Aïssa Maïga tient le rôle central de «Promis le ciel», un film qui aborde la condition des migrant(e)s en Tunisie, chroniqué dernièrement dans les pages du Quotidien et en compétition dans la sélection «Un certain regard». Malgré les impératifs de la promotion du remarquable film de Erige Sehiri, «un écrin» dit Aïssa, elle nous accorde un entretien où elle partage sa vision de Cannes, mais aussi du devenir du cinéma africain. Aux yeux de l’autrice de «Noire n’est pas mon métier», s’il existe un public jeune et porteur, c’est bien le public «afro-diasporique», selon ses mots.Dans Promis le ciel de Erige Sehiri qui a donné le coup d’envoi d’Un Certain regard, vous tenez le rôle central de la «Maman  pasteur» d’une communauté noire africaine soumise à des persécutions anti-migrants de la part des autorités tunisiennes. Des rumeurs parlent d’un tournage discret, sinon clandestin. Comment cela s’est-il passé en fait ?

Plutôt bien en réalité. La production était en règle avec les instances locales. Même s’il est vrai que l’essentiel a été tourné en intérieur, au sein même d’une des églises évangéliques de Tunis, désaffectée depuis les événements de 2023. Disons que cela a pu rassurer certains participants au film qui se trouvaient effectivement, eux, en situation irrégulière…

On vous retrouve ici dans un autre rôle, celui de marraine d’une Semaine du cinéma positif, dans le sens de l’inclusion et de la défense de l’environnement, sous l’égide du Festival et de la mairie de Cannes. Un prolongement de votre engagement connu dans ces deux domaines ?
En termes de valeurs, de regard humain, c’est certain. Au passage, je vous signale qu’au même moment, Erige, la réalisatrice de Promis le ciel, est, elle, marraine d’une autre manifestation du genre, intitulée Visions sociales, près d’ici, à Mandelieu-la Napoule. Au milieu du tumulte cannois, des soirées, des paillettes et du glamour sur tapis rouge, je trouve qu’il est important de ne pas oublier de s’inscrire dans des initiatives qui résonnent autrement. Quand on a un film en compétition comme moi, Cannes c’est génial, même si la promo vous prive de tant de visionnages. Mais si vous n’appartenez pas au sérail, Cannes c’est excluant. A la grande différence de Berlin où tout un chacun peut voir les films sélectionnés dans tous les cinémas de la ville, simplement en prenant son ticket. Alors, je le dis bien : Cannes j’adore, mais il me paraît positif en effet que dans la manifestation dont je suis marraine, soient programmées des rencontres publiques ouvertes à tout le monde à la Fnac de Cannes. C’est une manière d’ouvrir un peu le festival.

Cependant, on voit et on parle à Cannes, de films qui «changent le regard du monde», à l’instar de Promis le ciel au hasard. C’est également positif, non ?
Je répète, Cannes j’adore. Positif, bien sûr que oui. En retenant un tel film sur le sort de migrants, mettant en valeur des femmes qui se battent pour leur dignité, Christian Jeune et son comité de sélection envoient un signal politique clairement positif, encore une fois. A mes yeux, il est vital qu’un grand festival reste connecté au monde et ne se contente pas d’un entre-soi en orbite, dans le cocon d’un microcosme hyper-privilégié avec du bling qui s’ajoute au bling pour faire bling-bling. C’est aussi cela Cannes. Des films qui auraient été cantonnés dans un certain couloir peuvent d’un coup trouver des distributeurs, une diffusion sur internet, bref la promesse d’une vraie carrière.

Pour la première fois de l’histoire de ce festival, un film nigérian, My Father’s Shadow, le premier de Akinola Davies junior, a été projeté en compétition (Un certain regard). Quelle est votre vision du futur du cinéma africain ?
La promotion m’a empêchée de le voir, mais je brûle de le voir. En même temps, Nollywood, 2500 productions à l’année, c’est énorme, un creuset de créativité. Ce qui me permet de dire avec beaucoup de tranquillité que dans les 10 prochaines années, on verra surgir beaucoup de pépites du côté africain.
Concomitamment, ailleurs comme au Sénégal, des initiatives associatives se multiplient, à l’image du Cinéwax créé par le Sénégalais Jean Fall, avec pour objet de valoriser les cultures africaines à travers le film. Certaines personnes promeuvent le cinéma africain aussi dans sa version patrimoniale, qui permet aux jeunes de s’approprier des œuvres condamnées à dormir dans les rayons de la Cinémathèque Afrique. Des œuvres que leurs parents ne connaissent pas puisqu’elles ne circulaient pas faute de salles. Enfin, les jeunes d’aujourd’hui peuvent regarder sur Netflix ce qui leur plaît. S’ils ne veulent pas voir de cinéma français, je m’en désole, mais je les comprends, parce qu’ils ne sont pas représentés, les histoires ne les concernent pas. Ils peuvent, en posant leurs yeux sur d’autres productions venues de Nollywood, Hollywood ou d’Afrique du Sud, faire évoluer le marché. Donc il existe un public grandissant, jeune et porteur, et c’est un public afro-diasporique qui a été totalement ignoré par mon industrie.

On connaît votre riche filmographie française, comme actrice, et qui vous a valu une nomination aux Césars. La réalisation, vous l’avez mise en pause ?
Je vous rappelle en passant que j’ai également travaillé avec des cinéastes africains, Abderrahmane Sissako ou Alain Gomis par exemple. Sinon, en fait, je ne me considère pas vraiment comme une réalisatrice. Certes j’ai deux documentaires à mon actif (dont Marcher sur l’eau, 2021, Ndlr). J’en prépare un troisième sur mon père, son parcours de journaliste, les mobiles de son assassinat, ainsi que l’héritage qu’il a laissé. Sans doute réaliserai-je d’autres films, mais ce qui me motive désormais, c’est de produire. Je parle de production artistique. Et j’ai particulièrement envie de produire sur le continent africain pullulant d’histoires qui m’inspirent dans tous les genres, du thriller à la fresque historique. Envie de réunir des talents, des cinéastes.

Des exemples de tels projets ?
Ce sont des projets justement, alors je ne vais pas balancer, désolée. Permettez que je réserve mes propres effets d’annonce (elle rit). Les talents abondent sur le continent comme dans la diaspora. Mais j’ai aussi en tête d’en recruter au Brésil où j’ai déjà tourné. C’est le pays qui compte le plus de Noirs, en dehors du continent. Des amis Brésiliens et Brésiliennes partagent avec moi l’envie d’une connexion avec l’Afrique et sa diaspora. Avec la réalisation, impossible de concrétiser plus d’un projet tous les trois ans. Avec la production, souhaitez-moi bonne chance, on peut en arriver à deux par année.

On vous retrouve bientôt sur les écrans comme comédienne ?
Tout prochainement aux côtés de Jimmy Jean-Louis, également ambassadeur avec moi de la Semaine positive de Cannes, dans Killing of a Nation, une production américaine sur l’assassinat du Président haïtien Jouvenel Moïse en 2021. Prochainement avec Romane Bohringer et un casting formidable dans un téléfilm français réalisé par Corinne Masiero sur la thématique du mal-logement. Et un peu plus tard dans un film de science-fiction dont le tournage commence dans les prochains jours.