récoltée, mais il y a une difficulté à voir les résultats, enseignements et observations traduits en stratégies et dispositifs entrant dans un large spectre de politiques publiques.
Sa collègue kényane, Dr Vivianne Manyeki, poursuivra également sur le sentier d’une difficile matérialisation des résultats scientifiques en mesures politiques fortes. Elle milite pour une transformation des cadres politiques et législatifs en impliquant les acteurs des politiques publiques. A cet effet, elle souligne qu’il faut impliquer le plus possible, dans le partage des conclusions des recherches scientifiques, les parlementaires pour une meilleure assimilation des objectifs des politiques de réduction des risques. Les acteurs des cercles législatifs peuvent avoir une idée d’ensemble de certaines problématiques, mais ils ont besoin d’une vraie imprégnation aux enjeux qui est du ressort des scientifiques. Dans la mise en place d’une régulation, la chercheure trouve qu’il faudrait jouer sur la sensibilité culturelle et une adaptation au système socio-économique des différents pays pour que l’implémentation des lois soit plus aisée. Cette même idée est émise par le Dr Emmanuel Mbenza Rocha, qui effectue plusieurs travaux sur les stratégies de réduction des risques en République démocratique du Congo (Rdc). De son expérience, on ne peut s’empêcher de contextualiser les solutions scientifiques aux réalités des communautés partout en Afrique. Dans le cas de son pays, il soutient qu’avec près de 454 ethnies, une approche de communication communautaire et de mise en œuvre très didactique s’impose pour ne pas être déçu dans la mise en œuvre de politiques publiques. La contextualisation aux réalités des terroirs est impérative quand on effectue des recherches en Afrique. Le professeur Wone plaidera pour davantage de collaboration Sud-Sud dans la recherche en Afrique, avec une utilisation des langues locales et un partage soutenu des expériences viables, bien qu’il concède beaucoup de difficultés à faire de la recherche à faible coût.

La réduction des risques doit être holistique
Les approches de réduction des risques doivent être les colonnes porteuses des politiques publiques de santé en Afrique. C’est la lecture qu’on peut avoir des travaux du quatrième Harm Reduction Exchange. Le Dr Mohammed Eltaweel, basé en Egypte, trouve que face à tous les enjeux en Afrique, il faut élargir la définition de la réduction des risques au-delà de l’alcool et du tabac, en intégrant l’obésité, la gestion du stress et la santé mentale. Ce sont des fléaux dont pâtit l’Afrique et il n’y a pas encore un sursaut d’orgueil conséquent pour les endiguer. La piste envisagée est d’assimiler la réduction des risques comme une approche visant à terme un mieux-être des populations, qui doit intégrer les dimensions de la santé physique et mentale. Cette dynamique a pu être mise en pratique sur les rives du Nil, selon le Dr Eltaweel, en impliquant dans les stratégies gouvernementales sur la santé, aussi bien les médias que les écoles. L’Egypte, comme les Etats-Unis d’Amérique, a connu une recrudescence de l’utilisation des opioïdes qui a constitué un problème de santé publique ces dernières années. Il a fallu, dans cette lutte, une approche didactique et pédagogique pour contenir les addictions et inviter à une forme d’éducation citoyenne qui ne laissait aucun pan de la population en rade. Les chercheurs africains s’accordent pour dire que le futur de leurs disciplines en Afrique offre deux perspectives : celle radieuse d’une prospérité pour tous avec des Africains en avant-garde sur les questions de santé publique ou celle tragique, en dents de scie, avec des décisions politiques toujours à la traîne face aux découvertes scientifiques. Il y va d’une prise de conscience réelle des décideurs pour que la marche imprégnée améliore sans concession la santé de nos populations.
Par Serigne Saliou DIAGNE (Envoyé spécial à Nairobi) – saliou.diagne@lequotidien.sn