Propos recueillis par Mame W. THIOUBOU (mamewoury@lequotidien.sn) – Dans son dernier film documentaire «Au cimetière de la pellicule», Thierno Souleymane Diallo prend prétexte de la recherche du premier film guinéen «Mouramani» pour interroger la situation du 7e art dans son pays. Aujourd’hui, Sabou Ciné Talent, l’incubateur qu’il encadre depuis moins de 9 mois, présente trois films dans la compétition des écoles du Fespaco. Le lieu de lancer un coup de gueule en direction des Etats africains qui n’accordent que peu de place au cinéma.

Sabou Ciné Talent existe depuis moins d’un an. Mais vous présentez trois films à cette édition du Fespaco. Quelle est votre recette ?
Il faut être pragmatique. On ne peut pas en une année apprendre à des jeunes le cinéma en entier, mais on peut accompagner des jeunes qui ont déjà un parcours, qui ont trouvé un chemin, mais qui ont du mal à se cadrer. Donc, pour nous, l’objectif, c’était déjà d’accompagner ces jeunes dans la professionnalisation. On ne peut pas prétendre leur apprendre tout le cinéma, mais on peut les accompagner à fabriquer des films, donc sur des programmes structurés en atelier : l’atelier d’écriture, l’atelier de production, les ateliers de remise à niveau technique au son, montage et images, l’atelier documentaire et l’atelier de réalisation. L’objectif, c’est de les amener à produire. Aussi, à côté de ça, l’avantage, c’est d’avoir trouvé un peu de matériel qui nous permet de monter sur place, qui nous permet de faire tout ce qui est post-production, notamment le montage, le pré-mixage sur place. C’est vrai, il y a beaucoup de composants qui manquent, mais pour un début, on est allés à l’essentiel. Au bout de neuf mois, on a quand même pu fabriquer huit courts métrages. Pour moi, c’est cela être pragmatique. Ne pas parler du cinéma, mais faire du cinéma.

Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de mettre sur pied cette association ?
L’association était déjà un incubateur généraliste. Moi, on m’a proposé, en tant que cinéaste, de faire la coordination. Et ce que j’ai pu apporter, c’est un peu mon expérience, mon parcours en Master 1 et Master 2 de cinéma. J’ai essayé d’en faire un programme, mais plus pratique, qui ne va pas sur la théorie, qui ne va pas sur les fondamentaux. C’est comment faire des films, maintenant, tout de suite, dans de bonnes conditions, tout en créant un esprit d’équipe. Que les techniciens, les auteurs, tous ceux qui concourent à la fabrication du film, puissent converger dans le même sens, parce qu’un film se fabrique en groupe, il ne se fabrique pas seul. Pour moi, c’est tout un mélange d’expériences, de connaissances, de parcours qu’on a remis dans ce programme.

Est-ce qu’avant cela, on pouvait noter un certain dynamisme, ou plutôt de la latence, dans le cinéma guinéen ?
La Guinée est un pays très paradoxal, parce que c’est l’un des rares pays dans la sous-région qui a une école de cinéma publique, qui existe ça fait plus de 20 ans, sauf que les jeunes qui sortent de cette école, parfois, ils ne savent pas où aller. Ils n’ont pas d’endroit où déposer ou toquer à une porte pour qu’on puisse les accompagner. Donc, il y a une formation de base, mais après, sur la professionnalisation, il reste un boulot à faire. Donc, la Guinée, l’Etat en tant que tel, ne s’occupe pas du cinéma. Ça fait longtemps qu’on a toujours les mêmes discours. On est en train de travailler dans la politique générale, les plans stratégiques, les lois et tout ça, sauf que ça reste des discours politiques. Donc, Sabou Ciné Talent a été financé par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères de la France et l’ambassade de France en Guinée et en Sierra Leone pour créer un écosystème. Il y a un problème, il y a une sorte de paradoxe dans ce pays qui crée une institution de formation sur les métiers du cinéma, mais qui, après, n’accompagne pas ses jeunes, ne met pas les moyens pour accompagner la production. Donc, c’est toute une génération qui reste perdue avec des outils du cinéma, mais qui ne sait pas comment faire. Moi, j’ai fait un film, Au cimetière de la pellicule, qui parle un peu de l’état du cinéma en Guinée, quand il a démarré, ce qu’il a été dans les années 60 et ce qu’il est en train de devenir aujourd’hui. C’est une façon aussi de dire qu’il y a quelque chose qui se passe sur place. Il y a des jeunes qui ont les connaissances, le talent, mais qui demandent juste à être accompagnés pour fabriquer des films.

Comment cette forte présence au Fespaco a été reçue par les autorités ?
C’est toujours bien. Nos Etats brillent par leur absence et ils sont contents par nos victoires arrachées dans le sang, la sueur. Ils ne sont pas là quand les cinéastes travaillent, mais ils sont là pour faire une forte délégation, mettre beaucoup de pognon et venir se promener, dire qu’«on était au Fespaco, on a fait ceci, on a fait cela». Mais le système de base, la pépinière, ils ne s’en occupent pas. Je suis désolé pour tous nos Etats, surtout en Afrique au Sud du Sahara. Se moquer des professionnels, se moquer des artistes qui tirent le diable par la queue, qui essaient de trouver des moyens par-ci, par-là. On est même parfois des «sans-chaussures» (référence à son film Au Cimetière de la pellicule) pour faire des films. On est des mendiants du cinéma. On trouve de l’argent en Europe, en Asie, en Amérique, en Afrique, mais de l’argent mis en place par les Européens, par les Américains, par les Arabes, et nos Etats ne sont pas capables d’ouvrir les yeux pour comprendre qu’il s’agit de nos imaginaires, de nos histoires. On ne peut pas attendre que les autres mettent de l’argent pour construire nos imaginaires et après revenir dire qu’on est indépendants, on est contents, on est fiers d’être à de grands rendez-vous comme le Fespaco.

La souveraineté, elle doit être culturelle d’abord…
Elle doit être culturelle. Notre cinéma n’existe que quand il y a le Fespaco. Après, nos Etats disparaissent. Il n’y a pas un travail de fond. Personnellement, je pense qu’il ne s’agit pas que de la Guinée, mais de tous nos pays où on fait un semblant de travail, cependant à la base, il n’y a pas quelque chose de solide qu’on est en train de construire. Et on va continuer sur une construction d’ovnis de cinéastes.
On va citer 3, 4, 5 cinéastes au Sénégal, 1, 2, 3 en Guinée, 2 au Burkina… On a tendance à parler de notre cinéma au niveau continental comme une industrie. On parle du cinéma africain entre guillemets et on parle de l’industrie du cinéma africain. Il faut qu’on arrête de nous moquer de nous-mêmes, parce qu’une industrie, ça peut exister dans un pays qui soutient cette industrie, qui arrive à produire, qui met un système de circulation, de diffusion et de distribution de ses œuvres. A ce moment, on peut parler d’industrie. Mais quand on est avec 3, 4, 5 films qui se font à l’année, désolé, il faut arrêter de parler d’industrie, et il faut arrêter de penser que c’est juste un outil de communication de nos Etats. Non. C’est de l’éducation, c’est l’avenir du continent, ce sont nos regards sur nos sociétés, sur ce monde en pleine mutation. Si vous voulez, c’est quelle est la place de nos cinémas, de nos imaginaires dans cet océan d’imaginaires qui viennent de partout et que nous, on n’a pas les moyens de contrecarrer. Donc, je pense qu’il est important d’être plus honnête avec la corporation, d’être plus sérieux avec ces jeunes qui ont des rêves, qui ont une passion qui est le cinéma. C’est légitime, c’est normal, ils ne demandent pas grand-chose. Ils demandent juste à être technicien de son, réalisateur, producteur ; ce n’est pas trop demander. De la même manière qu’on a des écoles sur tout, on doit avoir des écoles sur nos imaginaires, accompagner ces imaginaires pour permettre à nos pays, à ce continent, d’avoir une bonne place pour parler. Sinon, on ne parle que quand on nous donne la parole. Et on ne peut pas prendre cette parole parce qu’on n’a pas les moyens de la prendre.