Horizon – Attachée audiovisuelle à l’ambassade de France : Séraphine Angoula crève l’écran

Séraphine Angoula est, depuis deux ans, l’Attachée audiovisuelle de l’ambassade de France au Sénégal. Après une carrière dans la distribution en tant que Directrice marketing et programmation du réseau de salles Canal Olympia (18 salles dans 12 pays en Afrique), la voilà qui prend en main la politique cinématographique et audiovisuelle de la France dans sept pays : la Mauritanie, la Gambie, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Cap-Vert et le Sénégal. 15 années d’expérience dans le cinéma qui sont mis à profit pour corriger des déséquilibres et donner de la force aux femmes dans le secteur. En deux ans, le Fonds Maïssa, qu’elle a mis en place, va permettre à une quinzaine de femmes de la sous-région de concrétiser leurs projets.
Le Fonds Maïssa, qu’est-ce qui explique sa mise en place et pourquoi il cible spécifiquement les femmes ?
Dans la région, les femmes restent largement sous-représentées dans les récits, les postes de décision et mécanismes de financement. Beaucoup d’entre elles rencontrent des difficultés pour avoir accès à des guichets classiques, souvent dominés par des logiques de réseau. Le Fonds Maïssa a été pensé comme une réponse concrète à cette inégalité d’accès. Il ne s’agit pas seulement de corriger un déséquilibre, mais de voir émerger de nouveaux récits portés par des femmes, qui vont enrichir les représentations dans le cinéma. Donc, c’était ça, à la base. On a lancé le fonds en 2024, à l’occasion du 8 Mars. Ce fonds couvre les six pays dans lesquels je travaille. Et l’objectif est clair et double en même temps : soutenir la création artistique portée par les femmes, encourager des projets structurants qui favorisent la professionnalisation du secteur et la visibilité des femmes dans l’écosystème.
Après deux appels à projets, est-ce qu’il y a un petit bilan de ce que vous avez déjà pu faire ?
On a fait deux appels à projets, en effet. Quinze projets ont été soutenus. Parmi ceux-là, il y a dix œuvres cinématographiques, des courts métrages, des longs métrages, documentaires, fictions. Une si longue lettre de Angèle Diabang, qui ne fait que cartonner dans les salles de cinéma au Sénégal, en fait partie. Et il y a aussi cinq projets structurants comme des festivals, résidences d’écriture et la Writters room de Kalista Sy, spécifiquement orientée vers des récits et points de vue féminins, pour raconter la réalité sénégalaise, toujours du point de vue des femmes. Elle avait besoin d’identifier de nouveaux talents également et de voir comment accompagner ces nouveaux narratifs qui émergent. Nous avons aussi accompagné les lauréates dans le développement de leur mise en réseau, dans le cadre du programme des activités. Et au-delà du soutien financier, c’était important pour moi de créer une communauté d’entraide, de souveraineté, et que ces femmes puissent compter les unes sur les autres. Donc je trouvais intéressant l’idée de faire partie d’une communauté, une dont l’impact est déjà visible aujourd’hui.
En fait, vous avez choisi des projets sur tous les segments du secteur. C’était aussi pour étoffer le paysage autour du cinéma ?
En fait, l’un des enjeux aussi, c’est de pouvoir faire émerger une nouvelle génération de femmes dans des rôles stratégiques, et qu’elles soient plus visibles dans ces rôles-là. Et il faut identifier de plus en plus de role models. Donc c’était important de couvrir différents segments de l’écosystème du cinéma et de l’audiovisuel. La création, c’est très important, les récits également. Mais il y avait aussi des femmes qui portent des projets qui ont déjà de l’impact et qui permettent d’identifier de nouveaux role models dans la société. C’est aussi important que les jeunes femmes, un peu partout dans la région, puissent se dire je veux devenir Kalista Sy, Angèle Diabang ou Imane Dionne. Et c’est vrai que quand vous regardez, elles ont quand même des profils variés. Il y avait donc cet enjeu de les rendre plus visibles pour certaines. D’autres sont déjà identifiées, mais certaines n’étaient pas, de mon point de vue, assez visibles. De ce fait, c’est aussi un promoteur pour les talents féminins de l’écosystème.
Et là, vous avez organisé il y a quelques jours, la présentation de ces lauréates avec comme marraine Aïssa Maïga. Qu’est-ce qu’on peut retenir de cette cérémonie ? Qu’est-ce qui s’est fait à ce moment-là, durant cette rencontre ?
Ce qui était important dans le cadre de cette rencontre, c’était que toutes les lauréates, originaires de six pays différents, viennent à Dakar et se rencontrent. Qu’elles puissent échanger et présenter leurs projets. Parce qu’il fallait aussi que l’on se rende compte de l’impact et de la puissance des projets qui ont été portés par le Fonds Maïssa. Donc c’était aussi essentiel qu’elles aient une marraine. Parce que c’est toujours important d’avoir quelqu’un qui vous écoute, qui est passé par, certainement, les mêmes étapes que vous et qui peut vous donner un peu d’élan. Et je trouvais que Aïssa Maïga était la marraine parfaite pour ça, parce qu’au vu de son parcours, de son engagement, c’est vraiment un role-model, un exemple que la plupart de ces femmes aimeraient suivre. Et dans ce contexte, l’événement a permis de faire cela. Ça a été un moment assez intense en émotion, parce que pour certaines, c’est l’aboutissement de projets qui se construisent depuis des années, et elles se rendent compte aussi qu’elles sont une communauté, qu’elles ne sont pas seules sur leurs problématiques ; que ces problématiques sont traversées par beaucoup de femmes dans plusieurs géographies. Et aussi l’émotion de savoir que la plupart des projets qui ont été portés sont en train de se concrétiser. C’est souvent touchant d’arriver au bout d’un chemin ou de savoir qu’en tout cas, on vous accompagne sur ce chemin. Du coup, cette rencontre symbolisait un peu tout ça, comment on se retrouve toutes, comment elles viennent toutes à Dakar. La capitale sénégalaise, c’est quand même la locomotive de la région pour l’écosystème. Et donc, ce rendez-vous à Dakar était important pour valoriser ce qu’elles ont réalisé ou ce qu’elles sont en train de réaliser. C’était aussi fondamental pour leur donner de la confiance pour la suite. Dans la présentation du Fonds Maïssa, une chose qu’il faut savoir, c’est que l’ambassade de France est très engagée sur les questions d’égalité
femmes-hommes. Ça fait partie de nos priorités transversales sales et ça irrigue toutes nos actions. Chaque année, on a un temps fort qui s’appelle Egalité en lumière, qui met en valeur toutes les actions que nous portons ou que les écosystèmes au sens large portent en faveur du droit des femmes. C’est vrai que le Fonds Maïssa s’inscrit dans cette dynamique-là et c’est l’une de ses initiatives, parce qu’à l’ambassade, on en a plusieurs en ce sens, pour promouvoir le talent au féminin, le leadership au féminin, les femmes au sens large. Mais il n’y a pas que le Fonds Maïssa que nous portons : il y a d’autres actions à destination des femmes, et pas que dans les Icc, dans différents secteurs d’activité, l’entrepreneuriat, l’innovation… Et c’est certain que pour le cinéma, on avait aussi ce besoin, qui est dans tous les écosystèmes, dans tous les secteurs d’activité.
Le Fonds Maïssa n’offre pas seulement des financements, mais aussi un accompagnement…
Il y a le Fonds Maïssa, pour le secteur du cinéma et de l’audiovisuel, mais également d’autres initiatives de l’ambassade de France à destination des femmes. Et en effet, le Fonds Maïssa, ce n’est pas que du financement, c’est aussi de la mise en réseau, du consulting sur ces projets, où on va faire des orientations quand il y a un besoin spécifique. Je vous donne un exemple, il y avait une jeune femme qui nous avait demandé pour son projet, une somme très spécifique. En faisant les calculs, je me suis rendu compte que ce qu’elle demandait était trop peu pour la réalisation de son projet. Donc, on a réévalué, on a revu le montant, et on lui a dit que c’était plus valable de lui octroyer une somme plus élevée, parce que l’envie, ce n’est pas juste de donner des fonds et de dire on l’a fait. C’est que ces projets se concrétisent et que ça donne plus d’élan à tous ces projets qui sont soutenus. Si ces projets ne se concrétisent pas, on reste dans une situation de statu quo, et c’était vraiment important, comme pour Une si longue lettre ou d’autres projets, de vraiment répondre à l’attente et aux besoins très concrets des femmes. La place des femmes est une priorité pour l’ambassade, mais aussi pour la structuration de l’écosystème. Si on ne parle que des réalisatrices, il y a un manque de narratif et de films réalisés du point de vue des femmes. Et c’est vrai que quand ces femmes arrivent avec leurs projets et leurs visions, elles nourrissent ce qui existe déjà et comblent un manque narratif.
Et aujourd’hui, quelles sont les perspectives ? Le Fonds Maïssa va continuer pour combien d’années encore ?
En fait, on est en train de regarder comment l’orienter différemment. Je ne saurais pas vous dire pour combien de temps, mais en tout cas, on va faire en sorte que ça dure le plus longtemps possible, parce que les besoins sont toujours là. Et l’un des enjeux aussi, c’est de renforcer l’aspect mise en réseau et professionnalisation des femmes. Je pense qu’on va essayer de développer plus de partenariats dans la région et en France, parce qu’il y a pas mal d’incubateurs, de résidences qui pourraient travailler avec ce fonds pour renforcer la structuration de nos lauréates et leur mobilité dans des endroits structurants comme des marchés internationaux ou continentaux. Ça va être l’un des axes sur lesquels on va mettre l’accent pour que les lauréates sortantes puissent bénéficier de programmes de mobilité. C’est assez important pour nous de ne pas juste s’arrêter là, mais de voir comment on les accompagne sur leurs projets, certainement, et peut-être même au-delà de ces projets spécifiques.
On sait que le financement, c’est peut-être le premier problème auquel on pense. Mais au-delà du financement, qu’est-ce qu’il faudrait, selon vous ?
En fait, sur cet axe-là, il y a différents leviers, parce qu’à mon avis, il est important de considérer le secteur du cinéma et de l’audiovisuel comme un véritable levier de développement, avec des enjeux économiques et sociaux qui peuvent vraiment impacter différents territoires. Je crois que cet écosystème mérite une stratégie d’investissement ambitieuse et durable. Ça passe par la mise en place de financements hybrides capables de combiner des fonds publics, des capitaux privés, des ressources internationales, en couvrant l’ensemble de la chaîne de valeur, de l’écriture à la diffusion. C’est important, comme d’autres territoires l’ont fait, le Nigeria, l’Afrique du Sud, de miser sur ce secteur, parce que c’est vraiment un levier de visibilité, de promotion des territoires. Je pense qu’il faut aussi renforcer et prioriser la formation, soutenir les résidences de création, les laboratoires d’écriture, les programmes de mentorat. Tout ça, c’est essentiel. Et puis après, il y a un enjeu qui est très important dans la région, c’est d’accompagner le développement de la filière commerciale, former les distributeurs, les vendeurs internationaux, les agents. Je dis «former» parce que ça ne s’improvise pas. Ce sont des métiers qu’on apprend sur le long cours. J’ai appris l’un de ces métiers pendant des années, et c’est indispensable pour assurer une réelle circulation des œuvres et des talents sur les marchés internationaux et régionaux, et aussi pour développer de la valeur ajoutée. On ne peut pas juste dire qu’on fait des films et qu’on va dans des festivals. Non, il faut derrière que toute la chaîne se rémunère au-delà du financement de la production du projet. Ça, c’est un axe sur lequel je pense qu’on devrait travailler tous de concert.
Vous avez lancé un festival dédié à la série, Dakar Séries. Déjà, pourquoi avoir choisi un festival sur la série ? Quel bilan pour les deux éditions que vous avez déjà organisées ?
Initialement, quand j’ai lancé ce festival en 2023, je ne travaillais pas encore à l’ambassade. C’est vrai que ça partait d’un constat. Je viens à la base du monde du cinéma, et jai réalisé que sur le continent africain, le poumon économique, le poumon structurant, l’endroit où les talents se forment de manière beaucoup plus structurante, c’est en série, plus qu’en cinéma, parce que ça tourne en permanence. Il y a des modèles économiques qui sont en train de se dessiner. J’ai trouvé étonnant de découvrir qu’il n’y avait pas de rendez-vous de la série sur le continent africain. Donc j’ai trouvé pertinent de le créer pour valoriser la création africaine dans sa diversité, mais aussi mettre en place des ponts entre les différents territoires africains et internationaux, et profiter de cet événement pour valoriser les talents émergents, renforcer la professionnalisation, questionner les modèles économiques et consolider les possibilités de coproduction Sud-Sud et internationales. Ça, c’était la feuille de route initiale. La première édition a porté des promesses assez intéressantes. C’est sûr que la seconde édition, en octobre 2024, a permis d’aller un peu plus loin. Près d’une trentaine de nationalités africaines étaient présentes à Dakar. Donc les gens venaient de partout, Tanzanie, Afrique du Sud, Nigeria… Ça parlait différentes langues à Dakar, et ça parlait surtout des écosystèmes du réseau. Et c’était quand même important d’avoir des talents qui venaient de partout et qui puissent comparer leurs modèles économiques, confronter leurs dynamiques et voir comment opérer des synergies ensemble. Et que Dakar soit la capitale de la série, ça paraissait tellement naturel, puisqu’avec ce que fait Kalista, Marodi Tv et toutes les séries qui sont tournées ici et les séries en wolof qui arrivent à être diffusées dans la région et même au-delà. Je trouvais que c’était intéressant que ce soit plutôt au Sénégal, qu’il y ait vraiment le rendez-vous de la série et que le monde audiovisuel sur le continent se retrouve à Dakar, comme le monde du cinéma qui, tous les deux ans, se retrouve au Burkina Faso. Donc, c’est parti de là. Et je crois en effet que c’est un programme très structurant qui est nécessaire, essentiel. Là, les équipes de Dakar Séries travaillent sur comment fédérer à Dakar, la création audiovisuelle d’Amérique latine et des Caraïbes. Donc, ils veulent aller encore plus loin et créer encore plus de contenus. On en saura bientôt plus comme je ne suis plus dans l’équipe au sens propre du terme. Donc, on attend de voir ce qu’ils vont nous annoncer. Mais on est toujours partenaires, à l’ambassade de France, parce qu’on accompagne vraiment les festivals qui ont une dimension structurante et professionnalisante, comme Dakar Court et d’autres festivals à l’échelle de la région.
Vous avez quand même piloté un certain nombre d’initiatives pour soutenir l’écosystème ces dernières années. Vous avez rendu visite à pas mal de projets qui existent sur ces pays que vous couvrez. Quelles sont les retombées de ces actions ?
C’est vrai que deux ans, ça paraît court, mais ça a été quand même assez intense. Il y a eu beaucoup de choses qui ont été mises en place. Et l’accent a été mis spécifiquement sur un certain nombre de programmes. Néanmoins, il y a eu des initiatives comme l’Anim’Lab, qui est un programme d’incubation dédié à l’animation 2D, en partenariat avec l’Ecole des Gobelins qui est la plus grande école d’animation du monde. Pendant six mois, cinq professionnels régionaux se sont retrouvés à Dakar, à la Der, où ils étaient accompagnés par Les Gobelins, dans le cadre d’un programme intensif pour renforcer les capacités de ces jeunes. Et là, le programme vient juste de se terminer. Ils reviennent de Paris où ils ont passé un peu de temps à l’Ecole des Gobelins, avec des jeunes apprenants qui venaient des quatre coins du monde dans le cadre des universités d’été des Gobelins. Après, on a également l’Eiad, l’école dédiée aux métiers de l’actorat, qui propose une formation exigeante pour une nouvelle génération de professionnels. Il y a d’autres projets professionnels et professionnalisants qui ont été portés durant deux ans. Toutes ces initiatives contribuent à bâtir un écosystème plus solide, plus inclusif, plus visible à l’échelle régionale et internationale, et les résultats sont concrets aujourd’hui.
Propos recueillis par Mame Woury THIOUBOU (mamewoury@lequotidien.sn)