Histoire des Tirailleurs sénégalais : Diaka Ndiaye met en lumière «La gloire du chasseur Thiaroye»
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Le 1er décembre 1944, dans le Camp militaire de Thiaroye, l’Armée française ouvre le feu sur des Tirailleurs sénégalais démobilisés après la Seconde Guerre mondiale, qui réclamaient le versement de leurs soldes. 80 ans après, le documentaire réalisé et produit par Diaka Ndiaye, la journaliste belge d’origine sénégalaise, qui révèle les identités des personnes impliquées dans ce massacre honteux et/ou le «mensonge d’Etat» qui a suivi, a été projeté jeudi dernier au Musée des civilisations noires. La réalisatrice demande aux autorités africaines, pas seulement sénégalaises, d’exiger que la France sorte les archives pour éclaircir ce sombre passé colonial. Par Ousmane SOW
– «Ils ont survécu à la guerre, mais ils ont été assassinés juste pour avoir réclamé leur droit.» Ce sont ces mots de l’historienne Armelle Mabon, maître de conférences à l’Université de Bretagne-Sud, qui ouvre le documentaire «La gloire du chasseur Thiaroye», réalisé par Diaka Ndiaye, réalisatrice belge d’origine sénégalaise. Projeté jeudi dernier au Musée des civilisations noires de Dakar pour marquer le 80ᵉ anniversaire du massacre de Thiaroye qui sera commémoré le 1er décembre 2024, ce documentaire de 90 minutes, sans prétention esthétique mais d’une rigueur historique implacable, bouleverse les récits établis. La gloire du chasseur Thiaroye est un film qui redonne une voix à ceux que l’histoire a voulu faire taire. Un acte de mémoire essentiel, mais qui appelle encore des réponses. La France entendra-t-elle cet appel au devoir de vérité ? Comment expliquer ce qui s’est passé ? Pour la réalisatrice, dans son film, elle dit ceci : «Tant que les gens n’auront pas leurs propres historiens, les histoires de chasse seront toujours à la gloire du chasseur.» A la question de savoir comment est née l’idée de réaliser ce film, elle répond : «L’idée du film, elle est ancienne. Elle est venue au moment de la première campagne électorale de Emmanuel Macron, lorsqu’il a déclaré en Algérie que la colonisation est un crime contre l’humanité. Cela avait déclenché un tollé en France, mais cela m’a poussée à réfléchir. Ces gens-là (les colonisateurs) ont fait des choses pas vraiment jolies en Afrique.» D’après Diaka Ndiaye, ce film est un cours d’histoire et n’a aucune ambition artistique ou cinématographique. «Ce film n’a aucune ambition artistique ou cinématographique, absolument pas ! Je suis dans l’histoire. C’est un cours d’histoire. D’ailleurs, vous avez vu le découpage. Il y a des livres et des chapitres. Ce que je veux, c’est que lorsqu’on regarde ce film, on en ressorte en ayant appris quelque chose sur Thiaroye. Je veux que les spectateurs comprennent enfin ce qui s’est passé», a-t-elle expliqué. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que le cours est magistral. «Le plaidoyer de cette commémoration, c’est vraiment de demander aux autorités françaises de lâcher l’affaire et de sortir les archives. Il est plus que temps, ça fait 80 ans. La plupart des descendants sont morts. On ne peut pas avancer sans accès aux archives», plaide-t-elle. Et de prévenir : «La jeunesse doit savoir que Thiaroye n’était pas une mutinerie ni une révolte. Ces gens-là considéraient que ces tirailleurs leur appartenaient, c’est aussi simple que ça.»
Une mémoire portée
par la culture
La réalisatrice ne cache pas sa frustration face à la rétention des archives françaises. «Comment expliquer que, 80 ans après, on ne sache toujours pas où sont enterrés ces hommes ? Pourquoi les archives sont-elles tronquées ?», s’interroge Diaka Ndiaye, avant de pointer aussi la responsabilité des autorités sénégalaises et africaines. Léopold Sédar Senghor, qui est leur frère d’armes et qui avait écrit un poème sur Thiaroye dans «Hosties noires», est particulièrement ciblé. «Il a été Président du Sénégal, mais qu’a-t-il fait pour les gens de Thiaroye ? Rien. Il faut que les autorités sénégalaises et africaines se mettent vent debout et disent à la France que ça suffit ! Sortez les archives. Dites-nous qui ont été tués et où ils sont enterrés», dit-elle. A travers son film, Diaka Ndiaye révèle de nouvelles informations. «Déjà, dans ce film, il y a les noms et les visages des principaux concernés. Les officiers et les officiels qui étaient présents à Thiaroye. J’ai voulu faire de l’histoire, pas du cinéma. Ce qui est très bien parce que de toute façon, la mémoire de Thiaroye, elle s’est faite par la culture, pas par les politiciens. C’est le monde de la culture qui a porté cette histoire depuis le début», justifie-t-elle.
Thiaroye, une tragédie méconnue
Le 1er décembre 1944, des Tirailleurs sénégalais, démobilisés après la Seconde Guerre mondiale, réclamaient leur dû à l’Armée française. Pour Diaka Ndiaye, «il n’y a pas eu 35 morts, comme le prétend la version officielle. C’est archifaux. Les documents falsifiés dissimulent une réalité bien plus sombre : au moins 300 morts». Un constat glaçant, appuyé par les travaux de l’historienne Armelle Mabon, à laquelle la réalisatrice rend un hommage appuyé. «Armelle se réveille Thiaroye. Armelle se couche Thiaroye. Elle a déterré la plupart des documents qui montrent aujourd’hui le mensonge d’Etat, au-delà de l’ingratitude d’Etat, parce que c’est avant tout de l’ingratitude», a-t-elle laissé entendre, tout en précisant que Birame Senghor, fils de M’Bap Senghor, l’une des victimes, est octogénaire. «Il veut que cette histoire soit réglée avant de quitter ce monde.»