Comment raconter Gaza alors que l’enclave palestinienne reste fermée aux reporters étrangers et que le nombre de journalistes palestiniens tués dépasse désormais les 200, selon le syndicat des journalistes palestiniens ? Une tâche d’autant plus compliquée en Israël, qui semble rester bloqué au 7 octobre. Un média détonne pourtant dans le paysage médiatique israélien, il s’agit du site d’information «+972». Il rassemble une vingtaine de journalistes israéliens et palestiniens, unis pour raconter au mieux l’actualité de cette terre qu’ils ont en partage. Du journalisme «from the river to the sea» comme ils aiment à dire. Depuis le 7 octobre, l’affluence explose. De 20 000 lecteurs avant la guerre, les rédacteurs en chef du site d’information +972 disent être passés à 120 000 visiteurs par mois, avec des pics pouvant atteindre plus d’un million sur certaines enquêtes. Alors, à quoi ressemble le quotidien de cette rédaction mixte ? Est-ce un laboratoire ? Ou une utopie ? Rfi est allée à la rencontre des équipes en Israël, mais aussi en Cisjordanie occupée.

Ce soir encore à Tel Aviv, des centaines d’Israéliens manifestent pour demander la fin de la guerre à Gaza. Des photos d’enfants gazaouis à la main, ils espèrent créer un électrochoc dans l’opinion publique. Dans la foule, caché derrière son objectif, Oren Ziv, journaliste israélien : «La première semaine de la guerre, juste après le 7 octobre, le chef de la police a dit aux manifestants que si certains voulaient manifester en solidarité avec Gaza, il pouvait affréter des bus pour les envoyer là-bas. C’est important d’être là parce que cette mobilisation vise à faire en sorte que les Israéliens réalisent ce qu’il se passe à Gaza.»  Oren Ziv travaille pour le site d’information +972, un clin d’œil à l’indicatif téléphonique d’Israël. Sa vocation est née pendant la seconde intifada au début des années 2000. Il cherche alors à comprendre pourquoi ses voisins jettent des pierres et s’engage dans une association israélo-palestinienne. L’engagement, c’est l’Adn de +972. Ses locaux sont basés à Tel Aviv.  Ghousoon Bisharat en est la rédactrice en chef. Elle est Palestinienne d’Israël. «Le génocide à Gaza et les atrocités du 7 octobre, c’est du jamais vu. On n’a jamais vu autant de cruauté. On est tous encore traumatisés par ce qui se passe. On ne s’en remet pas encore. Je crois que la seule solution, c’est d’avoir un Etat, un Etat binational où Palestiniens comme Israéliens juifs vivent ensemble. Je sais que ça a l’air d’un rêve en ce moment, mais c’est dans cet endroit que j’aimerais que mes enfants vivent.»  Le rêve de liberté pour tous semble bien loin pour le moment.

A une centaine de kilomètres de là, en Cisjordanie occupée, Basel Adra est l’un des reporters palestiniens du site d’information. En mars dernier, il a remporté à Hollywood l’Oscar du meilleur documentaire pour son film No Other Land. Il y racontait le quotidien de son village soumis à la violence des colons israéliens. Parce qu’il travaille avec des Israéliens, le jeune homme a essuyé des critiques de la part de certains de ses compatriotes. Il tente de passer outre ces remarques qu’il juge déconnectées des réalités et binaires : «Hier, des activistes israéliens ont reçu des coups de la part de colons et la police n’a rien fait pour les protéger alors qu’ils sont Israéliens. Et ce type de militantisme qui tente de montrer la réalité, c’est important.» De Tel Aviv aux villages de Cisjordanie occupée, les membres de +972 continuent de penser que le cycle de la violence et de l’injustice peut être rompu. Eux, feront tout pour.
Rfi