Il y a quelques années, un pudique appel au secours de la fondatrice de l’Ecole des sable, Germaine Acogny, est relayé sur les réseaux sociaux par des acteurs culturels d’ici et d’ailleurs. L’école de danse risquait de fermer si aucune solution n’était trouvée. Devant cette dramatique situation, des bonnes volontés se sont mobilisées pour rassembler des fonds. L’Etat du Sénégal, par le biais du ministre de la Culture d’alors, Abdou Latif Coulibaly, offre 10 millions de francs Cfa. Aujourd’hui, l’école est encore en convalescence comme le souligne le directeur artistique Patrick Acogny. Les ressources sont toujours rares et les réflexions se poursuivent pour trouver le moyen de sauver ce joyau qui a formé des centaines de danseurs africains depuis sa création en 1998. D’où l’appel lancé par le fils de Germaine, Patrick Acogny, en marge de l’inauguration de la nouvelle allée de l’école samedi dernier.

Aujourd’hui, comment se porte l’Ecole des sables ?
Plutôt en convalescence, on va dire. Nous avons reçu beaucoup de soutiens, des soutiens ponctuels. Mais sur les soutiens de moyenne ou longue durée, les choses n’ont pas beaucoup évolué. Ce qui nous fait nous poser la question : ‘’Pour combien de temps ces soutiens ponctuels vont être permanents ?’’ Ou en tout cas, d’une durée plus conséquente. Donc je dirais que c’est une sorte de convalescence où les choses sont encore incertaines. Je dirais que réellement, ce n’est même pas de la convalescence, on est encore sous perfusion, on est en train de trouver le moyen de faire des choses. Les gens sont intéressés et viennent. La réputation de l’école continue de grandir et on y croit. On va dire que malgré tout, ça va. A l’africaine, on va dire.

Pour expliquer, vous avez eu quelques problèmes financiers liés au retrait de certains de vos bailleurs ?
Oui. Pendant plusieurs années, nous avons eu des soutiens comme les Pays-Bas, qui étaient consistants et qui permettaient de subvenir au fonctionnement de l’école. Aujourd’hui, la nature des subventions a changé puisque cela se fait au projet. Des projets, on peut les faire mais l’argent va aller aux projets et comment on fait quand on doit fonctionner ? Le fonctionnement, ce sont les bâtiments, l’entretien, salaires, les charges d’électricité, d’eau… Donc ça a un certain coût et si on n’a pas d’aide pour ces coûts-là, comment porter correctement ces projets ? Là où le bât blesse pour nous, c’est que d’un côté, on peut trouver des projets mais des subventions pour le fonctionnement, c’est très compliqué.

Comment faîtes-vous alors ?
On essaie d’être un peu plus business, plus commercial. Mais la nature de l’école, c’est de soutenir, aider les Africains à se développer par la danse. Or, ces jeunes africains n’ont pas d’argent. Pour parler business, on a une clientèle qui ne peut pas se permettre de payer sa formation. Et donc, nous devons trouver cet argent pour eux. Pendant un certain nombre d’années, ça a marché parce que l’argent était là pour ça mais ce n’est plus le cas, donc il faut changer notre modèle de fonctionnement. Et c’est de trouver des activités qui rapportent de l’argent pour pouvoir couvrir les salaires et l’entretien de l’école, mais aussi nous permettre de continuer nos activités dont la priorité, la formation des Africains.

Et vous arrivez à trouver suffisamment de ressources pour continuer à faire vivre l’école ?
Pour l’instant, on y arrive. C’est comme un chef de famille. A la fin du mois, il va se dire : ‘’Est-ce que je vais pouvoir tout payer ? Est-ce que je vais emprunter ? etc’’. Nous, on fonctionne maintenant comme ça. Ce qui est une situation nouvelle à laquelle il faut nous habituer. Et pour l’instant, on réussit. On a ce stage par exemple qui vient de démarrer avec 35 personnes payantes pour une dizaine d’Africains qui ne paient pas. Or il faut savoir que dans notre fonctionnement, les gens qui paient, couvrent aussi en partie pour les Africains qui ne paient pas la formation. Ça veut dire que l’argent qui va venir ne va pas entièrement au fonctionnement de l’école. Une partie va à la formation du danseur africain parce que c’est notre vocation première. Là où on projetait sur un an, deux ans ou trois ans, on ne projette plus que sur un trimestre.

Est-ce que cela ne va pas finir par écarter les danseurs africains qui ne peuvent pas payer ?
On a plutôt pris l’option d’avoir plus de danseurs payants et de privilégier les activités pour les danseurs non payants. Pour l’instant ça marche. Pour combien de temps, je ne sais pas. Il est sûr qu’on fait face à des limites et qu’il faut être encore plus créatif. Mais c’est notre métier d’être créatifs et de trouver d’autres solutions. Est-ce qu’on va réussir ? L’avenir nous le dira.

Vous venez de démarrer un stage international avec des danseurs venus de 17 pays, de quoi s’agit-il ?
C’est un stage qui a démarré depuis trois jours. Le thème c’est les danses traditionnelles de l’Afrique de l’Ouest. Une autre façon de les décoloniser, une autre façon de les penser, de les utiliser chorégraphiquement. Et de sortir un peu des clichés autour des danses traditionnelles et qui nous ont été apportés par l’Occident. Et aussi beaucoup par notre propre faute. Des personnes sont là pour ça et nous travaillons aussi la technique Acogny. Ce n’est pas une danse traditionnelle mais c’est une danse qui construit le corps, qui donne une notion du corps qui est importante pour appréhender ces pratiques de danse traditionnelles et on fait d’autres choses. Des body percussion, des percussions corporelles. Il y a des gens qui vont venir pour expliquer ce qu’est l’esthétique de ces danses africaines. Bref, on essaie d’avoir une approche globale de la pratique plutôt que de la danse seulement. Mais une pratique qui essaye de comprendre dans quelle contexte cela a émergé, qu’est-ce qui se passe, qu’est-ce que cela signifie et qu’est-ce qu’on peut en faire. Les gens sont intéressés par ça et c’est pour cela que le stage est plein. Et on va continuer à réfléchir dans ce sens pour être attractifs non seulement pour les Africains mais pour les gens d’ailleurs aussi, qu’ils puissent venir se former et par leur venue soutenir l’Ecole des sables.

La technique Acogny est une des raisons sans doute qui font la renommée de l’école. Qu’est-ce qui explique cet engouement ?
Je crois que c’est le nom de Germaine Acogny qui fait venir les gens et l’Ecole des sables. Parce qu’on a une très bonne réputation de former des danseurs, de très bons danseurs. La technique Acogny est une des choses qui font venir les gens. Tantôt, j’ai parlé du thème sur les danses traditionnelles. Avant, on a eu un thème sur les danses noires. Je crois qu’il y a un véritable intérêt aujourd’hui pour les danses qui sont pratiquées en Afrique, traditionnelles, post traditionnelles, contemporaines. Il y a un intérêt pour la pratique de la danse. C’est le reflet d’un monde qui est aujourd’hui multicentré. Avant, on pensait qu’il y avait un centre, le monde occidental et le reste devait suivre. Aujourd’hui, c’est un monde plus éclaté. On a l’Asie, les Amériques, l’Europe et on a aussi l’Afrique. Et ce sont des centres importants qui ont aussi des choses à apporter. C’est cet éclatement du monde qui fait que les danseurs se rendent compte que pour être plus performants, être meilleurs, il ne peuvent plus se contenter des danses de leurs pays ou de leurs continents et qu’il faut aborder d’autres danses. Vous pouvez le voir en regardant la télé, les danseurs hip-hop vont pratiquer de l’afrobeat. Cela signifie que l’on soit en Europe ou en Asie, il y a une universalisation des pratiques culturelles, des pratiques dansées d’ailleurs et l’Afrique pour ça, est incontournable. Et je crois que l’école étant à l’épicentre de cette universalité, les gens forcément vont vouloir venir ici.

Est-ce que cet intérêt pour les danses africaines est aussi visible sur les scènes internationales ?
Je crois qu’il y a effectivement un véritable intérêt des grands théâtres occidentaux sur cette danse noire, qui vient d’Afrique qui est contemporaine et actuelle. Je crois qu’il y a une curiosité, un intérêt, une qualité que les gens cherchent et les Occidentaux cherchent de la qualité. Après, il y a certains noms qui circulent et qui tournent beaucoup parce que leur travail est reconnu et que les gens veulent ce travail-là. Au bout du compte, on est toujours dans la culture mais il y a un aspect très business. Ça ne marche pas, on ne prend pas ton spectacle. Ça marche, tu remplis les théâtres, on prend ton spectacle. C’est très simple. Au cinéma, ça ne marche pas, on cherche un autre moyen comme les vidéos par exemple. Mais chez nous, quand c’est un échec, c’est un échec. Et du coup, à la prochaine création, les gens vont être plus méfiants. Les danseurs et chorégraphes africains sont très recherchés mais ils ne sont pas les seuls. On est dans un monde très compétitif.

Pour revenir à la situation financière de l’école, est-ce que les autorités sénégalaises ont réagi ?
Ils connaissent la situation. Ils ont réagi une première fois avec le ministre de la Culture Abou Latif Coulibaly. Ça ne s’est pas renouvelé. Mais je pense que le l’Etat est au courant. On est à l’écoute.

Vous attendez quoi exactement ?
Un soutien. Je crois que nous sommes un centre très important pour le Sénégal. Nous sommes une vitrine pour le monde de la culture et de la danse et je crois que l’école mérite un soutien régulier, permanent pour poursuivre les efforts qui ont été faits pendant 20 ans sans aucun soutien pratiquement de cet Etat.