Entre Baba Maal et le Fouta, l’histoire d’amour est éternelle. Le «roi du Yela» vient encore une fois de le prouver en prenant part à la 5e édition du Festival à Sahel ouvert de Mboumba. A quelques minutes de sa montée sur scène, Baba Maal s’est prêté au jeu des questions-réponses.

Vous participez à ce festival 10 ans après la première édition dont vous étiez la tête d’affiche. C’est un festival engagé. Vous venez avec quelle vision ?
Je viens d’abord pour féliciter la population de Mboumba d’avoir tenu bon pour l’organisation de ce festival. Je sais que c’est un très grand challenge de Xavier Simonin et de son staff. C’est parce que je sais qu’à chaque édition, il y a un thème qu’on essaie de mettre en avant. Surtout pour cette année où il est question de l’importance de l’eau. Je suis de la région du fleuve et la question de l’accès à l’eau potable et de la sécurité de nos nappes, m’interpelle comme ça interpelle beaucoup de personnes. C’est pour toutes ces raisons que je suis présent à cette 10e édition. L’une des raisons, c’est aussi que j’étais là à la première édition. J’étais là quand ce n’était qu’un petit bébé et qu’on ne savait pas si cela allait continuer ou pas. J’avais émis le souhait de voir ce festival grandir et devenir très important pour cette localité.

Ces dernières années, on vous a vu être plus actif sur le terrain du développement avec votre organisation NanK. C’est une demande que les populations vous ont adressée ou c’est partie de votre propre prise de conscience ?
Moi j’en avais besoin parce que je sentais quelque part que les populations étaient très conscientes que le Dande Leniol les a accompagnées pendant très longtemps, pendant des décennies. Mais les populations aussi, ce sont des populations, je ne dirais pas qui ont mûri, mais on sentait qu’elles aspiraient à quelque chose de…. Je ne dirais pas quelque chose de plus important que la culture mais une suite logique de ce que la culture avait réalisé en leur compagnie, en l’occurrence le développement. C’est une population qui est consciente qu’elle a tous les atouts pour créer un développement durable qui commence à partir de nos localités. Cela, pour moi, ne pouvait être accompagné que par la culture. Et dès l’instant que je me retrouvais comme étant une des personnalités culturelles qui pouvaient polariser les gens dans n’importe quel secteur, même politique… Déjà quand je viens, les gens taisent leurs différences pour répondre à mon appel, je me dis que c’est une opportunité d’être un leader dans le développement. D’au­tant plus que le Dande Leniol a toujours fait du développement mais dans l’informel.
Tous les concerts qu’on a eu à donner au stade Amadou Barry ou toutes les tournées qu’on a eu à organiser dans le Fouta pendant plus de 25 ans, ce sont des associations de village, des associations de développement qui nous interpellaient. Donc, nous étions là à regarder ces associations prendre l’argent récolté, acheter des tables bancs, faire des postes de santé, accompagner des champs avec des associations féminines de développement.
Au finish, je me suis dit, pourquoi ne pas créer nous-mêmes une entité. Parce que ce sera beaucoup plus respectable de créer cette entité NanK pour pouvoir parler avec le gouvernement du Sénégal en tant qu’acteurs de développement et avec nos partenaires à l’extérieur, surtout des partenaires que j’ai accompagnés pendant des décennies dans d’autres pays dans le monde. Donc, ils me doivent quelque chose et je me suis dit que c’est l’occasion de leur demander de m’accompagner ici, chez moi.

Toujours dans ce domaine du militantisme, vous con­naissez bien le Fouta. Et il y a encore ici des pratiques néfastes telles que l’excision ou les mariages précoces qui perdurent. Est-ce que vous pensez prendre position de façon très claire sur ces questions ?
Je l’ai déjà fait. J’ai travaillé avec le Fonds des Nations unies pour la population (Fnuap) en tant que champion avec les lutteurs Eumeu Sène, Modou Lô, Coumba Gawlo, Feu Ablaye Mbaye. Nous sommes engagés depuis des années à faire des tournées. Toutes les dernières tournées que j’ai eu à faire, même la préparation de la musique du film Black Panther, c’était durant une tournée dans la Vallée. On faisait des concerts, on faisait un plaidoyer pour demander à ce qu’on arrête toutes ces pratiques.
Moi, j’ai la chance de m’asseoir avec les personnes les plus réticences en ce domaine, en l’occurrence les marabouts et certains traditionnalistes. Vu le parcours que j’ai eu avec eux, ils se disent puisque c’est Baba Maal, on peut l’écouter et ça me permet aussi d’aborder le sujet d’une manière assez respectable. Parce qu’il ne suffit pas de dire aux gens ‘’arrêtez’’ ; ça ce n’est pas bon.
Il faut respecter l’organisation sociale et mettre par exemple les conséquences de toutes ces pratiques sur la table et laisser la population découvrir par elle-même. Je me rappelle à Gamadji dans le département de Podor, on est parti rencontrer les jeunes filles elles-mêmes qui organisaient tout un après-midi. Elles avaient fait venir les parents d’élèves et des organismes comme le Fnuap pour parler de l’éducation mais aussi dénoncer des pratiques comme le mariage précoce et consorts. Et au sortir de cette rencontre, j’ai entendu beaucoup de personnes adeptes de ces pratiques dire que les jeunes avaient raison. C’est là la force de la culture. Elle a la capacité de mettre le doigt sur certaines vérités sans heurter les populations.

Cette année, vous célébrez les 35 ans du Dande Leniol. Avez-vous encore des rêves dans la musique ?
Beaucoup de rêves (il répète plusieurs fois en éclatant de rire). Parce qu’en matière de musique, tant qu’on a la capacité de ressentir des frissons en regardant quelque chose, que naissent par exemple des pulsations qui vont vers des rythmes, des mélodies, des concepts, on est toujours dans le feu de l’action. L’artiste a toujours, quel que soit son âge, un regard qui fait que c’est un nouveau regard par rapport à la vie, ce qu’on chante, ce qu’on fait sortir dans la musique.
Mais mon rêve le plus important, c’est de créer un espace sur le plan musical pour que tous ces jeunes qui me font rêver aussi, parce que j’en ai décelé certains qui sont vraiment remplis de talent, qui sont remplis de rêves, qui sont très compétitifs, parce qu’il s’agit de compétition. Et ce serait bien de leur tendre la main et de créer les espaces qui leur permettront de s’épanouir et c’est en s’épanouissant qu’ils me feront m’épanouir davantage. C’est pourquoi on a créé Les Blues du Fleuve, c’est pourquoi dans la tournée des 35 ans, on va faire le tour du monde inchallah et on va amener dans nos valises certains de ces jeunes talents comme Adviser, Paco Legnol, Demba Guissé, Ndèye Diarra Guèye… il y en a plein qui sont là. Suivant les différentes étapes, on va essayer de présenter ces différents artistes et essayer de créer ensemble un autre courant qui va peut-être continuer pendant les 35 ans à venir.

Vous aviez pris part à la première édition et vous avez aussi un festival chez vous à Podor, «Les Blues du Fleuve». Aujourd’hui, quel est votre degré d’implication dans le développement de l’action culturelle ?
Il faut noter qu’on nous considère comme des entités commerciales. Mais il faut noter aussi qu’on a entre les bras une culture qui a toujours été là pour accompagner le développement. C’est ça qu’on est en train de perpétuer. Ce n’est pas nouveau qu’on puisse utiliser la culture pour dire aux populations : «Venez répondre à l’appel.» Et quand elles viennent, on peut discuter. Mon ami Mansour Seck dit toujours : «Dansons, chantons, mais disons toujours ce qui peut être profitable pour nos communautés.»
Ce n’est pas nouveau et la culture pulaar, c’est une culture qui chante la nature, le mouvement des gens à partir des saisons, le Walo, le Dieri et qui magnifie le travail ; mais qui est là pour donner le ton par rapport au développement. Maintenant, nous sommes dans une nouvelle ère de développement où il y a les barrages, l’irrigation. Il faut faire l’agriculture sous une autre forme, le fait qu’il faille introduire la technologie pour être plus compétitif. Mais je me dis que si le gouvernement, l’Adminis­tration et tous ceux qui ont des projets sur le développement, ne mettent pas la culture au-devant, les gens vont se casser la gueule. Excusez du terme qui est très fort, mais je pèse mes mots en le disant. Par exemple, on à un projet de faire un champ, c’est la culture qui doit faire le plaidoyer chez les populations. On entretient le cheval avant de le mettre dans la course et quand le projet arrive, si la culture ancre ce qu’on va faire dans la tête des gens, le projet roule. Mais si la culture n’est pas mise en avant, les populations ne comprendront pas le pourquoi de certains projets, même s’il y a des retombées très bénéfiques pour elles.
Il faut attraper le taureau par les cornes et les cornes, c’est la culture. Et ce n’est pas nouveau. Dans l’Empire du Mali, on a vu que pour promouvoir la bonne gouvernance, la prise de position dans certaines responsabilités, l’engagement des populations, il fallait toujours passer par la culture. Je pense qu’un festival de ce genre doit donner une place importante à la culture comme vecteur d’information et de plaidoyer.